Coronavirus en France : le télétravail est-il la solution miracle pour sauver l'activité économique ? 1/3

En 2017, seuls 3% des salariés dont 61% de cadres télétravaillaient en France. Avec la crise du coronavirus et le confinement, les chiffres ont explosé. Partout où il était possible de le faire, le travail à distance a été mis en place. Mais jusqu'à quand ? La pratique a-t-elle des chances de perdurer ? Et quelles en sont les conséquences économiques et structurelles pour les entreprises et les salariés ?
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Télétravail-confinement
Le télétravail, synonyme de flexibilité, rencontre aussi des difficultés pour être appliqué au sein de entreprises (image d'illustration).
© iStock / jacoblund
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"En l'espace de six mois, j'ai dû me rendre 10 fois, tout au plus, au travail". Louise est mère célibataire dans la région de Bordeaux, elle travaille dans le secteur bancaire.
Voilà à peine trois ans, Louise aurait presque fait figure d'exception. En 2017, seuls 3% des employés pratiquaient le télétravail au moins une fois par semaine. Mais depuis cette étude menée par le Ministère du Travail, la donne a changé. 

Depuis plusieurs mois le télétravail est devenu une alternative, une solution, concrète. Car après les grèves interprofessionnelles de décembre 2019 et janvier 2020, la pandémie de Covid-19 et le confinement ont contraint les entreprises à revoir leur mode de fonctionnement.
 

Qu'est-ce que le télétravail ?

Selon cette même étude, les télétravailleurs sont majoritairement des cadres (61 %) et sont relativement plus nombreux dans les métiers de l’informatique et de la télécommunication. Durant le confinement, de nouvelles formes de travail ont été créées avec plus ou moins de succès, nous le verrons.

Que dit la loi ?

L'article L. 1222-9 du Code du Travail stipule ceci : "Le télétravail désigne toute forme d'organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l'employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l'information et de la communication".
Ce télétravail doit être mis en place "dans le cadre d'un accord collectif ou, à défaut, dans le cadre d'une charte élaborée par l'employeur après avis du comité social et économique, s'il existe".

Le confinement a été une période inédite socialement, psychologiquement et économiquement. "Fin mars, un quart des salariés travaille sur site, un quart est en télétravail, et un quart au chômage partiel". C'est ce que révèle une autre étude du ministère du Travail, réalisée auprès de 14 000 personnes interrogées entre le 1er et le 14 avril 2020. Une répartition qui varie selon la taille de l'entreprise. Plus elle est petite et plus il y a de chômage partiel. Les entreprises des secteurs de la construction, de l'hôtellerie-restauration ou de l'habillement y ont plus recours, comme on pouvait s'y attendre.

Quant au télétravail durant le confinement, il a été "particulièrement fréquent dans les secteurs de l'information et de la communication (63% des salariés), et les activités financières et d'assurance (55 %), dans lequel il était déjà nettement plus répandu avant la crise. Il l'est moins dans l'hébergement-restauration (6 % des salariés), la construction (12%), l’industrie agro-alimentaire (12 %) et les transports (13%)", note également l'enquête.

Des conditions particulières

"Avec le confinement, le télétravail s'est imposé à moi", nous confie Louise. "Ce qui au départ était une contrainte, car je devais aussi assurer l'école à la maison, a finalement été une révélation. Aujourd'hui, je n'ai même plus envie de retourner au bureau. Ainsi j'ai pu aussi me couper de certains de mes collègues ou de ma hiérarchie que j'avais du mal à supporter ces derniers mois", assume-t-elle.

"Afin que le télétravail fonctionne il ne faut pas que les salariés y soient contraints", explique Marianne Le Gagneur, doctorante en sociologie à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Le télétravail est vécu comme quelque chose de positif dans la mesure où il a été choisi et correspond aux besoins des personnes." Le télétravail doit être encadré, clairement défini rappelle la chercheuse. Sinon "de chaque côté un flou peut s’installer. Les employeurs ne sont pas forcément abusifs, les salariés aussi adaptent leurs horaires selon comment ça les arrange. La séparation vie professionnelle et vie personnelle est moins nette aussi car il n’y a pas de séparation spatiale". 
 

