Covid-19 au Québec : un an après, quel bilan dans la province la plus touchée du Canada ?

Au Québec, ce jeudi 11 mars est consacré à la mémoire des victimes du Covid-19 : plus de 10 500 Québécois ont succombé au virus depuis un an. Le Québec est la province canadienne la plus affectée par cette pandémie : près de 295 000 Québécois ont été contaminés. Bilan de cette année de pandémie dans les terres québécoises…
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Montréal, janvier 2021
Montréal, janvier 2021 (C. François)
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Le 12 mars 2020, le gouvernement du Québec ordonne la fermeture des écoles de la province, donnant ainsi le coup d’envoi du premier confinement, dont les Québécois ne vont sortir que deux mois plus tard. Le gouvernement avait pris les mesures nécessaires pour préparer les hôpitaux de la province à un afflux de patients Covid, mais il n’a pas vu venir la déferlante du virus dans les CHSDL, les centres de soins de longue durée où vivent beaucoup d’aînés et de personnes en perte d’autonomie.

Première vague : l’angle mort des centres pour personnes âgées

Le premier ministre François Legault va le reconnaître par la suite, les résidences pour les aînés ont été dans l’angle mort de son équipe lors de cette première vague. Et c’est là que le virus va frapper le plus fort, c’est là qu’on va dénombrer le plus de victimes, avec des situations absolument épouvantables dans plusieurs de ces centres, des résidents laissés à eux-mêmes pendant des jours, faute de personnel pour prendre soin d’eux : pas lavés, pas nourris, sans eau. Un véritable choc pour les Québécois quand les médias ont révélé ces histoires d’horreur.

Cette situation s’explique par plusieurs facteurs : depuis des années, ces centres de soin de longue durée manquent de personnel, les employés sont mal payés, le taux de rotation des soignants est important et des agences de placement envoie régulièrement des préposés combler temporairement des postes. Une pratique qui a eu un impact tragique durant cette première vague : le personnel soignant qui passe d’une résidence à l’autre a véhiculé le virus qui s’est répandu comme une traînée de poudre, emportant dans la mort des milliers de personnes âgées : 4 900 au total, soit presque la moitié de toutes les victimes de la maladie.  De nombreuses voix réclament la tenue d’une enquête publique pour faire la lumière sur le drame survenu dans les résidences pour personnes âgées durant la première vague, mais pour l’instant, le gouvernement s’y refuse.

Par contre, le premier ministre québécois a fait à plusieurs reprises son mea culpa : son grand regret est de ne pas avoir augmenté le salaire des employés des CHSLD avant la pandémie et ne pas avoir pris des mesures pour augmenter leur nombre. Il va tenter de rattraper cette erreur au cours de l’été 2020, en haussant effectivement le salaire horaire des préposés aux bénéficiaires et en mettant en place un programme de formation express qui va permettre de former près de 10 000 personnes pour travailler dans ces résidences et prêter main forte au personnel en place. L’afflux de cette nouvelle main d’œuvre va permettre de réduire le taux de rotation du personnel dans les centres de soin de longue durée et de les mettre à l’abri des contaminations lors de la deuxième vague. Les résidents de ces centres seront d’ailleurs les premiers à bénéficier des vaccins contre le Covid dès la mi-décembre. 

La virulence de la deuxième vague

La deuxième vague a été moins mortelle que la première mais beaucoup plus importante en nombre de cas et elle a frappé violemment les établissements hospitaliers de la province qui se sont retrouvés, après les fêtes, littéralement au bord du gouffre. Cette deuxième vague commence en septembre, à la suite du retour à l’école des petits Québécois, ainsi que des retours aux bureaux et dans les usines après les vacances d’été. Comme ailleurs dans le monde, le nombre de contaminations repart à la hausse au fil des semaines. Rapidement, le gouvernement québécois remet le couvercle sur la province pour tenter de contrôler la contagion qui est communautaire : dès le premier octobre, on referme les musées, salles de spectacles, théâtres, salles de conditionnement physique, bars et restaurants, les rassemblements intérieurs et extérieurs sont interdits.

