Mon travail n’a pas plu à tout le monde. Mes détracteurs me demandent de donner de « vraies informations » sur Gaza. Mais qu’est-ce que ça veut dire de « vraies informations » ? Je n’ai pas menti, je n’ai pas inventé. Si la description de la vie à Gaza est si accablante pour Israël, qu’y puis-je ? Devrais-je modifier la réalité pour leur faire plaisir ? Pour qu’une partie du monde occidental entende ce qu’elle a envie d’entendre ?
Dire que les conditions de vie à Gaza sont insoutenables et inhumaines ne relève pas du jugement, ni de la prise de partie. C’est un constat. Je n’ai pas rencontré chacun des habitants de Gaza. Mais de tous ceux à qui j’ai parlé, pas un n’a pu me raconter sa vie sans qu’un drame lié au gouvernement israélien n’intervienne. Pas un seul.
Si un journaliste quelconque, venu à Gaza, peut prétendre le contraire, je suis toute disposée à entendre un discours différent du mien. Qu’on vienne me prouver que Gaza, ce n’est pas des familles déchirées par un blocus, des milliers de femmes et d’enfants morts sous les bombes, des paysans dépossédés de leurs terres, des hôpitaux sans moyens, des réfugiés sur trois ou quatre générations.
Couvrir Gaza, c’est devoir se battre pour faire son métier. Toute information qui sort d’ici est immédiatement remise en cause. Parce qu’elle vient de Gaza. Que Gaza est une honte pour l’humanité mais que les responsables de cette situation sont puissants et que la vérité rendue publique les gêne.
Les gouvernements occidentaux invoquent les droits de l’Homme quand ça les arrange.
A une soi-disant objectivité aseptisée et hypocrite, je préfère une honnêteté nue, sans fard et humaine. Je suis payée pour être vos yeux et vos oreilles là où vous ne pouvez être. Est-ce ma faute si la réalité que je rapporte va l’encontre de certains agendas politiques?
J’ai été élevé dans une société où la liberté de la presse est sacrée et je n’ai pas choisi de faire ce métier pour abdiquer aujourd’hui devant des intimidations, quelles qu’elles soient.
Si pour rester une journaliste « légitime », il faut falsifier la réalité, alors j’entamerai fièrement une carrière de journaliste illégitime.
Je ne me tairai pas.
Note de la rédaction :
Pour ce témoignage très personnel, publié également par d'autres rédactions francophones ou non, Caroline Bourgeret a demandé à ne pas être payée, expliquant sa démarche comme une nécessité, pour le travail des journalistes.