Depuis son émergence dans la métropole chinoise de Wuhan à son apparition dans plusieurs autres pays d'Asie, en Europe et aux Etats-Unis, le nouveau coronavirus chinois se propage et inquiète. Un expert en médecine de catastrophe, le docteur Jan-Cédric Hansen, répond à nos questions sur la gestion mondiale d'une telle épidémie. Et nous entraîne dans l'univers des "cindyniques"...
Alors que la propagation du coronavirus chinois inquiète et que l'OMS vient de déclarer la menace
"élevée", les pays se mobilisent pour contrecarrer la contagion.
En ordre dispersé. Alors que certains rapatrient leurs ressortissants d'urgence (comme le Japon) ou leur font porter des masques (en Chine), d'autres préfèrent éviter l'utilisation de caméras thermiques (en France).
Jan-Cédric Hansen, médecin coordinateur au centre hospitalier de Pacy-sur-Eure, en Normandie, secrétaire général du
GloHsa (Global Health Security Alliance), et chargé du développement et des coopérations internationales à la
Société française de médecine de catastrophe, est spécialiste de ces sujets et notamment de la ou les
"cindynique(s)" autrement dit la
"science du danger". Il répond à nos questions.
- TV5MONDE : Quelle est l’origine de ce coronavirus chinois et sa nature ?
JCH : L'origine n'est pas clairement déterminée pour l'instant. Il semblerait que ce soit un virus présent dans la faune sauvage, laquelle est capturée et stockée sur le marché de Wuhan pour y être vendue et consommée. La promiscuité entre les hommes et les animaux sur ce marché à permis l'
"affinité" du virus (ou le changement de tropisme) qui a abouti aux premiers cas humains. Ce qui est sûr, c'est qu'après avoir contaminé ses premières victimes à partir des animaux, le virus a acquis une nouvelle compétence : celle de la contamination interhumaine. C'est cette contamination interhumaine qui a initié l'épisode épidémique auquel nous assistons.
TV5MONDE : L’OMS vient de relever la menace à "élevée" : quid ? qu’en est-il de la dangerosité du coronavirus ?
JCH : Les experts de l'OMS ont une tâche difficile parce qu'ils doivent peser deux paramètres qui ne sont pas nécessairement congruents. D'un côté, la propension qu'a le virus à se répandre dans la population qu'il contamine : sa contagiosité. De l'autre, l'intensité de l'attaque manifestée par ce même virus sur les personnes contaminées : sa virulence. La dangerosité d'un virus réside dans la combinaison de ces deux paramètres. En l'espèce, ce virus semble avoir une contagiosité assez forte mais une virulence modérée.
En l'espèce ce virus semble avoir une contagiosité assez forte mais une virulence modérée.
Pour ce qui est de la classification officielle de l'OMS, nous serions en
"phase 4".Ce qui se caractérise par la transmission interhumaine vérifiée d’un virus grippal réassorti animal ou animal-humain capable de provoquer des
"flambées à l’échelon communautaire". Ce serait le cas à Wuhan. L’aptitude du virus à provoquer des flambées durables de la maladie dans une communauté est le signe d’une majoration importante du risque de pandémie.
Ainsi tout pays qui soupçonne un tel événement ou qui l’a vérifié, doit de toute urgence consulter l’OMS afin que la situation puisse être évaluée conjointement et que ce pays puisse prendre une décision si la mise en oeuvre d’une opération rapide d’endiguement de la pandémie se justifie. Et de fait, les autorités chinoises ont d'emblée décidé d'une mise en quarantaine des villes concernées. La
phase 4 indique une majoration importante du risque de pandémie mais ne signifie pas nécessairement qu’une pandémie est inéluctable.
TV5MONDE : On commence à entendre parler de gestion "cindynique" face à ce type de crise. De quoi s'agit-il ? Cette terminologie et ce type de réponse sont-ils appelés à se développer ?
