Coupe du Monde : les “troupes Ninjas“ de la police militaire

Alors qu’une nouvelle manifestation est prévue le 13 mars par le Collectif Sans droits pas de Coupe du Monde, les nouvelles tactiques employées par la police militaire brésilienne créent la polémique au Brésil. Les forces de l’ordre ont en effet troqué les balles en caoutchouc qui avaient choqué l’opinion en Juin 2013, contre des arrestations préventives réalisées par des policiers ninjas.
Image
Coupe du Monde : les “troupes Ninjas“ de la police militaire
manifestation à Rio de Janeiro, le 6 février 2014 ©AFP
Partager 5 minutes de lecture
Alors que la Coupe du Monde devait être la vitrine d’un Brésil émergent, c’est l’image d’un pays en proie à de fortes contestations qui risque de s’afficher sur les écrans de télévision du monde entier dans cent jours. Particulièrement redoutés, les phénomènes de casse en marge des manifestations pacifiques, mobilisent la police militaire de Sao Paulo, qui s’est félicitée de la mise sur pied d’une « troupe de bras », vite rebaptisée « troupe de ninjas » par la presse brésilienne. « Ce sont des policiers qui pratiquent les arts martiaux et qui sont censés arrêter les blacks blocks dans les manifestations. En réalité, c’est une opération de communication qui a permis d’expérimenter de nouvelles tactiques de contrôles lors des dernières manifestations » affirme Igor Leone, du groupe des Advogados Ativistas, un collectif d’avocats présent à Rio et Sao Paulo pour défendre gratuitement les manifestants arrêtés. Testée à Sao Paulo, la formation de ces troupes de ninjas sera utilisée pendant la Coupe du Monde et devrait être étendue aux autres villes sièges de la Coupe du Monde, s’est félicité Geraldo Alckmin, le gouverneur de Sao Paulo.
Stratégie de Kettling Alors que 1 000 manifestants défilaient calmement dans le centre de Sao Paulo, 272 d’entre eux ont été  arrêtés de façon aléatoire le 22 février. « Ils ont utilisé la stratégie de Kettling qui consiste à encercler des groupes de manifestants avant de les emmener au poste. Mais alors que la police militaire justifie ces actions par la lutte contre les blacks blocks, ils n’ont arrêté que des manifestants pacifiques, y compris des journalistes, des avocats et femmes enceintes » dénonce Igor Leone qui était présent sur le lieu. A visionner cette vidéo prise par une manifestante à l’intérieur du cercle, force est de constater que ces manifestants ne présentaient pas de danger pour l’ordre public.
« Nous avons également constaté de nombreuses infractions policières lors des deux dernières manifestations. Ce qui nous préoccupe, c’est que les policiers militaires ont l’obligation de laisser visible leurs numéros de matricules afin d’être identifié s’ils commettent des infractions. Or ils mettent tous du scotch pour cacher leurs matricules, y compris les capitaines, pour se protéger des poursuites » dénonce André Zanardo, également avocat activiste. Fondé en juin 2013 pendant les manifestations qui rythmaient la Coupe des Confédérations, ce collectif d’avocats tente de poursuivre la police militaire lorsque des abus sont constatés. Sans succès. « Actuellement, un policier militaire ne peut être jugé que par une cour composée uniquement de policiers militaires. Il ne passe pas par la justice civile. Résultat : depuis neuf mois, aucun policier n’a été sanctionné alors que les vidéos qui témoignent de ces bavures se multiplient sur les réseaux sociaux » explique André Zanardo, qui défend notamment le cas d’une jeune volontairement renversée par un agent de la police militaire à moto le 25 janvier dernier.
Signe de ce climat d’impunité de la police militaire, à Rio, les auteurs de Porta Dos Fundos, une web-série acide très populaire au Brésil, ont reçu de nombreuses menaces de morts après avoir posté une vidéo humoristique, dénonçant les contrôles d’identité réalisés par la police militaire. « Nous demandons le report du projet de loi sur le terrorisme » Des tensions qui interviennent au moment où un projet de loi contre le terrorisme est en cours d’examen au Congrès de Brasilia. « Cela fait quinze ans que le Brésil débat de se doter d’une loi sur le terrorisme. Mais si on ne s’est mis d’accord pendant toutes ces années, pourquoi se précipiter avant la Coupe du Monde ? Nous demandons le report du projet de loi sur le terrorisme après la Coupe du Monde »  nous explique Raphael Custodio, responsable des questions de justice de l’ONG de défense des droits de l’Homme Conectas.   En cause, le flou laissé autour de la définition de notion de « terrorisme », qui pourrait aboutir à un usage de cette loi contre certains mouvements sociaux. Ainsi le projet de texte de loi, n’exclurait la contestation sociale du champ du terrorisme uniquement « si les mouvements sociaux mènent des actions proportionnées ». Une condition qui inquiète. « La notion d’actes proportionnées pose un vrai problème. Est-ce qu’une occupation de terres par des militants des sans-terre sera considérée comme une action militante proportionnée ? Lorsqu’un bus sera brûlé, cela relèvera-t-il de la loi contre le terrorisme ? Nous restons très attentifs car le mot terrorisme n’est pas défini. C’était un peu la même situation au Chili. Or il y a trois ans la loi contre le terrorisme a servi  à réprimer une révolte étudiante » explique Rafael Cistodio.   De son côté, la rapporteuse aux droits de l’homme de l’ONU Navi Pillay a dit sa préoccupation face à « un usage excessif de la force employée par les policiers militaires à l’occasion des manifestations » pour la Coupe du Monde. En 2013, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU avait recommandé « la suppression du régime spécifique de la police militaire, ainsi que des mesures concrètes pour en finir avec les exactions policières ».