Alors que la France connaît une épidémie sans précédent de coronavirus, la population carcérale subit de plein fouet cette situation. Avec des prisons surpeuplées, le risque de propagation du coronavirus dans les établissements pénitentiaires serait dramatique. La Garde des Sceaux, Nicole Belloubet envisage aussi, pour endiguer la progression du virus, la libération de détenus.
Les prisons françaises, qui souffrent de surpopulation chronique, comptaient au 1er janvier 2020 70.651 détenus pour 61.080 places opérationnelles, selon l'Agence France-Presse.
Avec une pandémie en cours sur le territoire, la situation devient explosive. "La question de la détention est l’une de mes principales préoccupations", expliquait la Garde des Sceaux, Nicole Belloubet au micro de France Inter, le 26 mars dernier.
De nombreux représentants d'institutions, comme la contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), le Défenseur des droits, mais aussi magistrats et avocats ont appelé à libérer "massivement" et en "urgence" des détenus afin d'éviter une crise sanitaire et sécuritaire en prison.
Selon l'Observatoire International des prisons (OIP), il y a, parmi les détenus, 48 cas positifs dont 12 hospitalisés, et 687 détenus symptomatiques ou en quatorzaine, en France, en date du 3 avril. Parmi le personnel pénitentiaire, 114 cas positifs dont 85 surveillants, 931 en quatorzaine.
Pour l'OIP, la surpopulation est le facteur aggravant le plus préoccupant. Dans certains établissements, les détenus peuvent vivre à 3 ou 4 dans des "cellules exiguës". Certains doivent même vivre dans des dortoirs de 6 à 8 personnes.
Cette promiscuité est quasi permanente : promenades en groupe, douches collectives. De plus, les détenus n'ont ni masques, ni gants, ni même gel hydro-alcoolique, l'alcool étant interdit en détention.
Il y a urgence à agir pour diminuer la pression carcérale et permettre l’application, dans les maisons d’arrêt, des consignes élémentaires et impératives d’hygiène et de distanciation sociale.Extrait de la tribune « Réduisons le nombre de personnes incarcérées pour de courtes peines ou en fin de peine » publiée dans Le Monde
Enfin, les contacts avec le personnel pénitentiaire sont eux aussi inévitables. Ces derniers ne cessent de réclamer plus de matériel de protection. Pour l'OIP, si l'épidémie se propage en détention, les unités sanitaires de ces établissements ne seraient pas en mesure de gérer un tel flux de malades.
"Diminuer la pression carcérale en urgence"
Dès le 9 mars, des syndicats du personnel pénitentiaire, comme Force Ouvrière (FO) Pénitentiaire, réclamaient des mesures fortes de la part du gouvernement pour éviter une forte propagation du virus en prison. Parmi ces requêtes, figurait celle de la libération de détenus en fin de peine, soit 5000 détenus pour alléger les établissements.
La ministre de la Justice Nicole Belloubet déclarait que les situations seraient examinées au cas par cas, tout en étant
« opposée à une mesure générale » de libération anticipée, même pour les personnes en détention provisoire.
Des avocats de la Conférence du barreau de Paris, comme Delphine Boesel, avocate et présidente de l’Observatoire international des prisons-section française (OIP-SF), ou encore Katia Dubreuil, présidente du Syndicat de la magistrature,publiaient le 19 mars dernier
une tribune dans le quotidien
Le Monde, pour alerter sur la question de la surpopulation carcérale. Cette tribune, intitulée « Réduisons le nombre de personnes incarcérées pour de courtes peines ou en fin de peine ». s’inquiétait d’une situation "
bientôt dramatique", dans des prisons saturées, où la
"distanciation sociale" est impossible.
"
Il y a urgence à agir pour diminuer la pression carcérale et permettre l’application, dans les maisons d’arrêt, des consignes élémentaires et impératives d’hygiène et de distanciation sociale. Pas demain. Pas la semaine prochaine. Aujourd’hui", écrivent-ils dans cette tribune.
Pour ces avocats, la solution est de désengorger les prisons, en
"réduisant en urgence significativement le nombre de personnes incarcérées en exécution de courtes peines, ou en fin de peine", et en
"évacuant sanitairement les plus vulnérables, les hommes et femmes âgés et malades".
Le même jour, le ministère de la Justice publiait un communiqué de presse énumérant les mesures prises pour gérer la crise du Covid-19 : la suspension des parloirs familiaux et des
"mesures de compensations" pour aider les détenus qui ne peuvent plus voir leurs proches (eux-mêmes en confinement), à savoir, un forfait téléphonique de 40 euros, et un accès gratuit à la télévision.
La ministre de la Justice a également demandé aux juridictions de
"différer la mise à exécution des courtes peines d'emprisonnement ". De plus, les promenades sont
"aménagées en petits groupes".
Lundi 20 mars, la garde des Sceaux Nicole Belloubet a annoncé aux organisations syndicales du ministère de la Justice qu'elle visait la libération de 5000 détenus, afin de désengorger les prisons en cas de propagation du coronavirus.
"Nous examinons au cas par cas les situations des personnes à deux mois de la fin de leur détention", déclarait-elle.
Ce vendredi 3 avril, Nicole Belloubet, annonçait que 6.266 détenus avaient été libérés entre le 16 mars et le 1er avril, suite aux mesures prises.
Les détenus condamnés pour des faits criminels graves, terrorisme ou violences intra-familiales, sont exclus d’office de ces potentielles libérations anticipées. L’autre condition est de pouvoir rester confiné à domicile, donc d’avoir un logement.
Le 25 mars, la garde des Sceaux avait présenté quatre ordonnances, des mesures d'exception dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire acté par la loi du 23 mars, afin de "simplifier" les procédures ; audiences parfois par visioconférence, à huis clos, à juge unique, prolongation des délais de prescriptions.
"Les dispositions qui ont été prises sont temporaires. La loi du 23 mars 2020 crée un cadre juridique nouveau pour faire face aux catastrophes sanitaires les plus graves. Elle n'autorise en aucun cas l'édiction de règles et de décisions durables au-delà de ce que l'urgence justifie", a déclaré Mme Belloubet à l'AFP. "Ainsi, les mesures dérogatoires issues de ces ordonnances cesseront-elles à la fin de l'épidémie de Covid-19 et ne sauraient être réactivées lors de la survenance d'une nouvelle épidémie", martèle-t-elle.
Mutineries et fabrication de masques
Pour Adeline Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté, la gestion de la crise est jugée
« tardive » et
« insuffisante » dans les prisons françaises. Auprès de l'AFP, elle
"recommande de réduire la population pénale à un niveau qui ne soit pas supérieur à la capacité d'accueil des établissements en proposant, adoptant ou suscitant toute mesure utile pour favoriser les sorties de prison et limiter les entrées".
Des centres pénitentiaires ou des maisons d'arrêt comme celles de Metz, Uzerches, ou encore Béziers ont vu éclater des mutineries depuis les premières annonces. Les détenus dénoncent la suppression des parloirs, ainsi qu'un manque de protection généralisé, au cours de cette crise sanitaire du coronavirus.
Certains établissements ont décidé de s'engager à
"participer à l'effort collectif" contre le coronavirus. Dans au moins huit établissements pénitentiaires, 140 détenus,
"tous volontaires et payés" vont fabriquer des masques afin de soutenir le personnel soignant et pénitentiaire, explique à l'AFP Albin Heuman, directeur de l'agence du travail d'intérêt général. Ces détenus vont fabriquer des masques afin de soutenir le personnel soignant, et pénitentiaire.