COP26 : "L'inaction des États a été très violente pour nous, la jeunesse"

"Il faut tenir ces promesses. Nous ne ferons pas de compromis là-dessus." Déterminée, Elizabeth Gulugulu, militante écologiste du Zimbabwe, l'était pour sûr à quelques jours du Sommet de Glasgow. Avec Kévin Ossah, activiste du Togo, nous les avions interrogés avant la COP26. "Échec", "agenda politique placé avant l'urgence climatique", les jeunes militants dressent aujourd'hui un constat morose de l'accord final.

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activistes COP26

Des activistes manifestent à l'entrée du Sommet de la COP26 à Glasgow, en Écosse, le 12 novembre 2021.

AP/Alastair Grant
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TV5MONDE : Si vous deviez utiliser un terme pour qualifier les résultats des négociations de la COP26 ?  
 
Elizabeth Gulugulu : Ce serait “échec”. J'étais déjà à la COP25 à Madrid en 2019, où les négociateurs n'avaient déjà pas pu établir beaucoup de consensus, notamment concernant l'article 6 qui établit le fonctionnement des marchés carbone. Cette COP avait pour objectif de trouver des solutions à ces négociations laissées en suspens. Toutefois, concernant le mécanisme de pertes et préjudices, seuls des acteurs comme la Wallonie ou l’Ecosse ont bien voulu apporter leur soutien financier. Nous sommes déçus sur le manque de solidarité climatique et la question de l’accès aux financements.  

Voir aussi : Fin de la COP26 à Glasgow : un bilan plus que mitigé

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Cette année, les pays les plus développés ont encore reporté leur aide annuelle de 100 milliards de dollars par an dédiée aux pays du Sud qui était prévue depuis la COP15 de Copenhague. Ça a été très violent pour nous. Parce que les pays en développement auront besoin de cet argent pour s'adapter, pour créer des moyens innovants pour assurer leur sécurité physique, de leur habitation, de leur alimentation. 
 
Kévin Ossah : Je ne suis ni ému ni étonné de ces résultats. Il fallait s’y attendre. Lors des COP, les pays riches ont toujours usé de leur force de frappe pour mettre en avant et exiger ce qui les arrange. Les pays pauvres subissent en retour le sort des négociations. Toutefois, au vu des impacts sur les communautés et en tant qu'acteur de terrain, cela reste déplorable.

Personne n'est là pour aider personne. Aucun pays n'est là pour avoir pitié de l'autre.

 Kévin Ossah, militant togolais

Glossaire de la COP26

Marchés carbones :  Ce mécanisme permet d'échanger des droits d'émission de CO2. Chaque année, les États sont autorisés à émettre un certain quota de CO2, les ETS. S'ils produisent plus de CO2 que la quantité de leurs quotas ne leur permet, ils devront acheter des quotas aux États qui polluent moins. 

Mécanisme de pertes et préjudices : Ce mécanisme de financement permettrait aux pays les plus développés d'aider les pays les plus vulnérables de faire face aux effets néfastes du changement climatique sur les systèmes humains et naturels.

TV5MONDE : Le mécanisme de financement de pertes et préjudices qui avait été proposé par les pays les plus vulnérables a été torpillé au final par les États-Unis et l’Union européenne. Quelle est votre réaction ?  
 
Elizabeth Gulugulu : Nous devons comprendre que si nous n'avons pas de pays volontaires pour venir en aide aux pays en développement, cela signifie plus de morts, plus de pertes d'infrastructures, de pertes de cultures... C'est un phénomène global qui nous touche tous. Lors de la COP25, la difficulté première qui avait empêché le mécanisme d’être finalisé était de trouver qui allait financer le projet car les Etats-Unis étaient en train de se retirer de l’Accord de Paris.  
 
Aujourd’hui, certains acteurs comme l’Union européenne sont peureux de s’engager dans des financements, notamment parce qu’eux-mêmes sont touchés par des effets du réchauffement comme les inondations qui ont dernièrement touchés l’Allemagne.  

Voir aussi : COP26 : qu'en est-il de l'Afrique ?

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Kévin Ossah : Personne n'est là pour aider personne. Aucun pays n'est là pour avoir pitié de l'autre. Tant qu'on ne subit pas l'impact des changements climatiques comme les autres on ne prend pas la peine de chercher des solutions efficaces. En revanche, c’est un peu honteux de la part d’acteurs comme les États-Unis qui a tous les moyens, de ne pas participer à cette forme de soutien. On fait du bruit, mais pour autant, on ne prend pas des décisions correspondantes au bruit que l'ont fait.  
 
