Coronavirus : le déconfinement annonce un retour en force du vélo en ville

Le vélo se prépare un été radieux dans les villes, à la faveur de la crise sanitaire du Covid-19. De nombreuses municipalités, comme Paris, Bruxelles, Bogota, Londres ou Barcelone, installent en urgence des pistes cyclables temporaires ou élargissent les trottoirs. Elles anticipent une désaffection pour les transports en commun par peur de la contagion et veulent à tout prix éviter le retour massif des voitures et de la pollution.
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Une piste cyclable temporaire à Paris, le 7 mai 2020
©Ville de Paris
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Pas question "que nous nous laissions envahir par les véhicules et la pollution" clame Anne Hidalgo, la maire de Paris, à quelques jours de la fin du confinement en France. "Non au retour de la horde sauvage", s'inquiète une pétition en ligne contre le bruit jugé excessif des motos et scooters à moteur thermique. Les habitants des grandes villes se sont habitués au calme et à une atmosphère un peu moins polluée. Beaucoup rêvent d'un avenir sans embouteillages.

Les pouvoirs publics craignent que la peur du Covid-19 ne pousse les voyageurs qui retournent au travail à fuir les transports en commun (métro, RER, tramways et bus). "En Chine, on voit déjà un report des transports collectifs vers la voiture, relève Mathieu Chassignet, ingénieur transport et mobilité à l'ADEME, Agence française de la transition écologique. Le niveau du trafic automobile a repris son niveau d'avant-crise sanitaire alors que les transports collectifs restent sous-utilisés."
 

"La voiture n'est pas une option"


Les différents transporteurs ont annoncé des mesures pour rassurer leurs clients. La RATP, à Paris, promet par exemple du gel hydroalcoolique dans les stations, un siège sur deux laissé libre dans les wagons et des marquages au sol pour faire respecter la distance physique imposée par la crise sanitaire. Mais ces mesures vont avoir pour effet de réduire drastiquement la capacité des trains.
 
"Seulement 20% du nombre habituel de voyageurs pourra prendre les métros, trains et bus en région parisienne" précise à TV5MONDE le maire-adjoint en charge des transports à Paris, Christophe Najdovski. "Mais la voiture n'est pas une option, poursuit-il. Si je prends un exemple : un million de passagers empruntent la ligne 1 du métro chaque jour en période normale. Imaginez que 10% de ces usagers prennent leur voiture individuelle à la place. Avec 100 000 personnes, on atteindrait déjà le double du trafic qui existait auparavant sur les berges de Seine à Paris. Le report vers la voiture, même marginal, entraînerait la thrombose de la ville."

Pour éviter cette perspective, les municipalités ont tout intérêt à promouvoir d'autres modes de transport, à commencer par le vélo.
 

Pistes cyclables temporaires


Dans de nombreuses villes du monde, l'idée de créer des pistes cyclables temporaires à fait son chemin. Les premières ont été inaugurées dès le mois de mars à Bogota, en Colombie, sur 80 kilomètres. Ce jeudi 7 mai, la capitale française vient d'ouvrir les siennes, rue Saint-Jacques dans le 5e arrondissement. La ville promet 50 kilomètres de ces "coronapistes" dans les prochaines semaines.

Le maire Les Républicains de Nice, Christian Estrosi, prépare, lui, 60 kilomètres de pistes pour les vélos et vient d'interdire aux voitures une partie du boulevard Gambetta, l'un des axes majeurs de la ville dans le sens nord-sud. Bus et vélos auront l'exclusivité de l'utilisation de cette route. Preuve que le recours au deux-roues convainc les élus de gauche comme de droite.
 
Les villes appliquent le principe de "l'urbanisme tactique", c'est-à-dire l'aménagement de l'espace public pour inciter à un changement de comportement. Avec la possibilité de modifier rapidement et facilement les nouveaux espaces mis en place, quitte à les supprimer si leur utilité ne se confirme pas. "Il faut des aménagements légers, réversibles et rapides à mettre en œuvre pour être au rendez-vous de la sortie du confinement", glisse Christophe Najdovski.
 

