Fil d'Ariane
Florence Tablon, responsable des partenariats dans une entreprise de services numériques vit dans le Val-d'Oise en banlieue parisienne. Cette jeune quadragénaire, aux ascendances guyanaises, mère de deux enfants, est de nature optimiste. Contre toute attente, elle, apprécie cette période : “C’est une expérience plutôt enrichissante !” avoue-t-elle.
Cette mère de famille apprécie de passer plus de temps avec ses adolescents. Des jumeaux. Elle a la chance de vivre dans un espace plutôt confortable. Et puis surtout, elle continue de travailler, d’arrache-pied, à distance. L'activité, c'est son moteur.
Ses parents, eux, vivent à Cayenne. L'éloignement participe à son inquiétude. L’appel, d’ordinaire hebdomadaire, à sa mère est devenu quotidien. En ces temps troubles, on est plus enclin à prendre des nouvelles.
Dans un groupe WhatsApp, sa cousine poste chaque jour l’état officiel de progression du coronavirus en Guyane. Un brin nostalgique, elle regardait récemment une vidéo du réveillon de Noël 2018, dans laquelle, avec ses proches, elle s'amusait à danser et à festoyer sur les rythmes du carnaval. Après toute cette période difficile, elle compte bien retrouver sa Guyane, pour rejouer cette séquence carnavalesque du "vidé" (défilé carnavalesque dans la rue en créole) . Et tant pis si ce n'est pas la saison !
Florence se réjouit de voir que sa terre d’attache ne compte que peu de cas de Covid-19. Il faut rappeler que, sur place, les mesures d’isolement ont été très vite prises. Une poignée de Guyanais faisaient partie du grand rassemblement évangéliste de Mulhouse, qui s'est avéré être l’un des foyers principaux de propagation de l’épidémie en France. Parmi les participants : des fidèles tous originaires de Saint-Laurent du Maroni (au nord-ouest de la Guyane). De retour chez eux, en Outre-mer, les concernés et ceux qu’ils ont côtoyés à leur arrivée, ont été immédiatement mis à l'isolement. La ville est quasiment coupée du reste de la Guyane. La propagation de l'épidémie est contenue.
Installée en Côte d'Ivoire depuis novembre 2017, Malika Jean-François dirige une agence de relations publiques et digitale à Abidjan. Et même si elle se définit comme une personne plutôt casanière, au bout d'un mois de confinement, cette Guadeloupéenne, trentenaire, reconnaît qu'elle a parfois des coups au moral.
En Côte d'Ivoire, il n'y a pas de confinement à proprement parler, mais des consignes de gestes barrières et un couvre-feu à partir de 21 heures. Alors, ce confinement, Malika se l'est elle-même imposé depuis qu'il a été décidé en France. "Quand il pleut à Paris, Abidjan est mouillé !" clame t-elle en reprenant cet adage populaire dans l'ancienne capitale ivoirienne.
Elle aurait pu quitter la Côte d'Ivoire et rentrer aux Antilles quand le confinement a été décidé en France. Mais elle n'a voulu, ni prendre le risque d'être contaminée, elle-même contaminer en Guadeloupe, ni mettre en péril son activité. Malika vit donc essentiellement retranchée dans sa maison du quartier Cocody, à Abidjan. Elle s'accorde de temps à autre une petite récréation de décompression à Assinie, une station balnéaire, située à une bonne heure de route d'Abidjan. Mais c'est tout. "Je suis une fille du soleil", souligne-t-elle. C'est une thérapie, pour cette Pointoise, que de reconstituer à sa manière, un peu de sa plage préférée, celle du Souffleur à Port-Louis (au nord de la Guadeloupe). Une manière aussi de sortir de l'atmosphère angoissante générée par ce Covid-19.
