Fil d'Ariane
Les lettres "CPI" font quotidiennement la une des journaux tandis que les chaînes de télévision diffusent des auditions de plusieurs heures.
Depuis son installation, la commission d'enquête parlementaire (CPI) du Sénat a déjà livré un spectacle haut en couleur émaillé d’insultes, de prises de bec et de menaces d'arrestation.
Les Brésiliens, souvent médusés, voient, chaque jour, défiler d’anciens ministres ou membres actuels du gouvernement sommés de répondre aux questions de sénateurs qui tentent de comprendre la raison d'une telle hécatombe.
Sans le déni du président Jair Bolsonaro face à l'ampleur de la crise sanitaire et son mépris des règles de distanciation physique, "combien de vies auraient pu être sauvées?", a par exemple accusé, à plusieurs reprises, Randolfe Rodrigues, vice-président de la commission.
Refus d'offres de vaccins de Pfizer, achats en masse de médicaments inefficaces contre le virus, inaction face à une tragique pénurie d'oxygène à Manaus… Les charges s’accumulent et les personnalités auditionnées sont tenues de relater leurs moindres faits et gestes depuis le début de la pandémie.
"Le gouvernement est dans les cordes. Chaque jour, il y a de nouvelles révélations et l'étau se resserre, notamment autour de Bolsonaro, dont la responsabilité est de plus en plus mise en évidence", constate Geraldo Monteiro, politologue à l'Université de l'Etat de Rio de Janeiro (Uerj).
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Dernier fait en date marquant, relaté par le journal Le Monde, l’audition de l’ex-ministre de la Santé (mai 2020-mars2021), Eduardo Pazuello, jeudi 20 mai. Initialement, le général devait être entendu le 5 mai dernier. « Très nerveux » selon la presse, il annonce, la veille, être cas contact. L’audience est reportée au 19 mai.
Entre temps, le 14, il acquiert le droit auprès d’un juge du Tribunal suprême fédéral de garder le silence. Le 18, le média Globo révèle des soupçons de fraudes sur des contrats signés par le ministère de la Santé pendant sa mandature.
Le jour J, M. Pazuello, assailli de questions, est victime « d’une perte de conscience momentanée », obligeant la mission parlementaire à reporter la séance au 20 mai. Ce jour-là, il livre une « soupe aux mensonges », dixit la presse locale, visant à le disculper lui et le chef de l’Etat, « qu’il ne voyait qu’une fois par semaine ou toutes les deux semaines. »
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"Cette succession de témoignages atteste de l'insanité de la gestion de crise du gouvernement et confirme à quel point il a été irresponsable", tance le quotidien Estado de S. Paulo dans un éditorial.
Installée fin avril pour une durée de 90 jours renouvelable, la commission va soumettre à la fin de ses travaux un rapport au Parquet, qui pourra éventuellement engager des poursuites.
Et le choix d'un rapporteur très déterminé, en la personne de Renan Calheiros, un cacique du Sénat, n'est pas du goût de M. Bolsonaro. Le 12 mai, au cours d'une des auditions les plus âpres de la CPI, son fils aîné Flavio Bolsonaro, lui aussi sénateur, a qualifié M. Calheiros de "voyou".
Le lendemain, le président Bolsonaro, dont l’audition n’est pas au programme, lançait : "Il peut faire son show, mais il ne me fera pas tomber. Seul Dieu le peut."
Dans les faits, la CPI ne peut pas directement conduire à la destitution du président. Son rapport peut, en revanche, fournir des arguments pour que la procédure soit lancée par le président de la Chambre des députés. C'est ce qui s'était produit en 1992, lors de la destitution du président Fernando Collor de Mello.
Cette issue s’avère toutefois "peu probable", selon Geraldo Monteiro. "Plus d'une centaine de demandes de destitution ont déjà été déposées et le président de la chambre n'a rien fait. Il faudrait vraiment une révélation explosive. Pour l'instant, il n'y a pas vraiment eu de bombe, mais plutôt la confirmation de choses qu'on savait déjà."
Quoi qu'il arrive, la CPI ébranle le projet de réélection de Jair Bolsonaro en 2022. Sa cote de popularité est au plus bas et les derniers sondages le donnent perdant face à l'ex-président Luiz Inacio Lula da Silva, si celui-ci en vient à se présenter.
L'opposition a déjà cloué au pilori de fidèles lieutenants du président. "Vous devez des excuses au pays, vous êtes dans le déni compulsif, vous avez été une boussole qui nous a menés droit au naufrage", a attaqué la sénatrice, Katia Abreu, à l'ancien ministre des Affaires Étrangères, Ernesto Araujo.
La tension est d'autant plus palpable que les témoins auditionnés risquent la prison en cas de mensonge devant la CPI.
Le 12 mai, Fabio Wajngarten, ancien responsable de la communication de la présidence, a eu des sueurs froides. Plusieurs sénateurs ont menacé de demander son arrestation, avant d'en être dissuadés par le président de la commission, Omar Aziz.
Mais les hostilités n'ont pas empêché le sénateur d'opposition Otto Alencar, médecin de formation, d'aller secourir l'ex-ministre de la Santé Eduardo Pazuello, victime d'un léger malaise mercredi soir, après sa première journée d'audition.
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