Fil d'Ariane
Les COP sont souvent décriées pour être le théâtre d'annonces de promesses non tenues par les pays pollueurs. La question de la justice climatique est toutefois au coeur de cette édition à Charm El-Cheikh, en Égypte. Entretien avec Fanny Petitbon, chargée de plaidoyer chez CARE France, association de lutte contre la pauvreté.
Fanny Petitbon, chargée de plaidoyer chez CARE France : La question n'est pas de savoir s'il est permis, il faut avoir de l'espoir. Les scientifiques le disent, il est encore possible de rester sous les 1,5 degrés de réchauffement climatique. Le problème c'est que la volonté politique n'est pas là.
À Glasgow, il avait été acté que les pays soumettent un nouveau plan climat d'ici fin septembre pour annoncer leurs objectifs. Seulement 29 pays l'ont fait. Et parmi eux, seul l'Australie est un gros émetteur. Si on veut rester sur une trajectoire d'1,5 degrés, il faudrait que les émissions globales d'ici 2030 de GES (Gaz à effet de serre) diminuent de 45% et pour l'instant on est sur une trajectoire d'augmentation de 10%. Comment garder espoir en effet ?
L'opportunité de rester sous les 1,5 degré reste malgré tout possible. Mais ça signifie qu'il faut enclencher des changements majeurs rapidement notamment dans les modes de productions, de consommations, de déplacements.
TV5MONDE : Quels ont été les mauvais élèves en terme d'engagement climatique ?
Le Costa Rica, qui était l'un des champions de l'action climatique, est revenu sur ses engagements en terme d'investissements politiques. Ils ont réduit leur rôle dans la coalition « Beyond Oil and Gas Alliance » (BOGA), qui était née à Glasgow et qui a pour objectif de minimiser l'usage du pétrole et du gaz.
Le Brésil a aussi élaboré un nouveau plan climat moins ambitieux, ce qui est contraire à l'accord de Paris. Plutôt que des cas individuels, je dirais qu'on a plutôt une tendance des États à ne pas revoir à la hausse leurs engagements.
TV5MONDE : Les échéances à 10 voire 30 ans en terme d'objectifs climatiques permettent-elles aux États de ne avoir à montrer des résultats rapides et concrets ?
Même si les engagements sont à échéance 2030 voir 2050, les États doivent mettre en place une feuille de route pour expliquer comment ils comptent atteindre leurs objectifs. L'idée est d'avoir des points d'étape réguliers. Ça pourrait d'ailleurs prochainement prendre la forme de bilans mondiaux, sujet qui sera discuté lors de la COP. L'intérêt serait de savoir où les pays en sont dans leurs objectifs de réduction des émissions, de soutien aux pays du Sud...
TV5MONDE : Où en est l'aide pour le Sud sur laquelle les pays du Nord s'étaient engagés ?
En 2009, à Copenhague, les pays du Nord se sont engagés à mobiliser 100 milliards de dollars par an au plus tard d'ici 2020 pour aider les pays du Sud à réduire leurs émissions et à s'adapter au réchauffement climatique.
Or, les chiffres sont tombés en 2020 et cet engagement n'a pas été respecté. Seulement 83 milliards ont été mis à disposition avec tout une partie sous forme de prêts et non de dons ce qui condamne les populations à un cercle vicieux de l'endettement. Beaucoup de financements ont été dirigés vers la réduction des émissions plutôt que l'adaptation des conséquences climatiques, or ces dernières ont été dévastatrices ces dernières années pour les pays du Sud.
Par ailleurs, depuis 30 ans, les petits États insulaires du Pacifique appellent à la mise en place de réparations et de compensations financières. Au fur et à mesure des années, chaque 10 ans, des miettes ont été données. Les pays riches avaient peur de signer un chèque en blanc.
Il est en effet estimé qu'il pourrait y avoir jusqu'à 580 milliards de dollars de besoins en financement par an pour les pertes et dommages dans les pays du Sud d'ici 2030. Et encore, c'est une estimation qui prend en compte uniquement les pertes économiques, c'est-à-dire les récoltes ou la destruction d'infrastructures par exemple mais ne prend pas en compte la valeur d'une vie humaine.
TV5MONDE : L'an dernier, le président congolois Tshisekedi avait expressément appelé les pays du Nord à appliquer ce mécanisme de pertes et dommages...
L'année dernière à la COP 26, les pays du Sud ont vraiment tapé du point sur la table en disant qu'ils étaient fatigués de se voir envoyer balader d'année en année dans des discours de solidarité de la part des pays du Nord. Ils ont rappelé que les pays du Nord avaient une dette climatique envers eux, d'autant plus parce qu'ils subissent les impacts terribles de ce réchauffement. Certains ont même évoqué pouvoir avoir recours à des recours juridiques pour obtenir des compensations de la part d'États et d'entreprises polluantes.
TV5MONDE : Peut-on penser que le message est passé quand on voit que la Chine et les États-Unis sont absents à Charm El-Cheikh ?
Je ne le vois pas comme ça. S'il n'y a pas de président, il y aura toujours un envoyé spécial pour le climat. Concernant les États-Unis, John Kerry a par ailleurs mis de l'eau dans son vin en reconnaissant qu'il y avait un impératif moral de la part des pays du Nord à répondre à l'appel des pays du Sud.
Maintenant, il faut voir si ces pays, principaux pollueurs, vont restés opposés à la mise en place d'un mécanisme de pertes et dommages, ou s'ils vont ressortir des solutions partielles comme l'aide humanitaire, qui n'aide pas les populations à retrouver leur vie d'avant.
La Chine, quant à elle, fait partie du groupe "G77 et Chine" qui a tapé du poing sur la table l'an dernier. L'autre question sera de savoir si les pays émergents qui polluent mais n'ont pas la même responsabilité historique que les pays du Nord devront mettre la main au portefeuille.