Fil d'Ariane
En ces temps d’épidémie extrêmement anxiogène pour tout un chacun, le ton pris par les dirigeants dans la gestion de la crise est important. Depuis le 12 mars, tous les jours sauf le samedi, le Premier ministre québécois tient en début d’après-midi une conférence de presse très suivie par les journalistes et la population : le « Legault show », comme certains l’ont baptisé, attire une audience de deux millions de Québécois.
Lors de ce point de presse, le Premier ministre dresse le bilan de la situation dans la province mais surtout il s’adresse directement à la population en passant des messages simples et clairs. Il conclut également chacun de ses points de presse par des remerciements personnels à des groupes ciblés qui sont au cœur de la crise. Et il présente chaque jour ses condoléances aux familles qui viennent de perdre un proche. Le ton est calme, empathique, rassurant.
« Le gouvernement Legault a pris des initiatives assez rapidement, comme le confinement de la population, explique André Lamoureux, chargé de cours à l’Université du Québec à Montréal, et on sent l’engagement personnel du Premier ministre à travers les points de presse qu’il tient depuis cinq semaines, donc ça a été rassurant pour les Québécois de voir un Premier ministre qui dirige, qui prend les choses en main ».
Pourtant, le Québec est la province la plus touchée par l’épidémie : on y recense plus de la moitié des cas du Canada. Et depuis plusieurs semaines, la crise est très grave dans les résidences pour personnes âgées : le virus est entré dans plus de la moitié des quelque 4000 résidences de la province et les deux tiers des décès enregistrés au Québec sont survenus dans ces foyers.
Enquête policière après plusieurs décès dans une résidence pour personnes âgées :
Le 17 avril dernier, François Legault a fait un mea culpa : il a reconnu que son gouvernement avait failli à sa mission de préparer ces établissements à l’arrivée du virus, et il a dit en prendre personnellement la responsabilité. « Je pense que les gens apprécient ça plutôt qu’un politicien qui parle la langue de bois, analyse André Lamoureux, et ça permet de créer un lien de confiance ». Avant la crise, François Legault battait déjà des records de popularité auprès des Québécois, avec un appui de l’ordre de 70%. L’épidémie a amplifié le phénomène.
Le Premier ministre canadien, lui, a doublé sa cote de popularité : Justin Trudeau recueille actuellement un taux de satisfaction de quelque 65% des Canadiens, versus 36% en janvier 2020.
Après des débuts hésitants et cahoteux au début de la crise notamment, « il était vaporeux et perdu » se souvient André Lamoureux, Justin Trudeau a redressé la barre dans les semaines suivantes en annonçant par exemple dans ses points de presse quotidiens des plans d’aide aux Canadiens qui ont perdu leurs emplois, aux entreprises qui se sont mises sous cloche, et aux provinces qui ont besoin d’aide.
Autant d’actions qui ont reçu le soutien des Canadiens. Il faut savoir qu’au Canada, les systèmes de santé sont de la juridiction des provinces, le gouvernement canadien ne peut donc pas s’ingérer directement dans la gestion de la crise. Mais il vient d’envoyer une centaine de militaires au Québec pour prêter main forte aux résidences pour personnes âgées frappées de plein fouet par le virus et en manque de personnel.
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Le gouvernement Trudeau a aussi assuré les commandes de matériel médical pour les provinces et téléguidé le recyclage d’entreprises canadiennes qui se sont mises à produire gants, masques, et respirateurs artificiels.
Pour Emmanuel Macron, la crise du coronavirus a eu un effet bénéfique sur sa cote de popularité : de 31% d’avis favorables en février, il est passé à 38% un mois plus tard (selon la moyenne des différents baromètres). Un sondage IPSOS mené le 25 mars indique un soutien de 44% des personnes interrogées.
Malgré ce regain de popularité, les Français ne sont pas majoritairement derrière leur président dans cette crise. La grogne populaire qui teinte le quinquennat d’Emmanuel Macron n’a pas été confinée, elle, bien au contraire. « Normalement, dans une période de crise, les gens se rallient derrière leur dirigeant, mais les discours d’Emmanuel Macron ces dernières semaines étaient assez technocratiques, il semblait coupé du réel », fait remarquer André Lamoureux.