Personne, parmi ses proches, n'est mort de la maladie, mais elle concède que les décès de Pape Diouf et de Manu Dibango l'ont profondément secouée. Elle se souvient, d'ailleurs, de sa rencontre l'an dernier à Abidjan avec le saxophoniste disparu le 24 mars dernier. Malika Jean-François ne sait pas quand elle retrouvera la Guadeloupe, mais sa plus grand crainte serait de ne pas pouvoir être présente, près de sa famille, sur place, si un drame survenait.
Olivier Kanuty est un homme de défis. Il y a 11 ans, ce Guyanais de Kourou embarque femme et enfants pour les États-Unis.
La Floride sera son nouveau terrain de jeu. Il s’établit à Coral Springs, petite bourgade située au nord de Miami. Pas de confinement où il vit. Ce journaliste indépendant, qui a roulé sa bosse en Guyane et en Guadeloupe, s’appuie sur son bon sens. Il s’impose toutes les mesures barrières. Aujourd’hui, à la tête de sa boîte de production, il aurait pu rallier la Guyane au moment où Donald Trump décidait de verrouiller les États-Unis début mars. Il a préféré rester. “La pandémie, que je la vive ici ou ailleurs, c’était pareil !” dit-il.
Olivier est évidemment conscient que sa couverture maladie dépend de sa capacité à travailler, car aux États-Unis, l'assurance-maladie va de pair avec l'activité. Pour l’instant, à cause du Covid-19, les contrats se raréfient. Mais qu’importe. Il croit en lui-même.
Il est aussi lucide sur le fait que tout ça est terriblement aléatoire. Il raconte l'histoire d'une femme qui fréquentait le même magasin d'alimentation que lui. Elle a succombé au Covid-19, à cause d'un chariot infecté. "Ça aurait pu être moi, qui poussait ce caddie. Cette maladie c'est la version 2.0 de la roulette russe !" lâche t-il, un peu désabusé.
Pour son équilibre, Olivier garde également quotidiennement le contact avec la Guyane. Pour ça, les réseaux sociaux, les groupes privés WhatsApp et autres, tournent à plein régime. Sa mère est souffrante. Il redoute une possible mauvaise nouvelle, mais n’en fait pas, non plus, une obsession. “Ma vie est faite de challenges !” clame t-il. Il ne veut surtout pas se surcharger d’équations à résoudre avant qu’elles ne se présentent à lui. Il aimerait juste que toute cette période soit passée pour qu’il puisse à nouveau voir les siens, et passer du bon temps en pirogues sur les fleuves guyanais. Il rêve de partager prochainement avec sa famille deux ou trois nuits en forêt.
Sandrine Gruda, est basketteuse professionnelle. À 32 ans, elle a déjà, connu de nombreuses expériences en clubs. Plus de 160 sélections en équipe de France s'affichent au compteur pour cette Martiniquaise, attachée à sa ville de Saint-Joseph (au centre de la Martinique).
Elle a connu très jeune la WNBA (ligue nord-américaine professionnelle de basket-ball féminin). Elle a longtemps joué en Russie, en Turquie, en France (à Valenciennes et à Villeurbanne). Depuis 2018, Sandrine a posé ses valises au Famila Schio, un club du nord de l'Italie, situé à 250 km de Milan, devenu un gros foyer de la pandémie.
La finaliste du dernier EuroBasket en 2019 n'a pas eu le choix de se confiner ailleurs que dans sa ville d'adoption. Mais, cela ne la dérange pas plus que ça ! Ce sont plutôt ses proches, en France et en Martinique, qui vivent sa situation avec angoisse. Ils sont en contact réguliers, mais les nouvelles, qu'ils ont d'elle, ils les obtiennent aussi à travers les médias, souvent alarmistes. Et la situation en Italie est devenue très vite inquiétante.
