En France, la plupart des entreprises françaises ont bouleversé leur mode de fontionnement durant le confinement. Pendant des semaines, des salariés, souvent peu préparés, ont expérimenté le travail à distance. Le télétravail s'est introduit au coeur de nombreux foyers français. Avec quelles conséquences sociales, familiales et psychologiques ?
Les salariés en France étaient encore peu nombreux à avoir expérimenté le travail à distance... jusqu'au confinement, en mars 2020. Mais imposé à la hâte, le télétravail a parfois été effectué dans des conditions dégradées et pour certains la transition a été brutale.
Du temps pour soi
"Ceux qui télétravaillaient déjà auparavant perçoivent ce travail à distance de façon positive, comme quelque chose qui apporte de la souplesse, du confort, un ou deux jours par semaine", rappelle Valérie Combette-Javault, psychologue et psychothérapeute.
Cette souplesse, c'est ce qui a séduit Loïc*, graphiste bayonnais et futur père de famille. "Pour rien au monde je ne voudrais revenir à temps plein dans mon entreprise ! Certains de mes collègues le faisaient déjà une à deux fois par semaine. Moi, je préférais me rendre au bureau. Mais depuis que j'ai goûté à la liberté de journées qui respectent aussi mes besoins personnels, il me faudra vraiment de bonnes raisons de retourner tous les jours au bureau !"
Léa*, chargée de communication et attachée de presse pour une multinationale, a elle aussi télétravaillé pour la première fois, durant tout le confinement. Son bilan est clair : "Aucune perte de temps dans les transports, on peut mieux s’organiser, être plus autonome, efficace et productive. Je me sentais plus libre de m'organiser comme je le souhaitais et plus indépendante. Bref pour moi c'était du stress en moins et une meilleure qualité de vie."
Mais s'il rime avec liberté, le télétravail peut aussi devenir une contrainte.
Revers de la médaille du télétravail
"Le seul moment où je travaillais bien c’était entre 22h et deux heures du matin lorsque tout le monde dormait. Alors forcément durant tout le confinement, j'étais très fatigué", confie Sébastien* ingénieur à Nantes, qui aujourd'hui encore a du mal à se coucher tôt malgré la reprise des cours pour ses deux fils.
De l'avis de beaucoup de salariés qui témoignent dans la presse, le travail à distance a des bons côtés - comme le gain de temps dans les transports- mais aussi ses inconvénients. Plus d'autonomie et diminution du stress : s'est aussi traduit chez certains par un sentiment de solitude voire un sentiment d'abandon. Comme cela a été le cas pour Pauline*, 52 ans, qui travaille dans les ressources humaines et à distance pour la première fois de sa carrière. "
Le problème c'est que j'étais totalement perdue, je ne savais pas par où commencer", nous confie-t-elle. "
A tel point qu'au bout de deux mois j'ai demandé un arrêt de travail à mon médecin". Mais Pauline n'en veut pas à ses managers. "
Ils ne sont tout simplement pas formés pour ça", selon elle.
Plus de flexibilité dans les horaires de travail, cela peut aussi vouloir dire aussi trop de flexibilité ! Pour Léa* ces derniers mois se sont parfois traduits par une surcharge de travail. "
On ne se donne pas d’horaires", dit-elle. "
Avec parfois des demandes abusives de mon employeur : un dossier de presse à rendre le jeudi pour le lundi. Résultat j’ai bossé tout le week-end. L'employeur a l’impression que nous avons plus de temps de travail car on n'en perd pas dans car les transports. Ma vie professionnelle a clairement empiété sur ma vie personnelle".
Durant le confinement, Valérie Combette-Javault a accompagné des patients qui étaient au bord de la rupture. "
Il y a un sentiment de dévalorisation lorsque dans les entreprises, où le management n’était pas préparé au télétravail, ont été instaurés des modes de contrôle extrêmes. Le manager ne fait pas confiance et impose à ses salariés des réunions, des appels, des groupes de discussion… afin de surveiller le travail. Le télétravail implique un niveau de confiance qui n’était pas présent", explique la psychothérapeute.
