Fil d'Ariane
Des activistes clament des slogans pendant une marche contre le réchauffement climatique à Varsovie en Pologne le 16 novembre 2013 à l'approche d'une conférence aux Nations unies pour préparer la COP 21.
Tous les regards vont être braqués sur la France. Du 30 novembre au 11 décembre 2015, Paris accueille la 21e conférence des parties de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, plus communément appelée COP-21. L’objectif ? Obtenir un accord entre les pays participants afin de maintenir le réchauffement de la planète en dessous de 2°C.
Sur le site officiel du gouvernement français pour l'événement, on parle d’une « échéance cruciale ». La ministre de l’Ecologie Ségolène Royale insiste sur le fait que « nous devons mettre tout en oeuvre pour réussir le sommet mondial de 2015 ». « Cela doit marquer un tournant », appelle encore de ses voeux Christiana Figueres, secrétaire exécutive de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques.
Que d’attentes pour cette conférence sur le climat qui doit pallier les échecs des précédentes éditions. Elle promet d’être « le plus grand événement international jamais organisé sur le sol français », a annoncé le ministre des Affaires étrangères français Laurent Fabius, le 27 mai. Le budget pour ce « mega-sommet » devrait atteindre 187 millions d’euros. « Nous devons accueillir 196 délégations, plus de 40 000 participants. la moitié d’entre eux représentent la société civile : syndicats, ONG, mouvements de jeunesse, populations autochtones…sans compter les 3 000 journalistes », a énuméré le ministre.
De quoi offrir une vitrine internationale exceptionnelle aux préoccupations environnementales et une scène internationale aux participants pour se faire entendre. Et pourtant... Même si les projecteurs seront braqués sur Paris, tout ne se jouera pas en cette fin d'année.
Depuis plusieurs mois, les réunions se succèdent : Berlin, Genève, Bonn en ce moment jusqu'au 11 juin. Des discussions se tiendront également aux Nations unies à New York le 29 juin, à l’assemblée générale de l’ONU en septembre, et lors d’un G20 en Turquie en novembre. Au cours des dernières semaines, déjà 37 pays ont officiellement annoncé leur engagement de réduction de leur émission de gaz à effet de serre : Etats-Unis, Union européenne, Canada, Russie et Maroc. D’autres pourraient bientôt faire des annonces comme le Japon, la Chine et l’Australie. Mais aucun accord satisfaisant pour toutes les parties ne semble pour l'instant émerger des discussions.
Alors que ces réunions se multiplient, cela signifie-t-il que tout sera donc décidé avant que la COP 21 ouvre officiellement ses portes ? « Dans les négociations actuelles (comme à Bonn, ndlr), il n’y a que les Etats, les représentants des gouvernements qui négocient. C’est pareil pour la COP 21. Les ONG seront présentes mais comme observatrices. Les négociations sont aux mains des Etats », explique François Gemenne, directeur exécutif du programme politique de la terre à Science Po Paris et chercheur aux universités de Versailles et de Liège.
Les ONG ont un rôle officieux important.
François Gemenne, chercheur.
Quel pouvoir peuvent donc encore avoir les ONG, les représentants de localités, des populations autochtones sur les négociations si seuls les Etats ont leur mot à dire? « Les ONG ont un certain pourvoir d’influence en faisant du lobbying auprès des gouvernements, souligne François Gemenne. Elles ont un rôle officieux important. En étant présentes sur les négociations depuis le début, beaucoup d’ONG en deviennent spécialistes. Elles sont donc utilisées par les négociateurs comme une ressource pour les aider à mieux comprendre et à naviguer dans les négociations tout simplement parce que, parfois, les négociateurs sont nouveaux, peu habitués aux négociations, et vont donc chercher dans les ONG une certaine forme d’expertise. »
Qui sont les « observateurs » de la COP21?
Sous ce « label » sont réunis neuf collectifs : les milieux professionels et industriels, les ONG, les administrations locales et les autorités municipales, des organisations représentant les peuples autochtones, des instituts de recherche, des organisations syndicales mais aussi sur les femmes et le genre, des organisations de jeunesse et également agricoles.
Observatrices et faute de pouvoir influer directement sur les accords scellés entre Etats, les ONG entendent donc jouer de leur influence auprès des participants pour peser en amont sur les négociations. Mais pas seulement. Certaines voient dans cet événement d'autres utilités. Plus que jamais, ce type de réunion internationale peuvent servir les desseins des organisations non gouvernementales.
Photo du président Barack Obama, le 19 décembre 2009, lors d'une manifestation lors de la conférence sur la climat de Copenhague.