+40% de vélos vendus


Mais pour Mathieu Chassignet, ingénieur spécialiste de la mobilité, "beaucoup de ces aménagements seront rendus pérennes, car ils seront très utilisés. On le sait, dès lors qu'une collectivité met en place de bons aménagements cyclables sécurisés, continus, les gens se mettent à faire du vélo. La pratique augmente considérablement dès qu'on offre de bonnes conditions pour le faire".

Les premiers indicateurs semblent confirmer un engouement pour la bicyclette. La ville de Paris signale une nette augmentation des demandes de l'aide financière qu'elle propose à l'achat d'un vélo à assistance électrique.
 
Le fabricant belge de vélos électriques Cowboy constate une envolée de l'utilisation de ses produits, à la faveur de la fermeture des transports en commun : "À Anvers et à Bruxelles, les usagers ont parcouru trois fois plus de kilomètres en avril qu'en mars. À Liège, ils ont fait deux fois plus de vélo en avril qu'au cours du mois précédent" selon l'entreprise, qui peut suivre en temps réel les déplacements de ses vélos connectés.

Ses ventes ont également grimpé de 40% entre mars et avril, malgré le confinement et presque sans aucune publicité. "Je pense que les gens sont en train de prendre conscience que le vélo est bon pour leur santé en général, que ça permet de se déplacer plus vite et de maintenir la distanciation sociale, analyse Benoit Simeray, le directeur marketing de Cowboy. Et quand tout ça est encouragé par certaines municipalités, ils se disent que ça vaut le coup d'investir dans un vélo".

Repenser l'espace urbain


Chez beaucoup de constructeurs de bicyclettes, les délais de livraison s'allongent. Le Néerlandais Van Moof ne peut désormais livrer son dernier modèle tout juste sorti qu'au mois d'août. Coleen, basé à Biarritz, a vendu cinq de ses vélos très haut de gamme en deux jours. "Un rythme très inhabituel pour un vélo à 6000 euros" se réjouit la fondatrice Audrey Lefort.

Un autre fabricant français, MAD, constate une fréquentation quadruplée de son site internet "et des ventes multipliées par 10 entre mars et avril. L'un de nos deux modèles est en rupture de stock pour le moment, assure l'un des fondateurs de la marque, Charles Hurtebize. Pour lui, "la crise du Covid-19 aura surtout été un élément déclencheur pour des personnes qui se posaient déjà la question de s'équiper depuis longtemps. Mais il y a aussi des personnes qui ne veulent plus du tout prendre les transports en commun parmi nos clients."

Au final, c'est tout l'urbanisme des villes qui pourrait s'en trouver transformé, au moins pour quelques mois. La cité doit prévoir plus de place aussi pour les piétons. Les trottoirs sont souvent trop étroits pour permettre à deux personnes de se croiser en respectant la distance recommandée d'un mètre. Les commerces demandent à leurs clients d'attendre à l'extérieur pour éviter la bousculade dans les rayons.

Plus de place pour les piétons


Les municipalités commencent à prendre en compte ces nouveaux besoins. A Lyon, Paris, Barcelone ou Londres, l'espace pour les piétons a été élargi en neutralisant des places de stationnement automobile. La ville de Montréal, au Canada, a déjà créé plusieurs dizaines de ces "corridors sanitaires" depuis la mi-avril. La maire Valérie Plante y voit aussi "l'occasion d’encourager l’achat local des commerces de proximité".
 
Ce que semble confirmer l'élu en charge des transport à la mairie de Paris : "L'objectif pour tout le monde c'est de retrouver une vie sociale compatible avec les règles de distanciation physique pour vivre avec le virus. C'est une remise en cause profonde de notre façon d'aborder l'espace public. Nous allons redistribuer l'espace en faveur des cyclistes mais aussi des piétons ou même des terrasses de café et de restaurants. C'est un travail au long cours qui s'engage aujourd'hui."


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