Frontières floues
Une meilleure qualité de vie, avec moins de fatigue et une meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie privée, ce peut être aussi un piège. Car le professionnel empiète sur le privé, parasite la vie de famille, surtout si on n'a pas de réel espace pour travailler.
C’est une intrusion totale du travail dans l’espace physique et psychique.Valérie Combette-Javault, psychologue du travail
"
Déplacer le travail rémunéré dans l’espace domestique n’est pas anodin. Si on travaille a domicile on aura plus tendance à prendre en charge le travail domestique. Durant le confinement il n’y a pas forcément eu une redistribution des tâches domestiques de façon plus égalitaire", estime Marianne Le Gagneur, doctorante en sociologie à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS).
Effectivement, durant cette période exceptionnelle, la séparation entre l'espace travail et l'espace familial est bien souvent restée floue. Selon une
enquête de l'UGICT-CGT réalisée auprès de 34 000 personnes : 36% des femmes interrogées disent avoir subi une hausse de leur charge de travail contre 29% des hommes. Quant à la fermeture des écoles, elle a entrainé plus de 4 heures de tâches domestiques supplémentaires pour 43% d'entre elles. Une enquête parmi d'autres qui souligne l'augmentation de la charge mentale. Les femmes ont aussi été 70% à prendre un congé maladie pour garde d’enfant, comme le souligne
une enquête du Ministère du Travail du mois d'avril 2020.
"
La conciliation parentalité et télétravail en confinement a été très compliquée", estime Valérie Combette-Javault. "
Le travail s'introduit au coeur de la vie familiale. Sans parler de la culpabilité de certains cadres qui ont pris du temps dans la journée pour s’occuper des enfants. Ceux qui sont encore en difficulté aujourd’hui sont les parents qui n’ont pas forcément un entourage aidant pour les soutenir".
Quelles solutions ?
Selon l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact), le télétravail cela s'organise, s'anime et surtout ça s'apprend. Dans son
enquête réalisée auprès de 8 675 personnes, dont la moitié ne pratiquaient pas le télétravail avant le confinement, l'Anact révèle quelles pratiques peuvent être améliorées. Et sans surprise il en ressort que salariés et encadrants doivent être formés au travail à distance. Le dialogue et l'écoute jouent un rôle primordial dans la relation entre managers et employés.
Aussi pour mieux vivre le télétravail, il faut reconnaître d'où vient le malaise. Au cabinet
Oser rêver sa carrière, qui fait de l’accompagnement professionnel, la plupart des accompagnés ont été confrontés au télétravail pour la première fois. Marina Bourgeois, sa directrice, nous livre deux types de profils : "
Ceux qui étaient soulagés de télétravailler car il étaient en surchauffe au travail et frôlaient le burn-out. Pour eux, cette période a été une véritable bulle d’air", analyse-t-elle. "
Et puis il y a ceux qui au contraire ont été déstabilisés car isolés socialement, sans leurs équipes, sans leurs collègues. Pour eux il y a eu moins de stimulation, moins d’émulation collective. C'est notamment vrai pour les célibataires ou les mères célibataires".
Chez Oser rêver sa carrière, les demandes concernent essentiellement l’environnement de travail. Egalement, "
beaucoup d'accompagnés se sont rendu compte que le temps de transport était trop long et qu’il y avait trop de présentéisme", rappelle Marina Bourgeois. Enfin "
de nombreuses personnes ont profité de cette période pour prendre de la hauteur. Elles se sont rendu compte soit de l’absurdité de leur travail soit que les conditions ne leurs convenaient plus. Il y a eu un sursaut individuel de quête de sens et d’un travail plus épanouissant." Et si c'était aussi ça la clé ?
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* Les prénoms ont été modifiés