Alors que ce mécanisme pourrait avoir des effets très concrets. Une semaine avant la COP26, je me suis rendu sur une plage du littoral togolais. J’y ai rencontré un habitant, âgé aujourd’hui de 80 ans, qui vivait dans une maison située à 3km de la mer du temps où il l’a construite. Aujourd’hui, sa maison est sur la plage, et commence même à être rongée par le sable. L'État togolais ne peut pas lui venir en aide, car il n'en pas les moyens (financiers).

Ce que gagne le Togo, après cette COP26, ce ne sont que des promesses. 

Kévin Ossah, militant togolais

TV5MONDE : La COP26 a été qualifiée par des observateurs de COP “la plus blanche et la plus privilégiée”. Pensez-vous que la crise climatique peut-être résolue au sein de COP ?  
 
Kévin Ossah : Depuis 2014, je suis de près les différentes COP. Celle-ci était la première à laquelle je me rendais. Les COP font en quelque sorte, partie du jeu, du business. Ce n'est certes pas des endroits où des décisions fortes vont être prises, mais c’est cela permet de rassembler un large nombre de personne, de jouer sur l’émotion. 
 
Après, personnellement, je ne crois ni aux décisions et ni aux promesses mais seulement aux actions. Si un pays essaie d’avancer à son échelle mais ne se rend pas aux COP, cela reste bien plus efficace que ceux qui se rendent à chaque COP et ne mettent en place aucune décision. 

Voir aussi : Cop26 : déception des activistes à Dakar

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Elizabeth Gulugulu : Les solutions à la crise climatique viennent du terrain et des militants. Le but de ces plateformes créées par les Nations Unies, est cependant de créer une coopération entre les pays. Cependant, vous vous rendez vite compte au sein des COP que lorsque les États n'arrivent pas à trouver de points d’accords, même sur les négociations les moins engageantes, cela est lié souvent à des dissensus politiques. C’est le cas notamment entre la Chine et les États-Unis. Leurs désaccords influencent beaucoup le résultat des négociations.  
 
On ne peut pas continuer à placer des intérêts politiques dans tous les débats entrepris, encore plus quand on parle de vie ou de mort de population. La crise climatique ne devrait pas être vue comme un débat politique mais comme une urgence. La volonté de placer son agenda politique avant tout est la principale raison pour laquelle nous n’arrivons pas à atteindre de consensus sur des accords vitaux.

Si les participants à la COP pouvaient avoir la même mentalité que la jeunesse, on serait aujourd'hui beaucoup plus avancés sur la cause climatique. 

Elizabeth Gulugulu, activiste zimbabwéenne

TV5MONDE : Quel aspect positif à tirer de la COP26 ? 
 
Kévin Ossah : Ce que gagne le Togo, en tant que petit pays d’Afrique, ce ne sont que des promesses. La situation particulière de l'Afrique a été refusée dans le cadre d’un plaidoyer qui visait à faire reconnaitre que l'Afrique a contribué seulement à hauteur de 3 à 4% aux émissions historiques de gaz à effet de serre. Le fonds spécial voulu par les pays africains pour financer l’adaptation aux effets du réchauffement climatique a été refusé. Cela reste peut-être un point de départ pour des négociation prochaines. 
 
Toutefois, la place et le rôle de la jeunesse ont été reconnus dans le texte final de la COP26, ce qu'on n’avait jamais fait avant.  

Voir aussi : Fin de la COP26 : "Ce bilan est une tragédie pour l'humanité"

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Elizabeth Gulugulu : La jeunesse s’est mobilisé tout du long de la COP. En dehors de la COP, ils ont réussi à s’organiser pour des marches, des rassemblements et différentes actions. Si les participants à la COP pouvaient avoir la même mentalité que la jeunesse, on serait aujourd'hui beaucoup plus avancés sur la cause climatique. Désormais, nous n‘avons plus envie de parler de projet ambitieux mais d'actions ambitieuses. 
 
Au sein de la COP, de jeunes négociateurs étaient aussi présents aux tables des négociations. Nous avons montré que nous pouvions nous rendre dans la rue mais que nous pouvons aussi intervenir dans un cadre plus formel. Même si nous n’étions pas nombreux, cela reste assez inédit et je tiens à souligner leur rôle.