Fil d'Ariane
Le 14 avril, Donald Trump a donné l’ordre à son administration de ne plus financer l’Organisation mondiale de la santé pour les prochains mois. Un trou de près d’un demi-milliard de dollars dans le budget de cet organisme des Nations unies qui souffre déjà, selon plusieurs spécialistes, d’un sous-financement et qui est sur la ligne de front pour gérer mondialement cette pandémie.
« J'ordonne la suspension du financement de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) pendant qu'une étude est menée pour examiner son rôle dans la mauvaise gestion et la dissimulation de la propagation du coronavirus », a déclaré le président américain.
Pour François Audet, directeur de l’Institut d’études internationales de Montréal de l’Université du Québec à Montréal (IEIM - UQAM), cette décision de Donald Trump revient à « quitter le navire alors qu’il est en train de couler. C’est la pire chose à faire en ces temps de crise ».
Les États-Unis sont le premier bailleur de fonds de l’OMS : ils assurent 14,67% de ses dépenses d’opération. « A court terme, c’est un stress politique pour le leadership de l’OMS, c’est une attaque sur la crédibilité de l’organisme, alors qu’on a besoin de l’OMS en ce moment, explique François Audet.
Par contre, sur le plan financier, à court terme, je pense que l’organisme a les liquidités suffisantes pour continuer à fonctionner et d’autres pays vont le soutenir pour maintenir ses opérations d’urgence. Mais c’est clair que ce n’est pas rendre service aux États-Unis, ni à aucun pays, que de couper ce financement-là ».
Un peu partout sur la planète, des voix se sont élevées pour dénoncer cette décision du président Trump. Très diplomatiquement, le directeur de l’OMS, le docteur Tedros Adhanom Ghebreyesus, a déclaré : « Nous regrettons la décision du président des États-Unis. Le coronavirus ne fait pas distinction entre pays riches et pays pauvres. Il ne fait pas de discrimination en fonction de la nationalité, de l’ethnicité ou de l’idéologie. Nous non plus. Si nous sommes divisés, le virus va profiter de cette faiblesse ».
Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU, a ajouté dans un communiqué que « ce n’est pas le moment de réduire le financement des opérations de l’Organisation mondiale de la santé ou de toute autre institution humanitaire combattant le nouveau coronavirus ». La France, l’Allemagne, et même la Chine ont ajouté leur voix à ce concert de protestations.
De son côté, le Premier ministre canadien Justin Trudeau n’a pas voulu commenter la décision de Donald Trump, mais il a précisé que la question de la coopération internationale de lutte contre la pandémie serait au menu des discussions de la prochaine rencontre virtuelle des dirigeants du G7.
Le Canada finance l’OMS à hauteur de dizaines de millions de dollars par an et il maintient son appui à l’organisme : "Tous s’entendent pour dire que la gestion de cette crise par l’OMS n’est ni parfaite ni exempte de critiques mais que ce n’est pas le moment, alors que la planète est en pleine crise sanitaire, de tirer sur l’ambulance !".
Depuis plusieurs jours, Donald Trump concentre sa hargne sur l’OMS en l’accusant d’être pleinement responsable de la crise actuelle en ayant fait preuve notamment de trop de complaisance envers la Chine : « Le monde a reçu plein de fausses informations sur la transmission et la mortalité de la COVID-19, a dit le président américain. Si l’OMS avait fait son travail et envoyé des experts médicaux en Chine pour étudier objectivement la situation sur le terrain, l’épidémie aurait pu être contenue à sa source avec très peu de morts ».
L'OMS devait composer avec un État totalitaire, menteur et démagogue qui ne voulait pas perdre la face sur la scène internationale.
François Audet, directeur de l'IEIM - UQAM
Selon François Audet, l’OMS a été complaisante envers le régime chinois mais elle n’a pas eu le choix : « On le sait, au début, la Chine a tenté de camoufler la situation. Pour avoir accès à l’information, l’OMS a dû faire preuve de souplesse, caresser la Chine dans le sens du poil pour éviter les frictions, et s’assurer que les chercheurs de l’OMS aient accès aux données, au terrain, au virus et aux premiers malades. Et donc l’organisme a suivi la ligne de communication de la Chine mais il devait composer avec un État totalitaire, menteur et démagogue qui ne voulait pas perdre la face sur la scène internationale ».
