Course à la mairie de Montréal : le match revanche entre Valérie Plante et Denis Coderre

Des élections municipales vont se tenir le 7 novembre au Québec et parmi les villes qui doivent se choisir un nouveau maire, il y a Montréal, la métropole québécoise, plus grande ville francophone d’Amérique du nord. L’occasion d’un match revanche entre la mairesse sortante, Valérie Plante, et l’ex-maire Denis Coderre, qui avait été battu contre toute attente par Mme Plante il y a quatre ans. 
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Vue de Montréal, octobre 2013, Canada.
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La revanche de Denis Coderre

Le 5 novembre 2017, quand Valérie Plante a été élue mairesse de Montréal, Denis Coderre, ce politicien aguerri qui a été député fédéral de 1997 à 2013 et ministre sous plusieurs gouvernements libéraux, a connu la pire défaite de sa vie. Trop sûr de lui et convaincu de sa réélection, il avait alors clairement pêché par une trop grande assurance. Dépité, il s’était retiré de la scène publique, au lieu d’endosser les habits du chef de l’opposition. Quand il a refait surface, l’hiver dernier, l’homme de 58 ans était méconnaissable : il a perdu des dizaines de kilos, après un régime strict et des heures passées sur un ring de boxe. Mais surtout, il jure ses grands dieux qu’il a changé, et qu’au-delà de son apparence physique, il n’est plus le même homme : finies l’arrogance, l’autosuffisance, la gestion autoritaire, le Denis Coderre nouveau est arrivé !

L’ex-maire veut se représenter devant les Montréalais sous un autre jour, bien conscient que cette métamorphose est indispensable s’il veut espérer les reconquérir. Il répète qu’il « ne se présente pas contre Valérie Plante, mais pour Montréal ». Il trouve que Montréal manque d’amour, qu’elle est sale, qu’elle n’est plus sûre et qu’elle est mal gérée : il laisse entendre qu’il peut en être le sauveur. Et il mène sa campagne en sillonnant la ville d’un bout à l’autre, en présentant sa vision de la métropole mais surtout en critiquant sans ménagement les actions de l’administration Plante. Contrairement à il y a quatre ans, il n’a pas de bilan à défendre, mais il peut attaquer celui de sa rivale et il ne s’en prive pas. Denis Coderre a encore de très nombreux partisans qui souhaitent son retour à la mairie de Montréal : ils l’ont suivi en grand nombre donc dans ce grand retour en intégrant les rangs d’Ensemble Montréal, la formation politique qu’il a mise sur pied. Denis Coderre a déposé sa candidature le 17 septembre, en précisant qu’il ne tenait rien pour acquis mais que « Montréal mérite mieux » et que les Montréalais « veulent de la compétence, de l’assurance »

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Valérie Plante en mode « attaque » mais le sourire aux lèvres

« Il change d’idée comme de chemise » et il n’a « pas vraiment de vision à court, à moyen ou à long terme pour Montréal », il est en « mode panique », c’est un « pyromane qui joue aux pompiers », « c’est un politicien du passé », il n’a « pas vraiment de vision à court, à moyen ou à long terme pour Montréal », « quand je dis qu'il n'a pas changé, c'est le Denis Coderre qui est revenu en politique parce que clairement, il n'a pas digéré sa défaite de 2017, pis je pense qu'il prend pour acquis que c'est à lui, c'est à lui ce poste-là ; Le bon vieux Denis qui reprend le parti, qui consulte personne » : autant de petites phrases assassines que Valérie Plante balance à tout va sur son rival, un sourire au coin des lèvres. La mairesse tape avec plaisir sur le clou du changement présumé de son rival, dès qu’elle le peut, elle revient à la charge en disant : vous voyez, il n’a pas changé ! La mairesse, qui a maintenant 47 ans, assure qu’elle, elle n’a pas changé : « Je suis la même personne, j’ai les mêmes valeurs, j’ai la même vision. On va apporter ça encore plus loin pendant le deuxième mandat ». Valérie Plante, qui a d’abord mené une carrière dans les milieux culturel et communautaire avant de plonger dans l’arène municipale, a lancé officiellement sa campagne le 22 septembre. 

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Une campagne positive d’un bord, négative de l’autre 

Valérie Plante et Denis Coderre s’entendent sur les grandes priorités pour Montréal pour les années à venir : résoudre la crise du logement qui ne cesse de s’aggraver au fil des années, rendre les rues de la métropole sécuritaire après la multiplication des fusillades liées à la guerre entre les bandes criminalisées, et continuer à développer les transports en commun. Mais ils ne mènent pas du tout la même campagne : l’une table sur le positif, l’autre sur le négatif, comme l’explique Benoit Chapdelaine, le journaliste de Radio-Canada qui couvre la politique municipale montréalaise depuis de nombreuses années : « Denis Coderre apparait un peu comme celui qui a vu la ville s’enlaidir, devenir plus sale, plus dangereuse, qui a des problèmes financiers et il met l’accent sur ce qui va plutôt mal. Alors que la mairesse sortante semble toujours positive, elle dit : Montréal va bien, Montréal se relève facilement de la pandémie.  Tandis que pour Denis Coderre, ce n’est pas ça le plus important, le plus important c’est la sécurité des Montréalais, il y a de plus en plus de fusillades ici, il est temps d’investir dans la police, dit-il. Pour beaucoup d’électeurs, c’est ce qu’ils voient : beaucoup de travaux, les déchets au sol, les fusillades, et ça crée une sorte de sentiment d’insécurité qu’exploite Denis Coderre alors que Valérie Plante au contraire relève tout ce qui est positif ».  

