Coupe du monde : les sueurs froides du Brésil

A quelques jours de la Coupe du Monde, alors que les drapeaux brésiliens commencent à flotter dans les rues, gouvernement Brésilien et dirigeants de la Fifa se renvoient déjà la balle à propos des ratés de la Coupe du Monde. Les autorités redoutent le regard des 18 000 journalistes étrangers accrédités. 55% des Brésiliens estiment que cette Coupe du Monde risque d'être préjudiciable à l'image du pays.
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Coupe du monde : les sueurs froides du Brésil
Au Brésil, le football est le sport-roi, comme ici sur les plages de Rio. Mais la Coupe du Monde génère des angoisses : et si tout se passait mal ?
(photo AFP)
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"La pire Coupe du Monde" « J’ai honte des retards du Brésil » déclarait la semaine dernière l’ex-attaquant brésilien Ronaldo, aujourd’hui membre du Comité organisateur de la Copa brésilienne. Des déclarations qui font écho à celle de Pelé, considéré comme le plus grand joueur brésilien, qui jugeait « inacceptable que certains stades ne soient toujours pas achevés », tandis que Jérôme Valcke, le vice-président de la Fifa, s’effrayait il y a quelques semaines d’ « un chaos brésilien qui fait craindre la pire Coupe du Monde ». En vain : pas un jour sans que la presse ne confronte le Brésil à l’aune des normes exigées par la Fifa. Le stade d’Itaquerao, dans lequel se tiendra la cérémonie d’ouverture le 12 juin prochain ? « Un stade au standard de la Fifa où le spectateur est sous la pluie» ironisait le quotidien Valor qui notait « que dans les tribunes populaires comme dans les tribunes plus chères, la toiture n’était pas assez grande pour protéger les spectateurs des averses ». Les télécommunications dans les stades ? Dans la moitié des stades, les accès 3G et 4G seront probablement trop lents pour poster des photos sur les réseaux sociaux. Si la presse n’en finit pas de railler les finitions approximatives – du nouveau couloir de bus truffé de nids de poule au départ de l’aéroport de Rio, en passant par le parking du stade de Porto Alegre encore en travaux - l’hebdomadaire Epoca de cette semaine pousse la critique dans une autre dimension. Il imagine ainsi un Brésil répondant aux standards de la Fifa en 2030 : car enfin doté d’une « éducation à la finlandaise, d’une sécurité digne du Japon, d’une santé comme au Royaume Uni et d’une vie culturelle à la française »... Une projection, qui traduit le désenchantement de ceux qui font mine de croire depuis 2007, qu’une simple Coupe du Monde, pouvait transformer de fond en comble un pays de 200 millions d’habitants.  Ce dernier, qui lorgne sur la présidence du foot mondial, est devenu le symbole de l’arrogance de la Fifa aux yeux de la presse brésilienne, après avoir conseillé au Brésil de « se mettre un coup de pied au derrière » en 2012. Des dirigeants de la Fifa si encombrants, qu’ils ont été récemment qualifiés de « poids » par la présidente Dilma Roussef, au détour d’une question sur des projets de nouvelles lignes de métro: « Arrêtez de me mettre Valcke et Blatter sur le dos ! Ces travaux ne sont pas pour la Coupe du monde mais pour nos villes ». Même tonalité mardi dernier, quand la presse questionnait la conformité des aéroports aux « standards de la Fifa », la présidente en pré-campagne électorale leur opposait « le standard  Brésil », vantant la qualité « des aéroports qui sont d’abord faits pour les brésiliens ».
Coupe du monde : les sueurs froides du Brésil
Classes moyennes, sans-abris, étudiants, indigènes: les multiples visages de l'opposition à la Coupe du monde au Brésil.
[Evaristo SA - AFP]
Maquiller les retards Mais au delà des fantasmes sur les « normes Fifa », c’est l’image de quartiers éventrés par des chantiers que redoutent les maires des 12 villes sièges. Sur 94 grands chantiers prévus pour la Coupe du Monde, seuls 37 ont été livrés à temps. La moitié des travaux de mobilité – métros, couloirs de bus, tramways – ont été abandonnés, alors même que le manque de transports publics était au cœur des grandes manifestations de juin dernier. De nombreux projets seront livrés plusieurs mois après la Coupe du Monde, parmi lesquels les tramways de Fortaleza et de Cuiabá, ou encore les terminaux des aéroports de Rio (Galeão), de Fortaleza ou Belo Horizonte (Confins). En ce moment même, les maires des grandes villes rivalisent d’ingéniosité pour maquiller ces retards. A Porto Alegre, les décombres liés aux travaux du stade ont été cachés sous une couche d’asphalte et de gravier, tandis qu’à Natal, des panneaux de cinq mètres de haut cachent le viaduc non terminé qui fait face au stade. Des camouflages que la ville de Cuiabá n’aura pas eu le temps de mettre en œuvre, ce qui lui a valu d’être mise à l’honneur par le prestigieux New York Times, qui s’est penché sur le retard de son tramway, de son stade et de son terminal.
