Fil d'Ariane
Musées, cinémas, théâtres... Partout dans le monde, la culture a été frappée de plein fouet par les mesures de restrictions mises en place pour freiner la transmission de la Covid-19. Les confinements ont suscité un fort appétit de culture et ont fait naître des initiatives originales. Quelles solutions ont trouvé les lieux culturels pour s'adapter ? Quelles leçons tirer de la pandémie ? Entretien avec Ernesto Ottone Ramirez, sous-directeur général pour la culture de l'UNESCO, l'agence onusienne chargée de la culture et du monde culturel.
TV5MONDE : Pourquoi la culture est importante en période de crise sanitaire ?
Ernesto Ottone Ramirez : La culture a été utilisée de manière différente durant près d'un an et demi avec cette pandémie. Elle a été synonyme de solidarité avec par exemple l'accès à des musées virtuels au sein des écoles. Elle a joué un rôle dans le bien-être de chacun. Elle a été l'expression de soulagement et a contribué à la bonne santé mentale de tous. L'accès à la culture a été vu comme quelque chose de fondamental. Dans certains pays, elle a vraiment été utilisée comme une médecine parallèle. La culture a été considérée comme un bien essentiel dans de nombreux pays.
En Afrique, surtout dans les pays de l'est et en Afrique subsaharienne, la culture a été utilisée comme un moyen de communiquer, justement sur les mesures et sur toutes les barrières de protection que l'on pouvait prendre face à la Covid-19. Elle a finalement été utilisée partout. Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela signifie qu'elle a été traitée dans les politiques publiques dans de nombreux pays comme une nécessité de base. C'est ce que nous, au sein de l'UNESCO, dans des rapports et dans des travaux de recherche avons pu constater.
Malheureusement dans d'autres pays, les budgets ont été coupés. Les ressources publiques se sont concentrées sur les questions de santé.
TV5MONDE : Mais est-ce qu'il y a eu une prise de conscience collective, individuelle sur le fait que la culture était importante, qu'elle était devenue un bien essentiel ?
Ernesto Ottone Ramirez : Le regard a changé. Nous avons fait des études au début de la pandémies. Nous avons réalisé ces mêmes études un an plus tard. L'appréciation sur la necessité de culture est désormais différente. La culture est de plus en plus perçue comme un bien vital.
Nous avons en tous cas constaté un changement des pratiques culturelles avec la pandémie. La consommation de biens culturels s'est concentrée dans certains pays sur des plateformes digitales pour avoir accès à des films ou des produits audiovisuels. Les banques de livres numériques ont bien fonctionné.
L'explosition de ce type d'accès à la culture a créé de fait pendant la pandémie une fracture au niveau mondial. Plus de 48 % de la population mondiale n'a pas accès à internet. Même s'il y a eu un effort digital qui s'est fait pour que la culture soit plus présente dans les maisons, elle ne se fait quand dans 50% des pays du monde.
TV5MONDE : Quelles ont été les conséquences de la crise sanitaire sur les musées, les lieux culturels ? Quelles solutions ont-ils trouvé pour s’adapter ?
Ernesto Ottone Ramirez : Les institutions culturelles ont été très fortement affectées. Seul quelques grands musées publics dans certains pays du Nord ont pu renforcer leur présence dans le monde digital. Au pire de la pandémie, plus de 92 % de toutes les institutions culturelles dans le monde étaient fermées. Aujourd'hui, on en est à 42 %. Les ressources ont baissé entre 50 et 80% par rapport à 2019.
Au pire de la pandémie 92% des musées dans le monde étaient fermés
Ernesto Ottone Ramirez, Sous-Directeur de l'UNESCO
Aujourd'hui des musées vivent avec seulement 20 % de leur ressources budgetaires habituelles d'il y a un an et demi. On a constaté au niveau mondial une baisse de 70% du nombre de visiteurs que ce soit dans les grands musées ou que dans les musées locaux de villes moins importantes.
Le retour à la normale n'est par pour tout de suite. On trouve désormais des jauges à 50 %. Beaucoup de musées tournent à 30 % de leur capacité. Les ressources ne se résumaient pas seulement à la fréquentation des visiteurs. D'autres financements venaient de la médiation, la formation dans les écoles etc...
TV5MONDE : Vous parlez de fracture entre pays du Nord et pays du Sud. Est-ce qu'en Europe, aux Etats-Unis, beaucoup d'institutions ont été soutenues ? Est-ce qu'on a des données sur les pays d'Afrique ?
Ernesto Ottone Ramirez : Nous avons presque toutes les données. La répercussion de la pandémie a été globale. Toutes les institutions qui accueillent du public ont toutes été affectése, que ce soit des musées ou des théâtres publics ou privés.
La grande différence c'est que les pays européens ont eu des allègements fiscaux, des aides financières pour les employés ou pour les frais normaux. Les grandes institutions publiques en Europe de l'Ouest s'en sont bien sorties.
Mais dans d'autres continents, et c'est le cas paux Etats-Unis, des équipements culturels complets ont été supprimés. Certains musées fonctionnaient avec du financement privé et ce financement s'est tari. Le financement privé aux Etats-Unis s'est redirigé vers la santé et la solidarité.
Entre 7000 et 8000 musées dans le monde ne vont pas rouvrir en juillet
Ernesto Ottone Ramirez, Sous-Directeur de l'UNESCO
L'ICOM (International Council of Museums), il y a exactement un an, nous disait qu'entre 11 et 12 % de musées n'allaient pas être en mesure d'ouvrir leurs portes en juillet 2021.
