Une apothéose de légende pour un joueur de légende: l'Argentine de Lionel Messi a remporté dimanche la Coupe du monde en battant aux tirs au but la France (3-3), au terme de ce qui fut un des plus grands matches de football de l'histoire. Une apothéose qui a tenu à très peu de chose.
À quoi tient une victoire ? Messi, l'un des meilleurs footballeurs de tous les temps, si ce n'est le meilleur, a pu croire que la malédiction qui le poursuit dans le Mondial, allait connaître un nouvel épisode.
(RE)lire : Le Qatar en s'offrant Lionel Messi s'achète une nouvelle imageAlors que les Argentins menaient 2 à 0 grâce à son pénalty et un but de son lieutenant préféré Angel Di Maria (23e, 36e), et dominaient les champions sortants, l'autre star de cette coupe, Kylian Mbappé a ramené son équipe à hauteur en quelques secondes (80e, 81e). Puis Messi a vu le Français réussir son deuxième pénalty de la soirée (118e) alors que l'Argentin venait de redonner l'avantage aux siens et haranguait son public (109e).
La finale en chiffres :
Lusail (Lusail Iconic Stadium): Argentine et France 3 à 3 (2-0, 2-2, 2-2, 3-3)
Argentine qualifié aux tirs au but (4 à 2)
Spectateurs : 88.966
Possession de balle:
Argentine: 54 %
France: 46 %
Buts:
Argentine: Messi (23 s.p., 108), Di María (36)
France: Mbappé (80 s.p., 81, 118 s.p.)
Tirs au but réussis:
Argentine: Messi, Dybala, Paredes, Montiel
France: Mbappé, Kolo Muani
Tirs au but manqués:
France: Coman, Tchouameni
Avertissements:
Argentine: Fernández (45+7), Acuna (90+8), Paredes (114), Montiel (116), Martinez (120+5)
France: Rabiot (55), Thuram (87), Giroud (90+5)
Mais après quatre échecs depuis 2006, cette fois, c'était le soir de celui qui ravit les amoureux du ballon rond depuis si longtemps. Pour un triomphe au bout du suspense, obtenu aux tirs au but face à une équipe qui refusait de perdre mais a vu Kingsley Coman et Aurélien Tchouaméni échouer dans leurs tentatives à cette terrible épreuve, dont le gardien Emiliano Martinez a été le héros.
Cette troisième étoile pour l'Argentine, après celles des équipes menées par Daniel Passarella (1978) puis par Diego Maradona (1986) portera la marque de Messi, immédiatement désigné meilleur joueur du tournoi, pour le plus grand bonheur de ses millions de supporteurs dans le monde entier qui ont immédiatement commencé à chanter sa gloire, de Buenos Aires au souk de Doha.
Sainte Trinité
Avant ce sacre, l'enfant de Rosario, 35 ans, avait tout gagné en clubs, avec le FC Barcelone surtout. Mais avec sa sélection, il se contentait d'une Copa America (2021). Remporté à sa cinquième tentative, ce titre mondial le fait rejoindre dans la légende Maradona,
"el pibe de Oro", couronné en 1986. Il égale aussi Pelé, avec douze buts en cinq éditions de la compétition reine du football. Un trio qui ressemble fort à une Sainte Trinité pour les amoureux du ballon rond.
"Nous sommes champions du monde!", a-t-il lancé au micro, extatique.
Messi a fait quelque chose que n'ont réussi aucun de ses deux aînés, ni personne d'autre: il a marqué en poules puis dans chacun des quatre matches à élimination directe... Dont deux fois en finale...
Étincelant Mbappé
Pour la France, qui était tenante du titre, cette dernière marche était donc celle de trop. Malgré son joyau qui a grandement contribué à faire de ce match une oeuvre d'art.
Voir : Mbappé, l'enfant de Bondy
Étincelant, brillant, immense aussi, Mbappé, en est à douze buts en Coupe du monde, autant que Pelé avec qui il avait fallu quatre éditions pour atteindre ce total. Son triplé en finale, une première depuis Geoff Hurst (1966) qui s'est fendu d'un tweet de félicitations, lui offre un lot de piètre consolation: le titre de meilleur buteur du tournoi.
Résilients, les Bleus avaient jusqu'alors surmonté de nombreux vents contraires: des forfaits en cascades de cadres, Paul Pogba, N'Golo Kanté, Presnel Kimpembe, Karim Benzema, puis un virus qui a touché l'effectif la semaine de la demi-finale et de la finale. Admirables combattants, ils ont encore cru tordre le bras au mauvais sort dimanche.
"Presque un match de boxe"
Au micro de TF1, le capitaine et gardien de l'équipe de France Hugo Lloris confiait :
"On a été trop en réaction dans la finale. C'était presque un match de boxe, on s'est rendu coup pour coup."Raphaël Varane, défenseur, est amer et partage sa déception
"On a tout donné" dit-il à TF1, "On s'est battu jusqu'au bout, on n'a rien lâché. On est revenu. On aurait pu gagner. Je suis très fier d'être français et du groupe."La France ne deviendra pas la troisième nation à conserver le plus grand des trophées du football, comme l'avaient fait l'Italie (1934 et 1938) puis le Brésil du
"roi" Pelé (1958 et 1962). Celui-ci reste aussi le seul à avoir emporté deux titres avant de fêter ses 24 ans, ce que ne réussira donc pas Kylian Mbappé.
