Fil d'Ariane
La deuxième vague d’infections au Covid-19 a commencé à déferler sur le Canada : « Nous sommes à la croisée des chemins et l’avenir est entre nos mains » a déclaré Justin Trudeau dans un exceptionnel discours à la nation. « L’automne pourrait être bien pire que le printemps. Nous sommes au bord du précipice », a averti le premier ministre en demandant à tous les Canadiens de combattre ensemble l’épidémie pour éviter le pire.
Un discours à la nation, les Canadiens n’en avaient pas entendu depuis 2008. Fait encore plus exceptionnel, cette adresse de Justin Trudeau s’est faite quelques heures après la présentation du « discours du Trône », une allocution qui ouvre les travaux du Parlement canadien en présentant le programme du gouvernement pour les prochains mois.
Le premier ministre Trudeau a averti les Canadiens que la situation pourrait être pire cet automne que celle du printemps dernier s’ils ne respectaient pas davantage les mesures barrières et qu’il fallait que tout le monde y mette du sien pour contrôler cette deuxième vague :
« Je sais qu’on peut le faire car nous l’avons fait au printemps », a ajouté le premier ministre, en enjoignant les Canadiens à continuer à porter le masque, se laver les mains, maintenir la distanciation physique, limiter les contacts et télécharger sur leurs téléphones l’application alerte COVID. « C’est un outil puissant, gratuit, qui protège votre vie privée, une autre façon de nous protéger et protéger les autres », a dit Justin Trudeau.
« Ce n’est pas le temps de faire des partys, personne n’est invincible » a lancé le premier ministre. Il a consacré le reste de son discours de 15 minutes à revenir sur les grands principes présentés plus tôt dans le discours du Trône, la relance de l’économie canadienne avec la création d’un million d’emplois, le maintien des subventions salariales aux entreprises pour les aider à garder leurs employés et des mesures spécifiques pour venir en aide aux femmes qui ont été les premières victimes du confinement sur le plan économique.
Cette relance de l’économie canadienne passera aussi par un virage vert, avec notamment le développement de l’industrie des voitures électriques. Le gouvernement Trudeau veut aussi mettre en place un régime universel d’assurance-médicament et un réseau de garde pour enfant national. « L’heure n’est pas à l’austérité » dit le gouvernement canadien et Justin Trudeau en appelle aux Canadiens pour qu’ils affrontent la crise ensemble, pour qu’ils soient solidaires. Le Canada s’approche actuellement des 150 000 cas et on rapporte plus de 9200 morts.
Tout comme au printemps, c’est dans la province du Québec que l’augmentation des nouveaux cas est la plus importante, avec près de 500 par jour depuis une semaine. Le Québec compte plus de la moitié des cas au Canada, soir près de 70 000 cas et plus de 5800 morts.
Le gouvernement de François Legault assure avoir fait tout son possible pour se préparer à cette deuxième vague. Il a tout d’abord mis en place des paliers d’alerte par région en fonction de la gravité de l’épidémie. Ces paliers se caractérisent par quatre couleurs : vert : vigilance, jaune : préalerte, orange : alerte et rouge : alerte maximale. Ainsi cette semaine, plusieurs régions sont passées du jaune à l’orange… et rares sont celles qui sont encore dans le vert.
L’objectif de cette nomenclature est d’éviter un reconfinement de la population et donc d’appliquer des mesures de contrôle en fonction de la circulation du virus dans les régions de la province. Car le gouvernement québécois le sait : l’économie de la province ne pourra pas se remettre d’un deuxième confinement, nombreuses seront les entreprises qui déclareraient faillite et nombreuses sont déjà celles qui peinent à se remettre du confinement du printemps.
« Ces paliers d’alerte par région sont une énorme amélioration par rapport à la première vague » estime l’épidémiologiste Nimâ Machouf. Elle s’inquiète par contre de la situation dans les écoles de la province car elle estime qu’elles manquent de préparation, surtout celles dans le réseau public : « C’est un casse-tête énorme et tout le monde est déjà épuisé, les écoles ne sont pas prêtes à cette gestion quotidienne. Je crois qu’il ne fallait pas rendre l’école obligatoire, cela aurait déjà réduit le nombre d’élèves par classe ».
Ceci dit, pour l’instant, seule une petite école secondaire de Montréal a dû fermer temporairement ses portes à cause du coronavirus. Des cas sont rapportés dans de nombreuses autres écoles mais il semble que jusqu’ici, la rentrée se soit quand même bien passée en ce qui concerne la gestion de l’épidémie.
La différence notable pour l’instant entre la première et la deuxième vague, c’est que, comme dans de nombreux autres pays, ce sont surtout les jeunes, entre 20 et 40 ans, qui sont contaminés, alors que la première vague a essentiellement frappé les personnes âgées au Québec. C’est ce qui explique aussi que jusqu’ici, le taux de mortalité de cette deuxième vague soit faible. « Mais attention, il faudra surveiller ça au cours des prochaines semaines, c’est dans un mois qu’on saura davantage où on en est sur ce plan » relève Nimâ Machouf.
L’épidémiologiste fait aussi remarquer que cette deuxième vague semble plus importante que la première : « Quand on regarde ce qu’il se passe au Japon, en Israël, Espagne, Australie, Iran, la deuxième est pire que la première ». Cela s’explique notamment par le fait qu’il n’y pas eu de « reconfinement » et que donc le virus circule davantage dans la population et la contagion est communautaire.
C’est sans oublier le phénomène des asymptomatiques : « C’est une personne sur deux, c’est ça qui rend le contrôle extrêmement difficile et le mode de transmission est encore très nébuleux, on sait que ça se transmet moins par contact, la voie dominante, c’est par les gouttelettes, mais il ne faut pas négliger les aérosols, ces minuscules particules qui peuvent rester dans l’air s’il n’y a pas d’aération dans la pièce ou une mauvaise aération »… Nimâ Machouf croit que les gouvernements évitent de prendre ce facteur en considération parce que cela impliquerait des interventions importantes dans les écoles, édifices gouvernementaux et autres bâtiments peu ou mal aérés afin d’améliorer justement leur aération.
Au Québec comme dans le reste du Canada, le principal message des autorités est de demander aux Canadiens de restreindre au maximum leurs contacts et réduire leurs activités sociales. Le virus raffole des soupers de famille et des fêtes privées et il semble que ce soit dans ces circonstances que les gens se contaminent actuellement. Nimâ Machouf estime également que le gouvernement québécois doit maintenant sévir envers ceux qui ne respectent pas les consignes.
La vidéo rendue publique dans un quotidien montréalais d’un restaurant de la banlieue de Montréal où les convives étaient agglutinés, sans masques, en train de se trémousser sur de la musique, en est un bel exemple : l’établissement a été visité par la police, qui a mené le week-end dernier des opérations de surveillance pendant plusieurs jours dans les bars et restaurants de la province, mais aucun constat d’effraction n’a été émis. « Le gouvernement doit maintenant être plus sévère envers les contrevenants aux mesures barrières, parce que c’est toute la société qui est pénalisée par l’inconscience de quelques-uns » conclut l’épidémiologiste. Nombreux sont ceux d’ailleurs qui estiment qu’il faut fermer de nouveau les bars et contrôler davantage les restaurants pour se donner une chance de passer à travers cette deuxième vague.