Coupe du monde : les sueurs froides du Brésil
La Coupe du monde, présentée lors du tirage au sort organisé vendredi 6 décembre 2013, à Costa do Sauipe (Brésil).
(VANDERLEI ALMEIDA / AFP)
le regard de 18 000 journalistes C’est bien le regard des 18 000 journalistes étrangers accrédités, que redoute les autorités brésiliennes. « Toute la journée les médias nous bombardent: ‘Personne ne veut de la Coupe, personne ne veut de la Coupe’, il n’y aurait pas de climat, mais  ceci n'est pas vrai » assure Vinícius Lages, le Ministre du Tourisme, qui appelle chacun à « démontrer son patriotisme, afin de sortir de ces couvertures de revues internationales stupides ». Une fébrilité qu’on retrouve dans l’opinion : 55% des Brésiliens estiment que cette Coupe du monde risque d’être préjudiciable à l’image du pays. Car depuis le réveil social brésilien pendant la Coupe des confédérations, la rue n’en finit plus de réclamer des écoles et des hôpitaux aux « standards de la Fifa », tout en pointant le coût prohibitif – 8 milliards d’euros de dépenses – de l’événement. Mardi dernier, en lieu et place des habituels supporters, ce sont les professeurs en grève qui ont accueilli la sélection brésilienne à l’aéroport de Rio. Le mouvement Passe Livre, à l’origine des plus grandes mobilisations de l’an dernier, appelle à une manifestation le 19 juin, jour de la rencontre Angleterre-Uruguay à Sao Paulo, ignorant ainsi les conseils de Michel Platini qui se demandait « si les brésiliens pouvaient attendre un mois avant de faire des éclats sociaux ». Une recommandation que les 250 000 habitants expulsés des favelas – un chiffre contesté par le gouvernement – ne semblent pas prendre en compte non plus, si l’on en croit l’activisme du Mouvement des sans toits, qui multiplie les manifestations à proximité des stades. Les milliers de vendeurs ambulants interdits d’approcher à moins de 2 km des stades, et différents mouvements sociaux comme les Comités populaires de la Copa, seront également de la partie. Mais si la vitrine d’un Brésil conquérant paraît moins flatteuse que prévue, il serait tout aussi injuste d’en faire le mauvais élève d’un concours organisé par la Fifa ou le CIO – qui s’inquiète également des retards pour les JO de Rio – alors que la pérennité économique de ce type d’événements est de plus en plus contestée. Après tout, les jeux de Londres en 2012 ne se sont pas faits sans frayeurs :  des manifestations et une grève dans les aéroports étaient organisées à la veille des Jeux Olympiques, et une semaine avant la cérémonie d’ouverture, le gouvernement anglais découvrait qu’il lui manquait 6 000 agents de sécurité. Et puis, se souvient le journaliste Fabio Zani dans la Folha de Sao Paulo, « les retards et les manifestations paraissaient condamner la Coupe du Monde en Afrique du Sud. Au final, les manifestations sont restées localisées, les stades ont bien fonctionné et même Jérôme Valcke (le représentant de la Fifa) a tenté de paraître sympathique ». Un scénario que les brésiliens achèteraient volontiers, en plus d’une option sur un sixième titre de Champion du Monde, et l’assurance qu’on ne leur vendra plus de mirages en forme de ballon rond.

Favela da Paz : les chiffres de la misère

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Le stade Itaquera vu du métro, toujours en construction à la mi avril 2014. (@Octave Bonnaud)
A un quart d’heure à pied d’un stade qui aura coûté 300 millions d’euros, 19% des familles vivent dans des baraques en bois, soutenues par des pilotis brinquebalants au bord du fleuve. Selon une estimation effectuée par des travailleurs sociaux, près de la moitié des habitants sont au chômage, l’autre moitié se répartissant à égalité entre travail légal et informel. Sur le plan des revenus, 61% des familles vivent avec l’équivalent de 339R$ (soit 108€) par tête, tandis que 34% des foyers doivent survivre avec un revenu de 820 R$ (soit 263€). 50% des enfants n’étaient pas scolarisés fin 2012 et la moitié des familles n’avaient pas eu recours aux aides sociales auxquelles elles sont éligibles.