Aujourd'hui, ce chiffre a été réduit. On parle de 7 ou 8 %. Donc ce n'est pas aussi terrible que nous l'avions pronostiqué, mais cependant on parle de 8000 musées sur les 100 000 dans le monde qui ne vont pas rouvrir. Cela ne veut pas dire que dans quelques années ils ne seront pas en mesure de le faire.
Mais dans l'immédiat, même si toutes les restrictions sont levées dans leur pays d'origine, ces musées sont dans l'incapacité d'ouvrir parce qu'ils n'ont ni le financement, ni le personnel. C'est un vrai problème pour la diversité culturelle, mais aussi un problème vis-à-vis des collections, c'est à dire pour le maintien des collections.
Cela pose d'autres problèmes, comme le trafic illicite, par exemple. Les sites archéologiques ont le statut de musée. Ces sites par manque de moyens ont subi des pillages pendant cette période. Il y a eu des ventes illégales de biens culturels, qui se sont faites à 70 % via de grandes plateformes sur le web.
TV5MONDE : Avez-vous un exemple d'une grande institution culturelle qui pourrait ne pas rouvrir ?
Ernesto Ottone Ramirez : Il est encore trop tôt pour le dire. En fin d'année nous pourrons effectivement donner des listes de musées qui resteront fermés. Maintenant, il y a aussi du positif. ll s'est produit un phénomène de solidarité, que ce soit dans les pays du Nord ou du Sud, des musées les plus grands vis à vis des musées les plus petits, pas au niveau financier, mais au niveau de l'échange, de l'expertise, et des collections.
TV5MONDE : La culture est donc une des victimes de la pandémie. Quelles leçons en tirer ?
Ernesto Ottone Ramirez : Le secteur culturel mais aussi les artistes ont été des victimes de la pandémie. Ils ont travaillé sur un concept, dont nous parlions il y a quelques années mais sans lui donner un visage, celui de résilience. Ces artistes ont été un des visages de la résilience de la société, au même titre que les infirmiers ou les docteurs.
Les décideurs, publics ou privés, ont compris que l'on ne pouvait pas revenir à l'écosystème culturel que nous avions avant. Aujourd'hui vous ne pouvez pas imaginer revenir en arrière, c'est impossible. Il faut trouver des solutions car les pandémies vont sans doute se reproduire.
Les plateformes digitales ont été les grandes gagnantes de la pandémie. Le monde du spectacle vivant a souffert
Ernesto Ottone Ramirez, sous-directeur de l'UNESCO
Il faut que le travail des artistes soient mieux exposé à travers le monde numérique. Mais il faut que les artistes soient également mieux rétribués par ce monde numérique. Les ressources générées par la distribution du travail des artistes doivent être mieux réparties au profit des artistes. L'année 2020 a été assez significative. Les artistes n'ont jamais été autant présents sur les réseaux sociaux et pourtant l'année 2020 a été une année compliquée financièrement pour eux.
TV5MONDE : Concrètement, cela veut dire que par rapport aux concerts et aux musées, il va falloir diversifier ces ressources et ne pas compter que sur l'accès du public ?
Ernesto Ottone Ramirez : Il faut comprendre qu'aujourd'hui nous avons deux autoroutes qui fonctionnent de manière parallèle et qui peuvent contribuer à une consolidation du secteur culturel. L'une ne va pas remplacer l'autre. Il faut désormais concilier les deux, l'accueil du public et la force du numérique. On ne pourrait pas imaginer par exemple que les musées décident d'exister uniquement sur un support digital. L'expérience d'un musée sur place, face à une oeuvre artistique, reste unique et irremplaçable. Mais pour ceux qui n'ont pas la capacité de voyager ou d'accéder à cet espace il faut donner la possibilité à travers le numérique d'accéder aux collections des musées. On peut tenir le même raisonnement pour les théâtres ou les salles de concert par exemple.
TV5MONDE : Qui sont les gagnants, les perdants de cette pandémie ? Est-ce qu'il y a des secteurs qui ont sû tirer leur épingle du jeu ?
Ernesto Ottone Ramirez : C'est toujours subjectif. Les plates-formes digitales au niveau audiovisuel ou au niveau des supports musicaux effectivement ont été plus fréquentées. Les secteurs qui ont été les plus touchés sont ceux du spectacle vivant. Les petits théâtres, les petites salles de concert n'ont pas eu les moyens de reproduire leur spectacle sur les plateformes digitales contrairement aux grandes théatres nationaux.
Les ventes de certains biens culturels ont explosé. Le monde du jeu vidéo a été un grand gagnant de cette pandémie. Le monde du livre et de l'édition a su rebondir. Les ventes de livres ont connu une forte augmentation en Amérique latine notamment.
TV5MONDE : La Covid-19 a frappé le secteur de la culture dans le monde entier. Est-ce que les pratiques culturelles ont changé en Afrique ?
Ernesto Ottone Ramirez : Les pratiques culturelles qui se fondent sur la sauvegarde et la transmission orale ont été interrompues. Nous venons de publier un rapport qui se base sur plus de deux-cent cinquante expériences de transmissions du patrimoine immatériel par l'oralité, ceux qui ont été les plus affectés sont les peuples indigènes.