C'est l'occasion de continuer à sensibiliser, à porter leur message auprès d'une plus grande audience. « Pour nous, que ce soit Lima ou Paris, ce sont des arènes de négociations qui sont indispensables, parce qu'elles lancent des signaux à travers la planète. Elles donnent des directions mais elles ne seront jamais suffisantes », expliquait Sébastien Blavier, responsable éducation énergie-climat pour Greenpeace, à notre journaliste en novembre 2014 lors d’une réunion préparatoire.
D’autres utilisent l'échéance de la conférence comme un moyen de pression sur des entreprises. Des ONG comme Les Amis de la terre ou Attac sont parvenues à pousser la Société générale à se retirer du projet Alpha Coal de mine de charbon en Australie. Parmi les moyens de pression ? « Une campagne ininterrompue pendant l’année 2015 qui culminerait pendant la COP 21 par une marche entre 21 agences de la Société générale qui se trouvent près des Champs-Elysées, assurant ainsi un coup de projecteur mondial sur les investissement climaticides de la banque », explique Jean-Noël Etcheverry, membre de la coordination européenne des Alternatiba. Mauvaise image assurée. La banque s’est retirée du projet.
« Il s’est passé la même chose avec Les Amis de la terre qui demandaient à Engie (anciennement GDF-Suez, ndlr) de se retirer d’un projet catastrophique (de centrale à charbon, ndlr) en Afrique du Sud », ajoute-t-il. L'ONG a gagné. « Utiliser la caisse de résonance internationale énorme que représente la COP 21, explique Jean-Noël Etcheverry, peut nous permettre de gagner des batailles en pointant des entreprises qui ont tout à perdre au niveau de leur marque si elles apparaissent au grand jour comme les responsables du changement climatique. »
Ce militant écologiste croit aussi au pouvoir mobilisateur et catalyseur de la COP 21: « Si on est intelligent, et si on "la joue stratégique", on peut gagner un certain nombre de batailles grâce à l’impact qu’aura la COP 21. Il ne faut pas se résigner, il faut utiliser cette opportunité pour construire aussi un mouvement de masse. »
Un accord met après trois quatre ans à être décliné en législations nationales
Jean-Noël Etcheverry d'Alternatiba.
Même si ces grand-messes environnementales peuvent, en effet, apporter un écho au message des ONG, un moyen de pression sur certaines entreprises, l'emprise de la société civile sur les décisions internationales peut paraître limitée.
Les militants savent aussi que même s'ils ont peu leur mot à dire sur ce qui sera décidé en haut lieu, l'accord ne prendra pas effet, de toute façon à court terme ou ne suffira pas à changer la donne climatique rapidement : « Un accord met après trois quatre ans à être décliné en accords, en législations nationales », explique Jean-Noël Etcheverry, d'Alternatiba dont il existe 70 groupes en Europe. « C’est une chose qu’un texte sorte de la COP 21, mais toute autre chose est la façon dont le texte va être ensuite mis en application. »
Certains dans la société civile ne sont pas dupes des accords internationaux : « Que l’on fasse des réunions pour qu’on en parle, c’est très bien car c’est comme ça que l’on peut travailler sur des synergies », explique Rima Tarabay, docteur en géographie sur les questions de développement durable et environnementales. « Mais ce qui me pose un vrai problème c’est que c’est de la façade, et après, il n’y a pas de suivi, ni de concrétisation réelle de ce qui a été statué. »
A la lourdeur évidente des mesures internationales qui peuvent être décidées, les organisations de la société civile n'attendent pas pour agir. Elles préfèrent les actions individuelles, parfois locales pour faire avancer les choses et répandre les bons comportements : « C’est vrai que c’est à une petite échelle, reconnaît Rima Tarabay. Mais à partir du moment où les gouvernements ne mettent pas vraiment en application les accords auxquels ils participent dans les grandes conférences, finalement est-ce qu’il n’est pas plus intéressant de travailler sur de plus petits actions qui peuvent faire tache d’huile. » Et c’est le type de projet qu’elle mène depuis 2012. Présidente de Ecotown, elle a mis en place un réseau de villages écologiques sur tout le pourtour méditerranéen.
Même conviction du côté de Jean-Noël Etcheverry. Il vient de lancer un tour de France en vélo pour sensibiliser au problématiques climatiques : « Il est temps de faire passer à une échelle de masse les centaines d’alternatives qui existent déjà mais qui sont pour l’instant pratiquées à des niveaux de niches. Les populations ont un pouvoir énorme aujourd’hui pour enclencher vraiment la transition à partir du bas et pour interpeller avec d’autant plus de force et dire : "on s’y est mis alors suivez le pas !" » A bon entendeur...