Fil d'Ariane
Covid-19, grippe aviaire ou encore maladie de Lyme. Existe t-il un lien entre destruction de l'environnement, transformation des écosystèmes et apparition de nouveaux maux chez l'homme ? La pandémie de coronavirus remet cette interrogation au cœur des discussions. Entretien avec François Renaud, biologiste de l'évolution sur les maladies infectieuses à l'Institut écologie et environnement du Centre national de la recherche scientifique en France (CNRS-InEE).
TV5MONDE : Dans quelle mesure l'apparition de nouveaux virus chez l'homme peut être lié à son rapport à l'environnement ?
François Renaud : Il y a des millions et des millions de virus, les bactéries elles-mêmes en ont. Autrement dit, dans ce monde du vivant, les pathogènes font totalement partie du livre qui accompagne l’évolution sur cette terre. Un pathogène est un organisme qui ne peut pas vivre seul, il vit donc toujours aux dépends d’un autre organisme, en lui portant préjudice. Il se développe donc à partir d’un hôte auquel il va porter préjudice pour des raisons variées.
Si nous prenons le cas du coronavirus, dans la mesure où les voies respiratoires sont son écosystème, il porte préjudice en détruisant les cellules du système respiratoire. Car aucun virus ne peut se développer sans une cellule hôte.
Restons sur l’exemple du coronavirus. Si vous mettez en mixité parce que vous les chassez, vous les vendez, des chauves-souris avec des pangolins; si vous les associez dans des conditions précaires, de proximité dans des cages superposées où ils peuvent se déféquer dessus comme nous avons pu le voir dans certains marchés, il est évident que vous créez un réacteur biologique à pathogène. En clair, vous leur donnez la possibilité d’évoluer et de se transformer rapidement.
L’homme génère par la promiscuité entre chauve-souris et pangolin de nouveaux variants du virus, car il favorise de nouvelles combinaisons. Et par le jeu du hasard, il peut y avoir un variant qui peut affecter les hommes. Une fois le transfert effectué, il s’adapte, se spécialise et se sélectionne pour l’homme. A ce moment, le processus épidémique peut démarrer et ensuite provoquer le fléau du processus pandémique.
Peut-on affirmer que la destruction de forêt, d'habitat naturel pour les espèces animales entraîne in fine de nouvelles maladies chez l'homme ?
En forêt amazonienne, il a été prouvé que l’exploitation de la forêt avec la création de routes notamment pour le commerce du bois et l’orpaillage a une incidence. Ces routes sont autant de gîtes pour les moustiques, car sur le bord vous avez de l’eau stagnante où les larves de moustiques peuvent se développer.
Une publication a démontré que dans ces conditions, nous pouvons augmenter d’un facteur 300 le risque de piqûres par des moustiques. Or ces moustiques sont des vecteurs du paludisme, et de la fièvre jaune, de la dengue par exemple. En détruisant l’habitat et en favorisant la prolifération de vecteurs, ici les moustiques, vous favorisez aussi l’émergence de pathogène pour les hommes qui sont présents. Et lorsque ces hommes vont au contact d’autres communautés nous pouvons avoir le début d’une épidémie.
L’agriculture, ou l'élevage à très grande échelle comme on peut l’observer dans certains pays, est aussi mis en cause. Comme pour l’épisode du H5N1. Le H5N1 a été selectionné par l’homme dans des élevages bien particulier de volailles où étaient confinées de grandes quantité d’animaux favorisant le développement d’un virus extrêmement pathogène puisqu'à chaque fois que des animaux mouraient, de nouveaux étaient apportés dans l’exploitation.
La chance que nous avons eue est qu’à ce jour le H5N1 n’a jamais pu s’adapter aux cellules humaines. A ma connaissance, il n’y a pas eu de transmission homme-homme mais toujours une transmission volaille-homme.
Est-ce que le fait que les hommes mangent des animaux de brousse transmet des maladies que l'homme n'est pas censé avoir ?
Si nous regardons les études menées sur le VIH pour en comprendre l’origine, il y a eu un passage du virus singe-homme au moment où il y avait de la consommation de viande de ces animaux. Il faudra donc légiférer fortement dans le futur pour éviter tous les transferts possibles. Il n’y a pas un pays à montrer du doigt. Toute l’humanité est concernée. A l’avenir, il faudra des consignes strictes et des lois pour éviter que cela puisse se reproduire.
