Fil d'Ariane
Sur les rives glaciales de la mer du Nord, un "cimetière" en construction suscite les espoirs d'experts du climat : bientôt, le site accueillera une petite partie du CO2 émis par l'industrie européenne, évitant ainsi qu'il ne finisse dans l'atmosphère.
L’être humain développe de plus en plus de moyens techniques de séquestration du CO2. Quelles méthodes existe-t-il et quelle peut être leur importance ? Troisième et dernier volet de notre série sur les différentes manières de capter le CO2.
Dans la localité d'Øygarden, sur une île toute proche de Bergen (ouest de la Norvège), un terminal en cours de construction réceptionnera d'ici quelques années des tonnes de CO2 liquéfié, acheminé du Vieux Continent par bateaux après avoir été capté à la sortie des cheminées d'usines.
De là, le carbone sera injecté via un pipeline dans des cavités géologiques à 2600 mètres sous les fonds marins. Avec l'ambition qu'il y reste indéfiniment.
C'est "la toute première infrastructure de transport et de stockage en accès libre du monde, permettant à tout émetteur qui a capté ses émissions de CO2 de les voir prises en charge, transportées et stockées de façon permanente en toute sécurité", souligne le directeur de projet, Sverre Overå.
Longtemps perçue comme une solution techniquement compliquée et coûteuse à l'utilité marginale, la piste de la capture et du stockage de carbone (CCS) est désormais en vogue sur une planète qui peine à réduire ses émissions malgré l'urgence climatique.
Aujourd’hui, certaines entreprises captent le CO2 dans les fumées, directement émises par les usines. C’est la technique la plus courante et surtout, la plus simple, vers laquelle les industriels se tournent, car le gaz est très concentré dans ces fumées et est donc… plus facile à capter. Le but est de décarboner les activités polluantes sans pour autant les stopper ou modifier les processus de production.
Depuis 1996, le pétrolier norvégien Equinor adopte cette technique dans le champ de gaz de Sleipner, où il capture près d’un million de tonnes de CO2 chaque année. Le dioxyde de carbone capté sur la plateforme est envoyé, directement vers les fonds marins, où il est ensuite stocké dans les profondeurs saumurées, c'est-à-dire concentrées en sel. C’est ce que l’on appelle la technologie CCS (Carbone Capture and Storage : captage et stockage du carbone).
Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la généralisation de cette technique à la production d’énergie et à l’industrie sera nécessaire afin de mettre en oeuvre l’Accord de Paris sur le climat.
Pour l’agence, la combinaison de deux leviers doit permettre d'atteindre la neutralité carbone : la baisse massive de la consommation des énergies dite carbonées (charbon, pétrole et gaz), notamment dans les industries et le stockage du CO2 dans les sous-sols, avant qu’il ne soient émis dans l’atmosphère.
Si la technique utilisée par Equinor est utilisée au large de la mer du Nord, cela est également possible sur la "terre ferme". Ce procédé est pertinent, notamment dans le cas d'industries dites lourdes, telles que l'aciérie, cimenterie, ou encore l'industrie chimique.
Aujourd'hui, on estime le captage et le stockage du dioxyde de carbone, dans les fumées d'usines, à environ 40 millions de tonnes par an.
Si cette technique est la plus efficace, un autre procédé est en train de voir le jour : celui du captage du CO2, directement dans l’atmosphère. C’est notamment le projet d’Orca, en Islande. Le 8 septembre dernier, celle qui est devenue la plus grande usine au monde de captage de dioxyde de carbone dans l'air puis de son stockage souterrain a été mise en service.
Le processus de l’usine Orca consiste à aspirer le CO2, directement présent dans notre atmosphère, puis de le diriger vers un collecteur, équipé de filtres. Une fois celui-ci saturé, la température est augmentée pour libérer et isoler un CO2 très concentré. Ce dernier est ensuite injecté dans le sous-sol, à près de 1000 mètre de profondeur. Le processus s'effectue grâce à l'énergie émise par la centrale géothermique de Hellisheiði, située à proximité de l’usine.
Selon la start-up suisse Climeworks AG et la société islandaise Carbfix, toutes deux à son origine, l'usine est en capacité de retirer 4 000 tonnes de CO2 de l’atmosphère, chaque année. Cela représente une étape de franchie, notamment car les quinze autres usines de ce type, présentes à travers le monde, capteraient, au total, 9000 tonnes de CO2 par an.
Néanmoins, c'est une goutte d’eau si l’on met en balance les 40 millions de tonnes de CO2 captés, chaque année, dans les fumées industrielles, mais aussi si on met ce captage en rapport avec les émissions de gaz carbonique à travers le monde.
En 2020, les émissions mondiales de CO2 étaient estimées à plus de 30 milliards de tonnes (une baisse de 5,4% notamment avec les différents confinements mondiaux). Selon l’étude du Global Carbon Project, groupe international de 86 chercheurs sur le climat, publiée le jeudi 4 novembre, ces émission devraient augmenter de 4,9% en 2021 et atteindre les 36,4 milliards de tonnes en 2021.
(Re)voir : les émissions de CO2 reviennent à leur niveau d'avant la pandémie
Néanmoins, le projet Orca n'en est encore qu'à sa genèse et il présente plusieurs inconvénients. Le dioxyde de carbone étant bien moins concentré dans l’air (400ppm, soit 0,04%) que dans les fumées d’usines (environ 10%), il devient plus difficile à capter. La captation devient donc plus coûteuse.
Un coût dupliqué le caractère énergivore de la technique, car, si le projet islandais Orca s’appuie sur la géothermie pour mettre son procédé de captage en oeuvre, tous les contextes n’y sont pas forcément propices.
Il faut donc disposer de moyens en énergies renouvelables suffisant pour que cela fonctionne. Pour Florence Delprat-Jannaud, responsable de programme au sein de l'IFP Energies nouvelles, "il ne s’agirait pas d’utiliser de l’énergie carbonée, pour finalement capter du dioxyde de carbone, ce serait incohérent et le compte n’y serait pas".
Pour la spécialiste, "le captage sur les fumées industrielles coûte déjà plus cher que de ne rien faire, alors imaginez lorsque, dans l’air, le CO2 est 300 fois moins concentré !".
Capter le CO2 dans l’air n’est donc absolument pas rentable, aujourd’hui. Le scénario de la généralisation de ce type de captage est d’ailleurs envisagé après 2040, par l’AIE.
Selon Florence Delprat-Jannaud, "il y a encore de gros efforts à faire en terme de recherche, afin de rendre ce type de projets économiquement viable". "Ce qu’il faut, c’est déjà capter le CO2 dans les fumées d’usines, là où il est le plus concentré", ajoute-t-elle.