JCH : Les "cindyniques" ou la "cindynique" viennent du grec kindunos qui signifie "danger". C'est une approche scientifique qui s’attache à étudier l’évolution des situations dans le but de recenser tous les dangers - perceptibles à nos sens ou non -pouvant générer des risques qu’ils soient naturels, technologiques ou immatériels.
Les cindyniques explorent, outre les aspects techniques, le jeu des interactions entre les acteurs des situations, qui très souvent sont à l’origine de dangers impensables.
Ainsi, elles peuvent évaluer la propension de survenue d’une catastrophe naturelle, technologique voire informatique afin de la prévenir, via les signaux faibles. Elles peuvent procéder aux évaluations, hiérarchisations, conséquences probables et actions de prévention.
Les cindyniques offrent ainsi une méthodologie pour construire à partir de ces signaux et de construire une réponse. Elles sont tout à fait appelées à se développer.
TV5MONDE : Une intelligence artificielle basée au Canada, BlueDot, aurait prédit la survenue de cette épidémie quelques jours avant les premiers cas en Chine. Est-ce que cela fait partie de la cindynique ? JHC : Je le disais, les
cindyniques sont particulièrement adaptées à l'exploitation des
signaux faibles. Or elles regagnent en pertinence parce que les nouvelles technologies permettent de mieux identifier ou de cibler ces signaux. Notamment par le traitement des
Big data par l'IA comme l'annonce faite de cette société canadienne.
Mais si cette IA a permis une détection et une identification plus précoce par rapport aux méthodes traditionnelles, on ne peut, en revanche, pas encore parler de réelle
"prédiction". Aujourd'hui tant que le système de santé n'est pas interpellé par des cas d'infection, on ne peut pas détecter le foyer d'une pandémie. L'analyse fine des réseaux sociaux, elle, le permet. Plus précocement.
Ce type de technologie et de méthodologie sont très prometteuses. L'avenir nous dira ce qu'il en est concrètement.
TV5MONDE : Concernant ce coronavirus, devrait-il y avoir une "gestion cindynique globale", sachant que l’on aperçoit des mesures différentes prises selon les pays ?
JCH : Les cindyniques apprennent à affronter la complexité des méthodes classiques de manière facile. Ce que ne signifie pas une simplification mais bien une facilitation de la construction de la réponse. C'est leur force.
Justement les cindyniques étudient les évolutions des situations dans le but d’apprécier leur propension à se diriger vers une zone plus ou moins dangereuse. Ils ne se contentent pas de calculer une probabilité ou la gravité supposée d’une situation, mais ils en évaluent le caractère "térébrant" (une capacité à endommager).
Pour cela, elles invitent les décideurs, publics ou privés, à évaluer leurs décisions à travers des questionnements (sur les données, modèles, représentations, règles, finalités et valeurs) puis à arbitrer. Elles permettent de balayer le "pensable" et l'"impensable" dans la prise de décision.
Si l'ensemble des parties prenantes partageraient cette même grille analytique et qu'ils clarifieraient leur choix, alors la réponse serait bien plus lisible pour tous et plus efficace dans les faits.
TV5MONDE : Comment faire au mieux pour éviter la propagation ? JCH : En fait les mesures sont très simples et découlent du mode de contamination. Ici ce sont les gouttelettes ou aérosols de salive en parlant ou en toussant qui servent de véhicule au virus et lui permettent d'atteindre sa prochaine victime. Il convient donc d'éviter de s'approcher à moins d'un mètre d'une personne présentant un syndrome grippal, a fortiori si elle tousse, de bien aèrer la pièce où cette personne se doit de se confiner et éviter de séjourner dans cette piece plus de 15 minutes d'affilée.
Il est raisonable que la personne malade porte un masque dit "de chirurgien" pour limiter la projection des gouttelettes de salive. Si on est un professionnel de santé, il faut de plus porter des lunettes de protection, des gants et un tablier de protection que l'on changera en sortant de la piece.