Coronavirus : la chauve-souris, perpétuel suspect

Seul mammifère à pouvoir voler activement, la chauve-souris traîne une mauvaise réputation. Pour tenter de comprendre pourquoi, et alors qu'elle est accusée aujourd'hui de répandre le Covid-19, nous avons demandé l'éclairage de Alexandre Hassanin, maître de conférences à Sorbonne Université et chercheur à l'Institut de SYstématique, Évolution, Biodiversité (ISYEB) à Paris.
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chauve-souris
Couple de chauve-souris frugivores en Australie
©iStock / CraigRJD
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TV5MONDE : Combien compte-t-on d’espèces de chauves-souris dans le monde ?

Alexandre Hassanin : Il y a actuellement environ 1300 espèces de chauve-souris à travers la planète mais beaucoup d’entre elles restent à décrire. Et concernant l'espèce spécifique qui serait à l’origine du SARS-CoV-2, il y a encore des incertitudes. Les scientifiques ont identifié deux familles de chauves-souris du genre Rhinolophus (communément appelées "rhinolophes", ndlr), très répandues du Bangladesh jusqu’au centre de la Chine, qui vivent dans des cavités. Elles se croisent beaucoup, dans ces zones, notamment en période de reproduction, et les virus circulent alors entre espèces.

La chauve-souris est-elle un animal "réservoir" ?

A.H. 
Les chauves-souris rhinolophes sont le réservoir des coronavirus proches du SARS-Cov-2 : elles les tolèrent et ces virus évoluent avec les populations de chauves-souris. Elles font partie, avec les rongeurs, des deux ordres de mammifères parmi lesquels circulent le plus de virus.

Et celles qui résistent le mieux aux virus sont grégaires, vivant en colonie de centaines voire de milliers d’individus. Les virus circulent au sein de ces espèces avec un taux de mortalité que nous n’avons pas encore pu évaluer car ces populations sont difficiles à étudier (et par manque de moyens aussi).

Mais le taux doit être suffisamment supportable pour que ces espèces perdurent malgré la présence de ces virus et la forte sélection naturelle qui s’opère chez elles chaque année. Nous savons que ces coronavirus circulent depuis des décennies parmi les chauves-souris rhinolophes en Asie, en Afrique ou en Europe.
 

Clairement ce qu’il faut faire : c’est arrêter ce trafic d’animaux vivants. On a compris maintenant que c’était dangereux !
Alexandre Hassanin, maître de conférences à Sorbonne Université

La question est de savoir pourquoi ces épidémies démarrent toujours en Chine ?
Les coronavirus circulent en effet un peu partout dans le monde mais les épidémies émergent systématiquement en Chine. Selon moi, c’est forcément lié au trafic illégal d’animaux vivants car si on met en contact des animaux qui ne se fréquentent pas habituellement dans la nature, il se mettent à s'échanger leurs maladies. Et on laisse potentiellement les virus évoluer de façon atypique. Dans un marché, dans les véhicules qui transportent les animaux braconnés, les différentes espèces s’échangent librement leurs maladies. Les conditions dans lesquelles elles sont détenues sont déplorables, les cages ne sont jamais nettoyées…

Si on analysait l’environnement microbien où sont entreposés ces animaux, on arrêterait très vite tous ces trafics. Et c’est clairement ce qu’il faut faire : arrêter ce trafic d’animaux vivants. On a compris que c’était maintenant dangereux !

La destruction de leur habitat a-t-elle favorisé la propagation des virus ?

A.H. Les chauves-souris cavernicoles de type rhinolophe ont besoin de s’abriter dans des grottes, des cavités. En Chine, elles trouvent aussi refuge dans les mines abandonnées. La propagation du virus chez les chauves-souris a potentiellement un lien avec la déforestation. A partir du moment où leurs territoires ont été grignotés, elles ont colonisé des endroits où elles ne seraient pas allées autrement.

On l’a observé lors de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest en 2013. Cela a commencé dans une zone appelée «écotone forêt-savane» (zone de transition écologique entre deux écosystèmes, ndlr) où on est à la lisière entre la forêt et les champs cultivés par les hommes. Ce sont des zones écologiques particulières, assez instables, où les espèces doivent s’adapter comme elles peuvent. Et il a été observé que ces épisodes de déforestations favorisent l’émergence de nouveaux virus. C’est potentiellement le cas aussi pour la variole du singe. Je travaille d’ailleurs sur ce sujet avec l’Institut Pasteur. Là aussi on pense que c’est la déforestation qui pousse les primates à sortir des forêts et à multiplier les contacts avec les villageois, alors que normalement hommes et singes ne se fréquentent pas.