La mairesse sortante s’impatiente d’ailleurs des attaques de Denis Coderre pour dénoncer le manque de propreté de Montréal ou l’insécurité grandissante dans ses rues. Une vision simpliste et fatidique selon elle : « Moi, je regarde en avant, je suis positive, je trouve des solutions. Il veut rester dans le négatif, dénigrer Montréal ? Qu’il le fasse » a-t-elle dit lors d’une entrevue avec le quotidien montréalais La Presse+. Valérie Plante dresse un bilan relativement positif de ses quatre ans à la mairie de Montréal, elle estime qu’avec son équipe, ils ont rempli les engagements phares de 2017.

Une approche et un style différents

Pour la politologue Danielle Pilette, spécialiste de politique municipale à l’Université du Québec à Montréal, les deux candidats estiment qu’ils méritent chacun un deuxième mandat : Denis Coderre parce qu’il juge que Valérie Plante le lui a volé en 2017 et la mairesse sortante parce qu’elle veut poursuivre ce qu’elle a commencé. La spécialiste estime que c’est surtout dans leur approche que les deux candidats se distinguent : « Mme Plante a une approche complètement différente, davantage consensuelle, tandis que Mr Coderre a une approche davantage d'entrepreneur, une approche par projets, Mr Coderre est un homme de projets, il a un style plus autoritaire ». Benoit Chapdelaine abonde : « Valérie Plante et Denis Coderre sont très différents dans le style...Valérie Plante est reconnue comme une fille très naturelle, qui dit ce qu'elle pense avec beaucoup de candeur parfois, qui rit énormément. Ce n'est pas la même école de pensée, Denis Coderre a été un politicien presque toute sa vie d'adulte ».  Valérie Plante le pourfend souvent d’ailleurs à ce sujet, en le qualifiant de politicien de la vieille garde, avec des tendances paternalistes. 

« Elle travaille en consensus mais elle est centrée sur la ville de Montréal et non sur la grande région de Montréal, alors que Denis Coderre a un style plus autoritaire et il se pose en leader de cette grande région montréalaise notamment quand il est temps de négocier avec les gouvernements québécois ou canadien » ajoute Danielle Pilette.
Benoit Chapdelaine renchérit : Denis Coderre se vante plus souvent qu’autrement qu’il a un carnet d’adresses bien plus fourni que celui de la mairesse sortante, ce qui agace fortement cette dernière : « Il nomme régulièrement des gens, sa bonne amie Anne Hidalgo, telle ou telle autre personne, alors que Valérie Plante ne joue pas là-dessus et elle considère que c’est une très mauvaise pratique, de nommer des gens comme ça pour, dit-elle, se donner une importance ».  

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Des personnalités clivantes qui n’ont pas le même électorat 

Valérie Plante et Denis Coderre ont ceci en commun : ils ne laissent personne indifférent, on les aime ou on les déteste, il n’y a pas de juste milieu. Ils ont donc autant de partisans que de détracteurs. Et ils n’ont pas le même électorat. 
« Il y a un clivage générationnel : les plus jeunes, les jeunes familles préfèrent le programme de Mme Plante et les personnes plus âgées préfèrent celui de Mr Coderre » souligne Danielle Pilette. « Valérie Plante a beaucoup séduit les plus jeunes, les amateurs de vélos, les amateurs de parcs, les écologistes, alors que Denis Coderre s'est surtout fait connaître au fil des années dans les arrondissements en périphérie du centre-ville, où il y a des gens en général plus âgés, où il y a beaucoup d'immigrants et des anglophones également » confirme Benoit Chapdelaine. Le gros des partisans de la mairesse sortante vit donc dans les arrondissements centraux, ceux de l’aspirant maire dans les arrondissements périphériques. 

Une lutte serrée, un duel sans pitié  

Les derniers sondages indiquent que les deux rivaux sont au coude-à-coude dans les intentions de vote des Montréalais-es. « Ce n’est gagné ni pour l'un, ni pour l'autre, ça va dépendre beaucoup du taux de participation » estime Danielle Pilette. « Les deux ont de très bonnes chances de remporter le pouvoir. Tout dépend de qui va voter, si les jeunes votent massivement, Valérie Plante a d’énormes chances de l’emporter, si les personnes plus âgées sont davantage mobilisées, surtout dans les quartiers périphériques de Montréal, ce sera Denis Coderre » croit Benoit Chapdelaine. Difficile de faire des prédictions donc mais une chose de sûre : la course est serrée et le duel est sans pitié.

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