Coupe du Monde : et les perdants sont...

Combien de fois le Congo, ou le Bénin, ou le Mali ont joué un match de la Coupe du monde ? Zéro. Et le Pakistan, l'Inde, ou la Thailande ? Zéro. Alors que le coup d'envoi du Mondial va être donné, l'Afrique et l'Asie du Sud semblent toujours sous-représentées. Une question de niveau ? Peut-être... mais pas seulement.
Image
Les pays qui ont le plus, et le moins participé à la Coupe du Monde
Les pays qui ont le plus, et le moins participé à la Coupe du Monde
©TV5MONDE
Partager6 minutes de lecture

 Si l'on se plonge un tant soit peu dans la "géographie" du foot, si l'on établit une carte du monde en fonction de la participation de chaque pays au Mondial, les conclusions sont assez évidentes. L'Afrique et l'Asie du Sud, sont deux grandes zones blanches. Alors que le Brésil a participé à toutes les mondiaux, soit aux vingt-et-une éditions depuis la première en 1930, certains pays comme le Sénégal ne se sont qualifiés que deux fois (2002, 2018), d'autres comme le Kenya n'ont tout simplement jamais passé les qualifications. 
 

Les pays d'Afrique et d'Asie sont sous-représentés. Il va falloir encore attendre quelques décennies pour voir un rééquilibrage.

 Yvan Gastaut, historien du foot et co-auteur de l'ouvrage
Les Coupes du monde de football, une histoire politique.


Comment l'expliquer ? Performances, argent, culture du sport, politique, rapports de force... Que cachent ces zones blanches, ces disparités ? 

La culture foot

Derrière les disparités apparentes, il y a d'abord quelques évidences culturelles. En Asie, le foot n'a pas toujours été roi. En Inde, au Pakistan par exemple, le sport national reste le cricket, importé par les Britanniques au temps des colonies. Les icônes nationales ne manient pas le ballon rond, ne sont ni Neymar, ni Ronaldo, mais s'appellent plutôt Virat Kholi, ou M.S. Dhoni, qui manient la batte, et une petite balle en cuir.

En Inde, les efforts sont certains pour s'engager dans le foot. L'année dernière, le pays a accueilli la Coupe du Monde de Foot des moins de 17 ans, choisi par la Fifa. En 2014, le pays a lancé l'"Indian Super League" qui voit s'affronter des équipes de foot composées de joueurs indiens, et d'anciennes super-stars européennes et brésiliennes, le tout dans l'espoir de susciter une ferveur autour du foot. C'est ainsi que David Trezeguet, Alessandro Del Pierro ou encore Nicolas Anelka se sont retrouvés à jouer à Delhi, Bombay, Calcutta... Timidement, les grands clubs européens comme le PSG mettent aussi en place des sortes d'écoles de football (souvent assez élitistes) appelées Académies. Et même si les jeunes de la nouvelle classe moyenne, souvent "occidentalisés" ne ratent aucun match de la Premier League et de leurs équipes favorites, au choix, Manchester United ou Liverpool (encore un fois, l'influence britannique), le pays peine à avoir une équipe de foot crédible. 


Afrique, le poids de l'Histoire

Plus étonnant est le cas du continent africain.  Pour Yvan Gastaut, spécialiste de l'histoire du football, "l'Afrique est un continent de foot. Il y a une ferveur, un public très demandeur, et de très bons joueurs". Mais là encore, le nombre de participations au Mondial n'est pas élevé.

Il faut reconnaître que pendant longtemps, les performances de ces nations n'ont pas été vraiment à la hauteur. Pour l'historien, "on peut envisager aujourd'hui que le Sénégal, le Ghana (pourtant non qualifié cette année) ou le Maroc gagnent une Coupe du monde, mais c'était tout simplement inenvisageable il y a encore quelques années". Et de citer la désillusion du Zaïre en 1974, battu 9-0 par la Yougoslavie. "Globalement dans les années 60, 70, 80, les pays africains et asiatiques prennent des raclées. Même si on peut noter des exploits  exceptionnels comme celui de la Corée du Nord qui bat l'Italie en 1966". 