Le premier ministre Legault lance le défi « 28 jours » aux Québécois : ce nouveau confinement doit durer jusqu’au 28 octobre promet-il. Il va finalement durer tout l’hiver. Les unes après les autres, les régions du Québec passent en zone rouge, soit l’alerte maximale. La période des fêtes est critique : le gouvernement rallonge les vacances scolaires et repousse au 11 janvier le retour en classes, il serre la vis aussi pour éviter les rassemblements des fêtes. Malgré tout, le nombre de contaminations quotidiennes monte en flèche, les hôpitaux débordent de patients COVID, les soins intensifs ont atteint leur capacité maximale et les médecins s’initient au protocole de soin qui permet de trancher qui soigner en priorité.

Début janvier, François Legault décrète de nouvelles mesures pour tenter de reprendre le contrôle de la situation, dont l’imposition d’un couvre-feu entre 20h et 5h du matin. Les commerces non-essentiels restent fermés. Des mesures qui vont porter fruit : le nombre de contaminations diminue de semaine en semaine, les hospitalisations aussi. La courbe se stabilise avec un plateau de plus ou moins 700 nouveaux cas par jour. Cela permet au gouvernement, courant février, de desserrer un peu la vis : les commerces et les musées rouvrent leurs portes dans la province, des régions repassent en zone orange.

Mais cette deuxième vague a frappé fort, et son impact risque de se faire ressentir longtemps sur le réseau hospitaliser québécois, car à cause de l’afflux de patients Covid, il a fallu reporter des milliers d’opérations non urgentes, retarder des examens et des diagnostics. Ce délestage va avoir un effet dévastateur à moyen terme : des milliers de Québécois risquent de mourir non pas du Covid mais à cause du Covid, parce qu’ils n’auront pas été opérés à temps, parce que leur cancer n’aura pas été détecté et traité à temps, etc. 

Une crise bien gérée sur le plan de la communication

Voilà donc pour cette première année d’épidémie au Québec. Pour Sébastien Bovet, le chef du bureau de Radio-Canada à la colline parlementaire de Québec, c’est au niveau de la communication que le gouvernement québécois a été le plus performant pour gérer cette crise : « Sur ce plan, je leur donne un 8/10, mais sur le plan de la gestion de la crise en tant que tel, j’irais plus vers un 7/10, parce qu’il y a quand même eu des manquements ou des mauvaises décisions qui ont été prises, comme, par exemple, la tergiversation sur le port du masque au début de l’été ou le refus de faire installer des systèmes de ventilation dans les écoles publiques de la province après le retour en classes cet automne ».

Il reste que c’est cette maîtrise de la communication qui permet au premier ministre Legault de garder un taux de popularité qui fait l’envie de ses collègues dans les autres provinces canadiennes, avec un appui moyen de 70% de la population.  « C’est le ton que le premier ministre Legault emploie depuis le début qui fait la différence, explique Sébastien Bovet, on peut sentir son empathie, il parle calmement, il est rassurant, il explique les décisions qu’il prend, il communique son message lors de conférences de presse qu’il fait régulièrement, soit en début d’après-midi ou en fin de journée quand il a des annonces importantes à faire, pour joindre le plus de monde possible. Il a aussi pris l’habitude, la fin de semaine, d’écrire de longs messages sur Facebook à l’adresse des Québécois »

François Legault a aussi fait quelque mea culpa de sa gestion de la crise, ce qui a permis d’adoucir le jugement des Québécois à son endroit : « Et puis il a utilisé ses mea culpa à bon escient, sans en abuser », ajoute Sébastien Bovet, qui précise toutefois que la gestion de cette crise sanitaire sans précédent n’est pas pour autant garante d’une réélection facile et assurée pour François Legault et son équipe, à l’automne 2022, quand le Québec aura des élections. « Dix-huit mois, c’est une éternité en politique », fait valoir le journaliste. François Legault, lui, se dit prêt à rester au pouvoir pour un autre mandat, voire plus, si, dit-il, sa santé le lui permet (il est âgé de 63 ans) : « C’est assez paradoxal, mais je trouve ça excitant ce qu’on va vivre après la pandémie. Ça vient changer notre société. Il y a beaucoup de changements qui s’en viennent dans une nouvelle économie. Et ça, je trouve ça excitant », a-t-il confié en entrevue à Radio-Canada récemment. 