Une centaine d’experts venus du monde entier ont publié une lettre dans laquelle ils ont qualifié l’épidémie du coronavirus du « moment Tchernobyl » de la Chine. Ils accusent le régime chinois d’avoir voulu cacher au monde la dangerosité du coronavirus, mettant ainsi en danger l’ensemble de la planète et la population chinoise aussi bien sûr.
« Les racines de la pandémie ont pris leur source dans la dissimulation initiale et la mauvaise gestion de la propagation de la Covid-19 par les autorités du Parti communiste chinois à Wuhan » dit la lettre de ces experts, qui dénonce également le fait que l’OMS ait dans un premier temps minimisé la pandémie sous l’influence et la pression de Pékin.
Cette lettre, signée par une centaine d’experts spécialistes de la Chine, a été relayée par le MacDonald-Laurier Institute, institut basé à Ottawa, la Henry Jackson Society de Londres et l’European Values Center for Security Policy basé à Prague.
« Au final, ce n’est pas l’OMS qu’il faut blâmer, estime François Audet, mais les autorités chinoises sur leur incapacité à démocratiser l’information et à la partager beaucoup plus rapidement ; les quelques semaines de retard pour transmettre ces informations ont eu un impact sur la crise actuelle. C’est un crime contre l’humanité de ne pas avoir partagé plus tôt cette information-là ».
Le continent reçoit 1,32 milliard de dollars par an, devant la Méditerranée orientale (1,23 milliard), le siège de l'OMS (591 millions), l'Asie du Sud-Est et l'Europe (223 millions chacune), le Pacifique occidental (166 millions) et les Amériques (24 millions).
N’en déplaise à Donald Trump, l’OMS a plus que jamais une utilité en ces temps de pandémie. L’organisme vient par exemple de rendre public un guide pour aider les pays à mettre en place les mesures de « déconfinement », des lignes directrices pour savoir à partir de quand il est possible de rouvrir les écoles, les commerces, laisser les gens sortir de chez eux, etc.
François Audet rappelle le rôle fondamental de l’organisation actuellement : « L’OMS coordonne la réponse internationale à la pandémie, elle collige les données, l’état des lieux, notamment pour les pays les plus pauvres de la planète qui dépendent de l’expertise internationale pour gérer l’épidémie.
L’OMS va jouer un rôle important dans la démocratisation de la réponse à l’épidémie, notamment pour le vaccin quand il y en aura un, s’assurer que la recherche se fasse pour toute la population mondiale ».
Depuis bientôt quatre ans qu’il sévit à la Maison Blanche, on commence à comprendre comment fonctionne la « machine » Donald Trump. Mitraillé de critiques tant par la presse que par plusieurs gouverneurs d’État américains pour sa gestion de l’épidémie aux États-Unis, Donald Trump a de nouveau appliqué l’un de ses principes préférés selon lequel la meilleure défense, c’est l’attaque : il s’en prend donc à l’OMS en rejetant sur l’organisme la responsabilité de la crise sanitaire mondiale.
La décision de retirer ses billes du financement de l’OMS est dans la suite logique. C’est très probablement également un geste envers sa base électorale qui déteste les organismes internationaux comme l’OTAN ou l’ONU et ses satellites, et qui est favorable à ce que les États-Unis soit se retirent, soit réduisent considérablement leur financement à ces organisations. « C’est l’unilatéralisme typique de Trump et de ses partisans », fait remarquer François Audet.
L’OMS sert donc de bouc-émissaire à Donald Trump. Si ce n’est l’OMS, il en aurait trouvé un autre. Et puis pendant qu’il concentre ses foudres sur le bouc-émissaire, il détourne l’attention, et des médias, et des Américains, de sa propre gestion de la crise.
Cette stratégie qui consiste à détourner l’attention dès qu’il est sous le feu de tirs croisés, il l’adopte aussi régulièrement. Enfin on sait également maintenant que Donald Trump peut dire une chose et son contraire en quelques jours, et qu’il n’en est pas à une contradiction près, pour preuve ce tweet écrit le 24 janvier : « La Chine a travaillé très dur pour contenir le coronavirus. Les États-Unis apprécient grandement leurs efforts et leur transparence. Tout fonctionnera bien. Au nom du peuple américain, je tiens à remercier le président Xi (Jinping) ».
Sans oublier les tweets dans lesquels il clamait que le virus allait disparaître dès qu’il allait recommencer à faire chaud, que ce n’était qu’une grippette, que « tout était sous contrôle », qu’il voulait rouvrir le pays pour Pâques et que les églises soient pleines.