Mais il y a aussi le poids de l'Histoire. Si l'Afrique ou l'Asie totalisent moins de participation que l'Europe ou l'Amérique du Sud en Coupe du monde, c'est notamment que dans les années 30, jusque dans les années 50/60, ces pays jouaient pour les puissances colonisatrices. Les Sénégalais, les Algériens jouaient pour la France.
 

La présence des Sénégalais et des Algériens est donc tardive. Leur faible taux de participation peut en partie être interprété comme un reliquat de la colonisation.

L'historien Yvan Gastaut.  

Rapports nord-sud et pouvoir

Mais pour l'historien, comme pour nombre de supporters et fédérations asiatiques et africaines, le problème principal n'est pas la performance, mais le règlement. Yvan Gastaut assure : "Dans l'organisation voulue par la FIFA, il y a une sorte de gestion à double vitesse, l'Afrique et l'Asie restent donc mis à l'écart. Dans une Coupe du monde à 32 nations, avec le processus de sélection actuel, 3/4 des équipes en phase finale sont des nations historiques de foot, c'est à dire les nations occidentales". 

C'est toute l'histoire des quotas. Le présent règlement établit que sur 32 places en Coupe du monde, 13 places sont réservées à l'Europe, contre seulement 4,5 à l'Amérique du Sud, 4,5 à l'Asie, ou encore... 5 à l'Afrique pour 54 pays sur le continent ! Alors forcément... lorsqu'on comptabilise le nombre de participations en Coupe du monde, ces quotas ont des conséquences visibles... avec une sur-représentation de l'Europe.

Régulièrement, les "laissés pour compte" grognent. Déjà en 1966, les pays africains s'estiment brimés par la Fifa. C'est la première fois qu'ils s'inscrivent massivement pour les qualifications avec 14 pays. Or, les règles établies par la Fifa ne leur octroient à l'époque qu'une "demi-place" contre 9 pour l'Europe. L'année d'après, la Fifa décide d'octroyer une place entière à l'Afrique (qui n'a plus à concourir contre le gagnant asiatique pour obtenir une place dans le championnat), puis deux places en 1982, 3 en 1994, 5 en 1998.

Bientôt, les quotas vont à nouveau changer. En 2026, la Coupe du Monde va passer à 46 nations. Avec 16 places pour l'Europe, 6 pour l'Amérique du Sud, 6 pour l'Amérique du Nord et Centrale, 1 pour l'Océanie et ...  8 pour l'Asie, 9 pour l'Afrique. Des augmentations de quotas notables, mais toujours pas suffisantes pour certaines fédérations et supporters. 
 

Crampons contre pieds nus !

Il est bien loin le temps où les invitations au Mondial étaient déclinées. Ce fut par exemple le cas en 1950.  La Coupe du monde se joue au Brésil, et pour la première et unique fois de son histoire footballistique, l'Inde est qualifiée. Le pays s'était révélé en 1948, au Jeux olympiques de Londres. L'équipe indienne avait fait sensation en arrivant pieds nus face à l'équipe de France, pour un match serré (2 à 1 pour la France).  Deux ans plus tard, le pays est qualifié d'office pour la Coupe du monde par la FIFA qui souhaite une participation asiatique. Pourtant très vite, l'Inde abandonne la partie. La légende dit que l'Inde se retire car la Fifa refuse de laisser ses joueurs jouer pieds nus. Mais Boria Majumdar, historien des sports, rectifie : "Si l'Inde ne s'est pas rendue au Brésil, c'était par pur manque d'argent, notamment pour le voyage".  Dans les années 50, participer à une Coupe du monde représente un budget non négligeable.

Aujourd'hui, un tel refus semble inconcevable. Pour le Mondial 2018, 208 pays ont tenté les qualifications... dont le petit royaume du Bhoutan, ou même le Soudan du Sud qui tentaient leur chance pour la première fois.  

"Aujourd'hui, le foot est tellement important que les pays mettent le paquet. C'est un passage obligé. Jouer une Coupe du monde est un réel enjeu." rappelle Yvan Gastaut.