Pour schématiser, un virus doit affecter une cellule pour cela, il lui faut une clé. Le coronavirus est appelé ainsi car il a une couronne, sur laquelle il y a des protéines appelés les “spike”, les épines. Ces épines vont lui permettre de s’accoler à la cellule et de l’ouvrir. S’il ne peut pas l’ouvrir, il ne pourra pas rentrer dans la cellule. Donc, s’il possède la bonne clé c’est un “voleur”. Ensuite, c’est un “pirate” car il va prendre le contrôle de cette cellule et il va se multiplier c’est-à-dire que le fonctionnement naturel de la cellule va s’arrêter et il va la faire travailler à son profit. C’est donc aussi un “esclavagiste” et un “tyran”.
Le virus va faire produire les protéines nécessaires à la constitution de son enveloppe et il va faire produire sa matrice initiale d’ARN (acide ribonucléique). Tout ce petit monde va se reconstituer au sein de la cellule pour permettre de produire autant de virions (particule infectieuse d'un virus, ndlr) que la cellule le peut, donc des milliers, des centaines de millers. Une fois la cellule épuisée tout ce petit monde va sortir et coloniser de nouvelles cellules.
Lire aussi : Coronavirus SARS-CoV-2 : origine, transmission, recherche... que sait-on ?
Dans le cas du coronavirus, y a t-il eu un animal vecteur pour la transmission de l'épidémie chez l'homme ?
Il y a encore énormément de travaux à faire sur la question. Les premières recherches montrent que la chauve-souris et le pangolin pourraient être à l’origine du coronavirus mais il y a peut être d’autres animaux réservoir que nous ignorons. Il y a peut-être eu l’intervention de différentes recombinaisons.
Par exemple, si nous prenons le cas du virus de la grippe H1N1 qui a défrayé la chronique il y a quelques années, c’est un recombinant entre un virus d’oiseau, un virus de porc et un virus d’homme. Donc pour le coronavirus peut-être qu’il y a aussi d’autres organismes qui ont été impliqués. Ce qu’il faut savoir, c’est que l'homme aussi transporte ses propres coronavirus qui passent chaque année et provoquent des maladies dont personne ne parle ou très peu. Ce sont des rhumes, des signes cliniques qui ne nécessitent pas d’hospitalisation particulière.
Des coronavirus qui attaquent l’homme il y en a déjà. Celui-ci est nouveau, émergent, et c’est pour cette raison qu’il est aujourd’hui si virulent et qu’il cause ce drame car toutes les populations humaines n’avaient jamais rencontré ce virus. Dans ce cas, nous parlons de “populations naïves”, c’est-à-dire qu’elles n’ont aucune immunité contre ce virus. Par conséquent il s’agit d’un véritable feu de paille où le vent souffle puisque toutes les populations rencontrées n’ont aucun système de défense contre lui.
Quid de la manière dont repenser le rapport de l'homme à la nature après la pandémie de Covid-19 ?
Cela passe dans un premier temps par l’idée de penser que la nature est diversifiée et qu’il faut garder cette richesse biologique, cette biodiversité. Par exemple, la maladie de Lyme est provoquée par une bactérie sanguine dont les réservoirs sont, entre autres, de petits mammifères . Ces petits mammifères sont régulés par des prédateurs, des oiseaux de proie par exemple.
La destruction de ces habitats, simplement par l’urbanisation, la mise en place de structures urbaines modifie le territoire. Les oiseaux de proie, les prédateurs sont chassés car leur habitat est détruit. Cela provoque une prolifération de ces petits mammifères qui n’ont plus de régulation due aux prédateurs. Ensuite, comme ils sont vecteurs, cela amplifie encore et encore le pathogène. Plus vous amplifiez le pathogène, plus la probabilité qu’il affecte l’homme augmente.
Dans l’avenir ce qu’il va falloir comprendre c’est qu’un pathogène qu’il soit virus, bactérie ou autre est un organisme vivant et de ce fait, il a un triptyque écologique, biologique et évolutif dans l’environnement. Il faut analyser ce triptyque.
Il faudra comprendre comment dans des écosystèmes circulent et fonctionnent ces pathogènes et ne pas créer les conditions pour qu'un incendie puisse se déclarer. Dans l’avenir, il faut aussi des concertations entre tous les domaines scientifiques et des sciences sociales pour que l’homme puisse prendre en considération de manière globale le fonctionnement des écosystèmes, leur puissance, leur intérêt et leur préservation. C’est de tout cela que dépend la santé des populations humaines dans le monde.