Mais de nature, joviale, optimiste et déterminée, Sandrine ne semble pas atteinte par l'atmosphère anxiogène, même si elle reconnaît qu'elle n'avait pas envisagé que le confinement dure aussi longtemps. Alors, elle s'occupe. Elle a des projets. Elle tient aussi un blog, et répond aux interviews en visioconférence (voir séquence vidéo). Elle est plutôt active sur les réseaux sociaux. Elle se maintient en forme également. C'est une athlète de haut niveau. Rien ne doit être laissé au hasard. Cette globe-trotteuse a gardé les réflexes éducatifs de sa Martinique. Le foyer, la maison, érigés en repères ultimes, c'est une valeur sûre aux Antilles.
La pandémie ayant modifié le calendrier des Jeux olympiques de Tokyo (reportés à 2021), Sandrine sait qu'elle devrait logiquement retrouver son île cet été. Elle envisageait d'y être en juillet pour le départ du Tour des Yoles, une grande compétition maritime très populaire à la Martinique.
►Entretien avec Sandrine Gruda, pivot de l'Équipe de France de basketball
Mais pour la première fois en 36 ans, la célèbre manifestation a été annulée. Là encore, à cause du Covid-19.
Confinée dans son deux-pièces parisien depuis la mi-mars, comme des milliers d’étudiantes, Audrey Chaar vit plutôt bien la situation actuelle. Elle était tout juste bachelière, quand elle est arrivée à Paris en septembre 2019.
La jeune femme de 19 ans, aux ascendances guadeloupéennes et libanaises, était en Guadeloupe très impliquée dans son association de solidarité entre jeunes. Aussi, pour elle, être bloquée, dans un espace exigu quand elle vivait au grand air, il n'y a pas si longtemps, est un vrai changement.
Outre les activités quotidiennes vitales, elle regarde les infos, lit, et a décidé d'apprendre l’italien en ligne. Elle s’occupe l'esprit. “J’en apprends sur moi-même”, comme elle aime à le dire. Elle regrette ce manque de contact avec l’extérieur mais sait aussi qu’il y a pire situation que la sienne. Des étudiants, coincés en chambres universitaires, et donc, moins bien lotis qu’elle, en terme d’espace.
Elle s'informe aussi régulièrement de ce qui se passe sur son île. Elle a longtemps pesté contre ces bateaux de croisières pas assez contrôlés à ses yeux, alors qu'il pouvait y avoir à bord des touristes potentiellement porteurs de la maladie. Ses amies sont elles déjà rentrées. Elles habitaient Lille, Toulouse et Paris et ont profité de la fenêtre de la mi-mars, pour traverser l'Atlantique.
Aujourd’hui, plus rien ne retient donc, Audrey, à Paris. Ses examens sont différés. Elle a bien en France, des proches, membres de sa famille mais qu'elle ne peut pas voir de toute façon. Et puis, ses parents vivent en Guadeloupe. Elle redoute néanmoins, la quarantaine imposée en ce moment au peu de personnes autorisées à se rendre dans l'archipel. 14 jours dans un hôtel, isolé, dans une chambre. Elle n'a donc aucun intérêt à essayer de partir maintenant.
Pour l’heure, seule, la compagnie Air France/KLM (dont l'État français est actionnaire minoritaire) assure des rotations de quelques passagers. Depuis ce lundi 20 avril, un vol est assuré chaque semaine vers Cayenne et Saint-Denis de la Réunion et deux vols hebdomadaires à destination de Fort-de-France et de Pointe-à-Pitre. La compagnie aérienne assure aussi des vols de fret au nom du principe de la continuité territoriale.
Les autres transporteurs comme Air Caraïbes et Corsair prévoient un retour progressif des liaisons Outre-mer à partir du 12 juin 2020. Selon un stewart, joint par téléphone, et travaillant sur ces rotations, les mesures d’isolement en vigueur actuellement devraient disparaître mécaniquement dès la reprise des vols en juin. Audrey sait qu’elle devra donc patienter, mais son “retour au pays” est déjà programmé, puisque son billet pour Paris de l’an dernier était un aller-retour.