Mais ces joueurs
"ont fait rêver" les Français, a réagi leur président, venu à Doha pour la finale.
"Digérer" la défaite
À la sortie des vestiaires, Emmanuel Macron a expliqué avoir partagé sa tristesse avec les joueurs,
"surtout comme ça parce qu'on est passé si près du but".
"Et en même temps, ce que j'ai dit aux joueurs c'est qu'ils nous avaient rendus immensément fiers et qu'ils nous avaient fait vibrer". Il les a invités à
"digérer" cette défaite.
Devant les journalistes, il a notamment insisté sur la performance
"extraordinaire" de Kylian Mbappé.
"Regardez : on en a un ce soir qui en a marqué trois, qui est un immense joueur, il lui est arrivé de rater des penalties, il a digéré".
Souffrir, c'est Argentin
De Mar del Plata, sur l'Atlantique, à Jujuy au pied des Andes, et à Buenos Aires bien sûr, des millions d'Argentins, autour d'écrans géants dans un parc, un stade, sur un front de mer, chez eux, ont vibré et d'abord accompagné un crescendo euphorique avec un avantage de 2-0 à la pause. Puis l'angoisse, jusqu'au bout 2-2, 3-3, les tirs au but.
"Epique, c'est épique ! Mais c'est toute l'histoire argentine, de souffrir comme ça !": un cri, surgi de la foule en ciel et blanc de 1.500 personnes au Parque Centenario de Buenos Aires, résumait le sentiment de l'immense majorité.
"C'est notre destin de souffrir ! Condition sine qua non pour être argentin !", arrivait à plaisanter à l'AFP Joel Ciarallo, entre hilarité et émotion, dans un bar de la capitale proche de l'Obélisque. "Soyons clairs: l'Argentine est dans la m..., économiquement, socialement, on est mal. Alors c'est une distraction bien méritée".
Sans même attendre de voir Messi soulever la Coupe, des supporters par milliers ont commencé à converger vers ce monument emblématique de la capitale et lieu traditionnel des célébrations sportives.
L'attaquant brésilien Neymar félicite son coéquipier du Paris SG, Lionel Messi. "Félicitations mon frère", a écrit la star de la Seleçao sur ses réseaux sociaux, un message illustrant une photo de Messi tout sourire, caressant le trophée de la Coupe du Monde d'une main, et tenant celui de meilleur joueur du tournoi de l'autre.
Polémiques
Conclue sous les yeux d'Elon Musk, cette Coupe du monde fut un tournoi à nul autre pareil, un Mondial de la démesure, nécessitant entre 200 et 300 milliards d'euros d'investissements selon les estimations. Sept des huit stades ont été bâtis pour l'occasion, le dernier entièrement rénové.
(RE)lire : Coupe du monde 2022 : quels sont les 8 stades où se jouera la compétition?
Il est venu interrompre les saisons de football professionnel, tenu aux confins de l'automne et de l'hiver pour éviter les températures estivales insupportables de ce petit émirat gazier.
Les organisateurs ont été en butte à de nombreuses polémiques.
Il y eut d'abord les accusations de corruption pour obtenir en 2010 l'organisation de la compétition aux dépens des États-Unis, à la surprise générale. Des enquêtes judiciaires sont en cours dans plusieurs pays.
La question des droits humains
Le Qatar a également été critiqué sur la question des droits humains, notamment le traitement réservé aux travailleurs migrants d'Asie du Sud et d'Afrique employés dans les chantiers, la sécurité et les services.
Voir : Le Mondial au Qatar ou les dessous de l'esclavage moderne
Le Qatar dément que des milliers d'entre eux aient trouvé la mort sur les chantiers du Mondial, avançant le chiffre d'un total de 414 décès dans des accidents du travail (principalement hors Mondial) entre 2014 et 2020.
Dans un entretien à l'AFP, le directeur général de l'Organisation internationale du travail (OIT) Gilbert F. Houngbo a expliqué que le bilan exact ne serait jamais connu: "Je pense que le public a besoin de savoir la vérité et, parfois, cette vérité est de dire que, sincèrement, il n'y a pas d'information crédible." Il a toutefois assuré que "le Qatar (avait) mieux fait dans ce domaine que d'autres pays" et loué un "travail très positif" pour améliorer les droits sociaux à la faveur du tournoi.
Les atteintes à l'environnement consubstantielles à un tel tournoi, avec notamment l'empreinte carbone des infrastructures nécessaires, ont également été pointées du doigt.
Lire : Le football peut-il être écologique ?
En termes de gigantisme, le prochain Mondial s'annonce encore plus démesuré, avec trois pays organisateurs, États-Unis, Mexique et Canada, seize villes distantes de milliers de kilomètres, quatre fuseaux horaires... Et 48 équipes y participeront, contre 32 aujourd'hui, soit potentiellement plus de cent matchs (contre 64 actuellement).