Du côté de Donald Trump, sa cote de popularité tourne en moyenne autour de 40% depuis son entrée à la Maison Blanche. S'il a dépassé les 50% au début de la crise, il vient de retomber à 43-44% d’appui des Américains.
« C’est un peu le retour à la normale pour Donald Trump, précise Frédérick Gagnon, mais 90% des électeurs républicains continuent de l’appuyer peu importe ce qu’il se passe. La société américaine reste très polarisée, même en situation de crise nationale, et c’est une société avec deux univers parallèles depuis le début : il y a des gens qui regardent le film et qui le détestent et qui ont hâte qu’il se termine, il y a des gens qui adorent le film et ils vont l’adorer jusqu’au générique ».
Ce qui est sûr, c’est que les Américains ne sont pas tous unis derrière leur président comme ils l’ont été derrière Georges W Bush au lendemain des attaques du 11 septembre. « Trump ne fait pas beaucoup dans l’empathie, constate Frédérick Gagnon, directeur de l'Observatoire sur les États-Unis à l'Université de Québec à Montréal
Ses points de presse tournent autour de sa personne, il ne parle jamais de ceux qui vivent la crise au jour le jour ou qui sont sur la ligne de front, ça tourne autour sa réussite, le fait qu’on lui doit loyauté etc, donc cela ne l’aide pas à redorer son image auprès de personnes qui pourraient accepter de lui donner le bénéfice du doute ». En comparaison, Andrew Cuomo, le gouverneur de l’État de New York, l’État le plus touché aux États-Unis, récole 70% d’opinions favorables.
A noter également que dans leur discours liés à l’épidémie, les présidents français et américain ont beaucoup usé d’une rhétorique de guerre, alors que Angela Merkel, Justin Trudeau et François Legault ont plus joué la carte de l’apaisement et usé d’un ton rassurant. Et la chancelière allemande a, tout comme les Premiers ministres canadien et québécois, vu sa cote de popularité monter en flèche, avec près de 80% d’appui de la population.
La situation varie beaucoup d’une province à l’autre : la Colombie-Britannique, la province la plus à l’ouest du pays, a par exemple rapidement contrôlé l’épidémie, alors que l’Ontario et le Québec, les deux plus importantes provinces du pays et les plus touchées, sont encore dans le pic.
Le Québec concentre la moitié des cas déclarés dans le pays :
« Au Québec, on continue à monter la courbe, on devrait atteindre le plateau vers le 7 - 8 mai, estime l’épidémiologiste Nima Machouf, alors qu’à Vancouver, ils sont arrivés sur le plateau ». Plus de la moitié des cas canadiens sont au Québec, une situation qui s’explique notamment par le fait que les vacances de la « relâche scolaire» ont eu lieu la première semaine de mars dans la province, alors que l’épidémie n’avait pas encore commencé au Canada. Beaucoup de gens sont alors partis en vacances en Europe ou aux États-Unis et ils sont malheureusement revenus avec le virus dans leurs bagages, après quoi la contagion communautaire s’est répandue.
En Ontario et en Colombie-Britannique, cette semaine de vacances était à la mi-mars et comme l’épidémie avait déjà commencé, nombreux sont ceux qui ont annulé leurs voyages. Un décalage donc qui a eu un impact important sur le nombre de cas. « Il aurait fallu imposer la quarantaine à tous ceux et celles qui sont partis à l’étranger durant la semaine de relâche, estime Nima Machouf. On était en retard d’une semaine, mais bon, c’est toujours facile de dire ça à posteriori ».
Autre décalage : la Colombie-Britannique, où vit une importante communauté asiatique, a eu ses premiers cas fin janvier, de retour de Chine, alors qu’au Québec, le premier cas a été recensé fin février.
« Cette crise va durer longtemps, avance Nima Machouf. Ce virus profite au maximum de la mondialisation et si on veut s’en débarrasser un jour, il va falloir s’en débarrasser partout dans le monde, alors la solidarité internationale va être un élément crucial dans cette lutte contre le coronavirus. Et quand on voit ce qui se passe aux États-Unis, ces manifestations pour réclamer le déconfinement, on est mal parti… »
L’épidémiologiste reconnaît « qu’il y a encore beaucoup d’inconnues avec ce virus, on navigue pas mal dans le noir, et personne n’avait prévu l’ampleur de cette crise ». Et de conclure que « oui, ça va finir par bien aller, mais pas tout de suite ».