Fil d'Ariane
Bloquer la circulation, perturber un défilé de mode, envahir le tarmac d’un aéroport… Les actions de « désobéissance civile » du mouvement écologiste Extinction Rebellion se veulent spectaculaires. En octobre dernier, le mouvement international s’était fait remarquer à Londres en bloquant la circulation de la capitale britannique à l’approche de la COP26. Les principales revendications d'Extinction Rebellion sont-elles entendues par les dirigeants politiques ? Quelle est l’efficacité de ces nouveaux modes d’actions ?
Charlotte Secco, chercheuse associée à l'IRNC (Institut de recherche sur la résolution non-violente des conflits) et autrice du sujet de recherche "La désobéissance civile dans le cadre de la mobilisation climat", revient sur l'histoire de ce mouvement.
Si le but, c'est que les gouvernements prennent en compte leurs revendications, alors c'est clairement un échec (...). Par contre, en terme de sensibilisation, il y a une vraie réussite.
Charlotte Secco, chercheuse associée à l'IRNC
TV5Monde : Le mouvement Extinction Rebellion s'est fait connaître à travers ses actions de désobéissance civile. Est-ce une nouveauté dans l'histoire du militantisme ?
Charlotte Secco : La désobéissance civile, c’est un mode d’action qui ne date pas d’hier. Le mouvement des droits civiques aux États-Unis ou d’indépendance en Inde dans les années 1920 sont des cas d’école. Mais on peut clairement parler d’un renouveau dans la désobéissance civile et dans sa manière d’être appliquée autour de la question du climat.
Je dirais qu’elles ont de plus en plus l’aspect de spectacle. Il y a toute une mise en scène. C’est plus de la sensibilisation que de l’action directe.
Dans le mouvement d’indépendance en Inde par exemple, Gandhi (ndlr. père de l'indépendance indienne (1869-1948)) appelait la population à désobéir en boycottant du textile anglais, en les incitant à filer le coton eux-mêmes, ce qui impactait directement la production du textile.
Dans le cadre de la mobilisation climat, en revanche, l'idée c’est de montrer que c’est possible de faire autrement. Les militants d'Exctinction Rebellion ont besoin d’être plus nombreux. C’est une première étape.
Quels sont les mouvements de la société civiles mobilisés pour le climat en Europe ?
26 ans après la première COP de Berlin en 1995, la colère face à l’inaction des dirigeants ne désemplie pas. Des nouveaux mouvements, initiés par de jeunes militants, privilégient de nouvelles formes d’actions.
Tout commence durant l’année 2018. La première grève scolaire pour le climat est lancée par Greta Thunberg le 20 août 2018 devant le Riksdag (Parlement suédois). L'adolescente suédoise explique aux journalistes conviés qu'elle n'ira pas à l'école jusqu'aux élections générales du 9 septembre 2018.
Elle continue, après les élections, à faire grève chaque vendredi, attirant ainsi l'attention du monde entier sur son nouveau mouvement baptisé Fridays for Future (Youth for Climate en France, Chypre, Belgique et au Luxembourg).
La même année, le mouvement social écologiste Extinction Rebellion nait au Royaume-Uni en 2018. Il revendique lui l'usage de la désobéissance civile non-violente afin d'inciter les gouvernements à agir. Il se fait connaître à travers des actions de sensibilisation dans le monde entier.
En France et en Belgique, les juristes se saisissent également de la cause. L’association française "Notre Affaire à Tous" et l'association belge "L'Affaire Climat" ont attaqué en justice leurs gouvernements respectifs pour inaction climatique.
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L’autre particularité, c’est que le mouvement d’Extinction Rebellion est vraiment international et pas seulement d'un point du vue occidental. Les réseaux sociaux ont permis aux gens de communiquer plus facilement et donc d'internationaliser le mouvement. Ainsi, lorsque Extinction Rebellion avait été créé, ses membres fondateurs avaient lancé un appel à rejoindre le mouvement. Le premier pays ayant répondu à leur appel était l’Ouganda.
Il y a de nombreuses cellules assez actives en Afrique du Nord, en Afrique Subsaharienne. Les militants africains font surtout des manifestations mais le contexte politique est très différent. Les risques encourus ne sont pas du tout les mêmes.
Il y a une scission au sein du mouvement entre ceux qui tendent vers des actions plus virulentes et ceux qui défendent les actions de sensibilisation.
Charlotte Secco, chercheuse associée à l'IRNC
TV5Monde : Les actions de désobéissance civile se multiplient, les actes politiques ne semblent pas eux être au rendez-vous. Quelle est l'efficacité de ces actions ?
Charlotte Secco : Tout dépend de l’objectif fixé. Si le but, c’est que les gouvernements prennent en compte leurs revendications, alors c’est clairement un échec. Il n’y a qu’à voir ce qui s’est passé notamment dans le cadre de la Convention Citoyenne pour le Climat par exemple. Les propositions énoncées par cette Assemblée de citoyens tirés au sort avaient majoritairement été rejetées par le gouvernement.
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Par contre, en terme de sensibilisation, il y a une vraie réussite. Déjà, les mouvements climats font énormément parler d’eux. Ils sont largement médiatisés. Ensuite, ce qui se passe à l’intérieur même d'Extinction Rebellion est très intéressant. Au sein du mouvement, on a des gens qui se politisent vraiment, qui s’informent vraiment et donc il y a une prise de conscience.
TV5Monde : Face à cette prise de conscience, des ponts peuvent-ils se créer entre les militants et les gouvernements ?
Charlotte Secco : En France, les ponts entre le gouvernement et le mouvement climat sont quasi-inexistants. Je pense qu’on peut attendre longtemps avant qu’Emmanuel Macron invite un membre d’Extinction Rebellion à venir parler avec lui à l'Élysée. En réalité, c’est compliqué par qu’Extinction Rebellion est un mouvement politique certes mais "apartisan."Il ne peut pas appartenir à un parti.
Sandrine Rousseau (ndlr. ancienne candidate écologiste à l'élection présidentielle française) avait dit que si elle arrivait au pouvoir, elle aimerait travailler avec Extinction Rebellion. Le mouvement n'a lui pas réagi à cette annonce.
Ce qui est voulu à l'échelle des gouvernements, c’est surtout que les revendications des militants se fassent entendre. Les gouvernements les écoutent-ils ? Je ne pense pas. Il n’y a qu’à voir les nombreux procès dont sont victimes des membres du mouvement.
Il y a de plus en plus de débats autour de l'idée de développer des actions de sabotage.
Charlotte Secco, chercheuse associée à l'IRNC
TV5Monde : Si la communication est difficile avec les États, le mouvement peut-il aller plus loin dans sa démarche ?
Charlotte Secco : Pendant ma recherche sur Extinction Rebellion, j'ai pu observer il y avait de plus en plus de débat autour de l’idée de développer des actions de sabotage.
D'ailleurs, la semaine dernière, une autre organisation, "Les soulèvements de la terre" est allé saboter des cuves destinées à l’agriculture industrielle. En effet, les industriels puisent l’eau de nappes phréatiques pour les mettre dans des cuves qui serviront ensuite à l’agriculture intensive. Mille cuves de ce genre doivent être construites en France dans les années à venir. C’est un drame écologique. Ce type de sabotage doit-il être considéré comme une action de désobéissance civile, et donc non-violente ? Il y a débat.
Il y a une scission au sein du mouvement entre ceux qui tendent vers des actions plus virulentes et ceux qui défendent les actions de sensibilisation. Il faut voir comment la situation va évoluer.