Ce samedi matin, la présidence française de la COP21 présentait un projet d'accord sur le climat, fruit de 12 jours de négociations, annonçant des résultats parfois inespérés - limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré, par exemple, au lieu des 2 degrés attendus. Laurent Fabius et François Hollande ont délivré des discours forts, chaleureux, pleins d'émotion et très applaudis. Que s'est-il joué en coulisses pour parvenir à ce résultat ? Décryptage de Pierre Radanne.
Pierre Radanne, président de l’association 4D, “Dossiers et Débats pour le Développement Durable”, un “think tank” citoyen sur la transition vers un développement durable.
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Que s'est-il passé ces dernières heures au Bourget ?
Jusqu'à hier, tout s’orientait comme il se doit et puis tout à coup, un accident : les Etats-Unis annoncent qu’ils ne veulent plus que les 100 milliards de dollars (d’aide aux pays les plus démunis, ndlr) soit stipulés dans le texte d’accord, mais qu’ils veulent les inclure dans la décision (l’accord ayant une valeur contraignante, contrairement à la décision). Ils n'ont rien dit en plénière ; c'est un coup d'éclat qu'ils ont fait dans une réunion bilatérale.
Tout à coup le processus se trouvait déséquilibré : jusque-là, on demandait aux 195 pays de la planète de s’impliquer avec, en contrepartie, la mise à disposition des moyens technologiques, mais surtout financiers nécessaires. Là, on maintient les obligations des pays les moins riches, mais on retire les financements. La symétrie est rompue – par une décision politique. Les Etats-Unis avaient-ils prémédité leur décision pour pulvériser le processus à la dernière minute ? Difficile de le dire - il n'y a pas si longtemps que cela, un coup de colère des Etats-Unis suffisait à pétrifier le monde... Mais ce matin, la présidence française semble avoir réussi à « rattraper le coup ».
De quelle manière ?
Dans le projet présenté ce matin, relativement peu de choses ont été changées par rapport au texte précédent. Ce sont les formulations les plus claires et nettes qui ont été retenues, mais sans grosses modifications. L’énorme changement, c’est le ton de la réunion de Paris de ce matin. Fabius, puis Ban Ki-moon et Hollande, passant outre les règles des Nations unies usuelles, ont invoqué l’intérêt supérieur de l’humanité, qui doit passer avant la recherche d'un centre de gravité entre les Etats. Autrement dit : « Là où vous n’avez pas tranché, nous l’avons fait dans ce texte. » Ce faisant, ils ont renforcé l’objectif d’ambition.
Ils ont répondu à l’affaiblissement des moyens par un renforcement du discours politique. Les discours forts de Fabius et Hollande étaient chargés de chaleur et d’émotion, en insistant sur 1,5 degré au lieu de 2 degrés. L’affaiblissement des moyens n’est pas non plus total, puisque l’accord prévoit d’augmenter les moyens dès 2025 par rapport aux engagements de 2020 - une hausse inscrite dans l’accord.
Alors 2 degrés ou 1,5 degré ?
Dans l’optique de mettre fin aux tergiversations et d’opter pour un objectif fort à Paris sur lequel on ne reviendra plus, les dirigeants ont fait preuve d’un volontarisme politique un peu dangereux, car d’un point de vue scientifique, on ne sait pas comment faire pour limiter le réchauffement à 1,5°. Il y a aussi la question des moyens qui pose problème : que faire concrètement d’ici 2020 pour limiter le réchauffement ? Puis que faire pour 2025 ?
Comment comptabiliser les 100 Mrd pour aider les pays les plus démunis ?
Il n’existe pas de règles des comptabilisation. Elles restent à déterminer au Maroc, l’année prochaine. Selon le calcul de l’OCDE, on atteint 61,8 Mrd. Selon le tour de table de Lima, début octobre 2015, on est à 83 Mrd – la France a rajouté 2 Mrd, par exemple. Mais ici, à Paris, personne n’a mis d’argent sur la table, sauf les Canadiens qui ont promis 500 millions supplémentaires en cinq ans. Derrière la « dramatisation » de ce matin, il y avait d’autres cibles.
Lesquelles ?
L’intention de marquer politiquement l’occasion, à la fois dans le contexte français, mais surtout au niveau international. L’intention de transformer la crise en mutation. Avec de l’émotion, de la chaleur, on imprègne les esprits, les médias et l’opinion publique : « Aujourd’hui quelque chose va changer dans votre vie ! » Mais aussi une autre préoccupation : face à la difficulté de mobiliser les finances, notamment publics, la volonté d’envoyer un signal fort au monde financier et technologique pour qu'ils changent résolument d’orientation et y mettent les moyens. Et le pari de la présidence française de la COP21 semble plutôt réussi.