Fil d'Ariane
TV5MONDE : Êtes-vous surpris de voir les Belges à ce point unis derrière leur équipe nationale ?
Jean-Michel de Waele : Je ne suis pas surpris car, pour un petit pays, c'est quelque chose d'extraordianaire de se retrouver dans le carré final d'une Coupe du monde. En outre, nous pensions que nous n'étions pas faits pour ce genre de compétition et que les joueurs et cette génération dorée ne se battraient pas pour le maillot national au vu de la faiblesse des sentiments nationaux et patriotiques en Belgique. Finalement, le miracle s'est produit. C'est tout compte fait assez normal qu'il y ait un tel engouement.
Entendre "Nous, les Belges" est rare et nous le découvrons.
Jean-Michel de Waele
Cet engouement, est-ce du patriotisme ?
Je pense que, dans le cas belge, parler de patriotisme est difficile. A mon avis, c'est de la fierté et un remarquable prétexte pour faire la fête et crier un "nous" collectif qui nous manque. Nous sommes un pays très divisé (régionalement, religieusement, les communes et les municipalités jouent aussi un rôle tès important). Entendre "Nous, les Belges" est rare et nous le découvrons. Cela provoque évidemment des émotions qui sont elles aussi rares. Par ailleurs, ce pays avait vraiment besoin de ce grand moment festif après la crise politique dont le monde entier a parlé, après l'affaire Dutroux, après les attentats... Après toutes les difficultés qu'a connues ce pays; il fallait un peu de catharsis, une grande fête populaire.
Il faut bien noter que le public peut être nationaliste flamand et en même temps soutenir l'équipe nationale belge.
Jean-Michel de Waele.
Cet engouement est-il inédit ?
Il y a déjà eu de l'engouement pour l'équipe nationale mais pas aussi fort que cette fois-ci. En 2014, nous nous trouvions dans une crise politique majeure. Et pour la Coupe du monde, les Belges francophones étaient persuadés que si les Diables la remportait ou s'ils allaient en 1/4 de finale, tout le monde serait fier d'être belge et abandonnerait le soutien aux partis indépendantistes. Mais, d'abord, les Diables n'ont pas fait le parcours qu'on leur promettait et ensuite, cela n'a rien changé. Il faut bien noter que le public peut être nationaliste flamand et en même temps soutenir l'équipe nationale belge. Ce qui fait le succès de la NVA c'est son programme anti-immigrés, néo-libéral, ses réformes économiques, une bonne dose de populisme, pas tellement l'aspect indépendantiste.
Pensez-vous que cette fois-ci le football et cette communion autour des Diables pourra influencer la situation politique du pays ?
À court terme, cela ne va pas influencer la situation politique et électorale du pays. À moyen et long terme, peut-être. Une partie de la jeunesse belge et, en particulier, de la jeunesse flamande, a, vis-à-vis du concept Belgique, des symboles de la Belgique (le drapeau, l'hymne national...) un autre rapport que les générations précédentes. C'est la première génération depuis la seconde guerre mondiale qui se réjouit, qui fait la fête, au nom de la Belgique. Mais est-ce que cela peut dans la mémoire collective, l'imaginaire collectif, un autre rapport à la Belgique ? Cela est trop tôt pour le dire. Mais à court terme je ne pense vraiment pas que la victoire des Diables Rouges va sauver la Belgique.
Dans votre étude "Soutenir l'équipe nationale de football. Enjeux politiques et identitaires" vous considérez le football comme une loupe sociale, un miroir grossisant de la société belge. Qu'est-ce qu'il nous apprend ce miroir sur cette société ?
Il nous apprend que les divisions entre francophones et néerlandophones peuvent être moins importantes que ce que l'on pensait quand l'équipe nationale joue. Il nous montre aussi, par exemple, que les enfants de l'immigration sont sans doute plus intégrés à l'équipe nationale que dans d'autres pays. En France, les Bleus ont parfois été considérés comme des gamins " de merde", des joueurs "bling-bling" sans intérêt. En Suisse, les joueurs, des enfants de l'immigration albanophone, faisant des signes nationalistes en éliminant la Serbie a suscité la polémique et posé la question de savoir s'ils n'étaient pas plus albanais que suisses.
On voit bien dans cette Coupe du monde que l'intégration de la 2ème, 3ème génération à un certain nombre d'équipes nationales reste un sujet sensible et de débat. En Belgique, pour le coup, personne ne se pose la question de savoir si Romelu Lukaku (attaquant belge dont les parents sont d'origine congolaise) aurait pu jouer pour une autre équipe nationale.
La Belgique, c'est l'amoureux transi qui regarde la belle Marianne et qui aimerait tellement qu'elle veuille bien lui accorder réellement quelque attention.
Jean-Michel de Waele
On a le sentiment que seul le football crée ce genre d'émotions...
En effet, seul le foot crée ce genre d'émotions et c'est d'ailleurs pour ça qu'il faut l'étudier. Aujourd'hui, on peut trouver cela stupide ou pas, il faut bien remarquer qu'au niveau mondial, le football s'est totalement mondialisé et provoque des sentiments extrêmement puissants. Pourquoi ? Parce que les règles sont très simples à comprendre, vous pouvez y jouer avec trois fois rien, c'est un sport où le petit peut battre le grand, où les renversements de situation sont fréquents, où les règles sont discutables. C'est un sport où le suspense est grand (cela ne tient vraiment pas à grand chose de marquer un penalty ou pas), on sait que tout est possible et cela plaît evidemment beaucoup et provoque de grandes émotions. Mais c'est éphémère.
Votre pronostic pour ce match entre voisins ?
Je crains que cela se joue aux penalties et ce sera terrible. On se dit que la France est plus forte mais on ne peut pas s'empêcher de rêver. Pour les Belges, la France est un pays magnifique, un pays de culture, d'histoire, où on mange bien. On regarde la télévision française tous les jours, on se passionne pour la présidentielle parfois même plus que les Français eux-mêmes, on y passe nos vacances et on se moque de notre accent. La Belgique, c'est l'amoureux transi qui regarde la belle Marianne et qui aimerait tellement qu'elle veuille bien lui accorder réellement quelque attention et le traite d'égal à égal.