Difficile de doser en cette période inédite où la grande majorité des salariés se sont retrouvés confinés chez eux, parfois avec des enfants à gérer. Ce fut d'ailleurs le cas d'Etienne, manager dans une grande entreprise de communication en région parisienne. Mais pour lui cela n'a posé aucun problème. "Très tôt la confiance s'est installée entre les référents - comme moi - et les autres salariés car l'entreprise nous avait donné les outils pour travailler", explique-t-il.

"Nous avions mis en place des rendez-vous quotidiens avec l'équipe pour faire non seulement des points réguliers sur les travaux en cours mais aussi exposer les problèmes que chacun rencontrait durant cette période compliquée. D'où l'importance d'établir des relations de confiance. L'idée n'est pas de "fliquer" les personnes avec nous travaillons mais de les soutenir et de donner les outils matériels et intellectuels qui permettent de remplir nos missions au mieux", juge le jeune trentenaire. Les résultats ont été si prometteurs dans l'entreprise où travaille Etienne que la direction a décidé d'engager une réflexion plus profonde sur le télétravail, avec à la clé des jours en travail à distance, pour les salariés qui le souhaitent.

C'est ce que constate également sur le terrain Ôser rêver sa carrière. Le cabinet accompagne professionnellement des salariés qui aujourd'hui sont nombreux à ne pas vouloir retourner au bureau. "Il risque d’y avoir une recrudescence de demandes en interne pour passer moins de temps en présentiel", explique Marina Bourgeois, directrice du cabinet. "Et  certains managers sont plutôt ouverts à ce sujet car ils se sont rendus compte que cela fonctionnait", ajoute-t-elle.
 

Solution miracle ?

Pour autant, cela veut-il dire que les moeurs ont changé ? Il est trop tôt pour le dire mais il sera difficile de revenir en arrière estime Frantz Gault, directeur associé chez LBMG Worklabs. Cette entreprise accompagne depuis une décennie ceux qui souhaitent mettre en place des solutions de télétravail : de la formation des managers jusqu'aux solutions immobilières. "C'est assez spectaculaire. Nous avons depuis des mois une recrudescence de demande d'expertise pour graver dans le marbre un télétravail plus ambitieux. La majorité de nos clients veulent aller plus loin, passer de 1 à 2 ou 3, 4 jours par semaine", témoigne Frantz Gault.
 

On a trouvé dans le télétravail un moyen de continuer l’activité.

Marianne Le Gagneur, sociologue

Un exemple frappant : PSA. Le constructeur automobile a décidé de faire du télétravail  non pas l'exception mais la règle qui devrait concerner à terme près de 80.000 salariés. L'objectif de l’entreprise est de ramener à un jour et demi par semaine en moyenne la présence sur site de ses collaborateurs.... mais elle envisage aussi de faire des économies substancielles en fermant des locaux.

"Avant, le télétravail était perçu comme quelque chose de négatif. On soupçonnait les salariés de ne pas vraiment travailler lorsqu’ils étaient chez eux. Avec la crise du coronavirus, le soupçon a été déconstruit. On a trouvé dans le télétravail un moyen de continuer l’activité", selon Marianne Le Gagneur. Dans les faits, et malgré les ordonnances de septembre 2017, les employeurs restent plutôt réticents à mettre en place le travail à distance. L'idée que le télétravailleur serait un proscratinateur qui effectue le minimum en pantoufles et s'économise au maximum pour profiter de ses loisirs, a encore la vie dure en 2020 !...​

Les freins du télétravail

Pour Frantz Gault, il y a des freins imaginaires et des freins réels au développement du télétravail : "La peur de ne pas pouvoir équiper tout le monde, la peur en termes de sécurité… autant d’arguments qui ont sauté en mars 2020 car en l’espace de quelques jours certaines multinationales ont dû équiper des milliers de salariés", souligne-t-il. Mais selon lui "les vrais freins sont culturels. Venir au bureau c’est respecter des rituels de subordination. Prendre ses distances crée des angoisses, voire de la colère chez certains dirigeants" qui veulent aujourd'hui rapatrier les salariés sur site. 
 

Alors comment convaincre les plus hésitants ? "Il faut sortir du management à la présence ou du management visuel. On présume que quelqu’un travaille du fait de sa présence, parce qu’on le voit, sans pousser plus loin pour savoir ce que fait réellement cette personne", conclut Frantz Gault.