Coronavirus en Chine : "La censure est revenue à plein régime"

Dès qu'il y a critique, le gouvernement chinois durcit le ton. Depuis le début de l'épidémie du coronavirus et plus récemment, la mort du médecin donneur d'alerte, la censure d'Etat ne faiblit pas. Bien au contraire. Comment l'expliquer ? Entretien avec Jean-Pierre Cabestan, professeur à l'Université baptiste de Hong-Kong et spécialiste de la Chine.
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Le président chinois Xi Jinping portant un masque de protection, Pékin.
Pang Xinglei/Xinhua via AP
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TV5MONDE : Pourquoi y-a-t-il une telle volonté de contrôle et de censure autour du coronavirus en Chine ?

Jean-Pierre Cabestan : Parce que le gouvernement fait face à une augmentation des critiques, notamment après le décès du médecin, Li Wenliang, le 6 février dernier. Il est mort du virus après avoir été l’un des premiers donneurs d’alerte début janvier et après avoir été réprimandé avec d’autres médecins pour l’avoir fait. Les gens se demandent pourquoi le gouvernement les a empêchés de donner l’information au public et de permettre à la Chine de prendre les dispositions nécessaires dès le début de l’épidémie. Depuis, les autorités ont réagi avec un communiqué officiel, indiquant que Xi Jinping, le président chinois, avait déjà mobilisé la direction du pays dès le 7 janvier. Mais la question qui se pose, c’est qu’a-t-il fait entre le 7 janvier, quand il a été mis au courant du virus et qu’il a commencé à s’en préoccuper et le 20 janvier, date à laquelle il a fait une déclaration publique pour la première fois, pour mobiliser le gouvernement et l’administration locale contre cette nouvelle épidémie ?
 

Il y a eu une erreur manifeste commise par le gouvernement chinois

Jean-Pierre Cabestan, professeur à l'Université baptiste de Hong-Kong et spécialiste de la Chine

Entre ces deux dates, 5 millions de gens de Wuhan ont quitté la ville pour aller fêter le Nouvel an dans leur famille, favorisant la propagation du virus. Ici, il y a eu une erreur manifeste commise par le gouvernement chinois. C’est pour cela qu'il essaie de rattraper les choses en mettant les grands moyens, et en imposant une forme de censure à toute critique. Pourquoi a-t-il tardé à déclencher l’action publique ? Les gens sont assez critiques, les réseaux sociaux sont très actifs sur ce sujet …


Le président a envoyé à Wuhan un de ses proches du parti. Désormais, c’est lui qui maintient l’ordre à Wuhan. Il impose surtout la censure.

Jean-Pierre Cabestan, professeur à l'Université baptiste de Hong-Kong et spécialiste de la Chine

La parole est réprimée en Chine … Les Chinois qui parlent courent-ils des risques ?

Nous avons un certain nombre de personnes qui ont commencé à émettre des critiques de manière ouverte. Vous avez notamment un universitaire qui a publié une tribune très critique vis-à-vis du gouvernement. Il a désormais disparu des écrans radars. Il est entouré de policiers et n’a plus le droit d’utiliser les réseaux sociaux. Vous avez aussi d’autres cas de répression de journalistes sur le terrain, à Wuhan plus particulièrement. Ces derniers ont aussi disparu de la circulation car ils se sont montrés trop critiques. Il est clair que Xi Jinping et le parti communiste ont voulu reprendre les choses en main. C’est pour cela que le président a envoyé à Wuhan un de ses proches du parti, chargé de la sécurité et de la police. Désormais, c’est lui qui maintient l’ordre à Wuhan. Il impose surtout la censure et essaie d’éviter que les critiques fassent tache d’huile et se transforment en mouvement politique contre le gouvernement.


Les signataires de la pétition vont être rapidement réprimés et mis au silence

Jean-Pierre Cabestan, professeur à l'Université baptiste de Hong-Kong et spécialiste de la Chine

Des universitaires et des personnalités en Chine ont pris la parole dans une pétition il y a quelques jours. Cette prise de position sera-t-elle utile ?

Ce document a été signé par environ 300 signataires, par solidarité pour le médecin mort et puis surtout pour demander toute la lumière sur ce qu’il s’est passé. Ils pointent du doigt le retard coupable des autorités dans l’action contre le virus. Mais je ne pense pas que cette action aille très loin, du moins en Chine. Elle restera dans les annales de l’histoire politique chinoise, mais je pense que les signataires de la pétition vont être rapidement réprimés et mis au silence.


Les réseaux sociaux sont une manière de prendre le pouls de la population et donc de pouvoir tuer dans l’œuf l’organisation d'une contestation plus structurée.

Jean-Pierre Cabestan, professeur à l'Université baptiste de Hong-Kong et spécialiste de la Chine

Le gouvernement chinois censure les réseaux sociaux et les messages critiques, mais il ne supprime pas les plateformes sociales pour autant. Il le pourrait. Pourquoi ne pas le faire directement ?

C’est un modus operandi qui n’est pas nouveau. Les réseaux sociaux sont une manière de prendre le pouls de la population, de prévenir toute forme de protestation et donc de pouvoir tuer dans l’œuf l’organisation d'une contestation plus structurée. Parfois, nous avons l’impression que le gouvernement lâche un peu la bride et qu’il y a une forme de débat, mais très rapidement les débats sont mis sous contrôle et la censure reprend le dessus. D’ailleurs, le gouvernement a récemment utilisé les grands moyens, puisqu’il a envoyé près de 500 journalistes couvrir l’épidémie dans la province du Hubei, afin de pouvoir diffuser des nouvelles positives dans les médias officiels sur la manière dont le personnel médical et l’administration ont réagi pour prévenir l’expansion du virus et surtout reprendre l’activité économique, le véritable défi pour les autorités.


La censure est revenue à plein régime

Jean-Pierre Cabestan, professeur à l'Université baptiste de Hong-Kong et spécialiste de la Chine

Se dirige-t-on vers un durcissement de la répression en Chine ?

Je ne sais pas si la censure peut être plus forte qu’elle ne l’est déjà en Chine. Avec le coronavirus, nous sommes un peu comme avec le tremblement de terre en 2008 au Sichuan. Il y avait eu une fenêtre d’opportunité pour laisser naître un débat sur la toile, mais il n’a pas duré longtemps. Aujourd’hui, la censure est revenue à plein régime.


En Chine, l‘Etat est fort, la société est faible.

Jean-Pierre Cabestan, professeur à l'Université baptiste de Hong-Kong et spécialiste de la Chine

Qu’est-ce que nous dit la censure du régime de Xi Jinping ?

Que le régime est plus fort que l’on ne le pense et qu’il a encore une certaine espérance de vie. Certes des gens protestent, mais le système de parti unique, la sécurité, les moyens répressifs et de propagandes permettent au régime de l’emporter sur la société civile. En Chine, l‘Etat est fort, la société est faible.


C’est tout le paradoxe chinois : Ils contrôlent tout et à la fois, ils sont paranoïaques.

Jean-Pierre Cabestan, professeur à l'Université baptiste de Hong-Kong et spécialiste de la Chine

La censure actuelle n’est-elle pas la preuve que le régime ne sait pas contrôler la situation du coronavirus ?

C’est tout le paradoxe chinois : Ils contrôlent tout et à la fois, ils sont paranoïaques. C’est un peu le propre des régimes autoritaires de manière générale. Ils voient le mal et la menace partout. A terme, je pense qu’il y aura une évolution, mais elle arrivera dans très longtemps. Je suis plutôt pessimiste sur l’avenir à court terme en Chine.