Tensions entre Justin Trudeau et François Legault

Depuis un an, le premier ministre québécois ne cache pas son agacement à l’endroit du premier ministre canadien Justin Trudeau et il lui lance régulièrement publiquement des piques acérées. Il s’est notamment impatienté de la lenteur du gouvernement fédéral à fermer les frontières lors de la première vague, puis de tarder à prendre des mesures contraignantes pour limiter les voyages lors de la deuxième vague.  « C’est clair que le courant ne passe pas entre Justin Trudeau et François Legault, estime Sébastien Bovet, les deux hommes n’ont pas la même vision sur de nombreuses choses et ça se sent ».

De son côté, Justin Trudeau, durant la première vague, ne s’est pas gêné non plus pour critiquer la gestion de la crise dans les résidences pour les personnes âgées au Québec, mais aussi en Ontario. Il a même menacé les provinces canadiennes d’intervenir dans la gestion de ces résidences, alors qu’il s’agit d’un champ de compétence provincial. Ces critiques vont irriter François Legault.

Bref, le torchon brûle entre les deux premiers ministres, et il faudra voir quelle sera la position du premier ministre québécois si jamais le Canada part en mode électoral au printemps : va-t-il garder une certaine neutralité ou, au contraire, prendre parti pour le Parti conservateur qui forme l’opposition officielle et qui espère reprendre le pouvoir aux mains des Libéraux de Justin Trudeau ? De fortes rumeurs circulent en effet en ce moment dans la capitale canadienne selon laquelle des élections pourraient être déclenchées au printemps, Justin Trudeau vient de préciser qu’il n’excluait rien à ce sujet. 

(Re)lire : Coronavirus au Canada : popularité record de Justin Trudeau et François Legault

Dans la crainte de la troisième vague 

Ce qui caractérise aussi le premier ministre Legault dans sa gestion de la crise depuis un an, c’est sa grande prudence. Souvent, il a pris des mesures qui étaient beaucoup plus sévères que ce que recommandaient les autorités de la santé publique dont son directeur, Horacio Arruda. « Dans le doute, j’aimais mieux être plus prudent que moins prudent. C’est pour ça que depuis le début, on a toujours été plus loin que la Santé publique nous suggérait. À cause de moi. Parce que je voulais limiter les conséquences, les décès », a-t-il déclaré en entrevue à Radio-Canada. Et c’est cette même prudence qui guide François Legault dans les assouplissements de plusieurs mesures sanitaires qu’il vient de décréter, notamment le fait de faire repasser plusieurs régions du Québec en zone orange, sauf Montréal et les régions au nord et au sud de la métropole québécoise, là où vivent 60% des Québécois.

La menace des variants plane sur le Québec comme une épée de Damoclès, et les autorités ne cessent de le répéter, plus que jamais on craint une troisième vague au cours des prochaines semaines. C’est une course qui a commencé depuis le début de l’année entre la vaccination et les variants. A Montréal, où l’on recense le plus de cas, la vaccination a été ouverte aux gens âgés de 70 ans et plus, on s’attend à ce qu’elle s’ouvre prochainement pour les 65 ans et plus. Dans le reste du Québec, les gens âgés de plus de 70 ans peuvent aussi se faire vacciner. Quelque 600 000 Québécois ont déjà été vaccinés, mais le gouvernement veut mettre les bouchées double et espère avoir le nombre de doses suffisant pour ce faire.  

« Je suis extrêmement fier des Québécois, a déclaré le 9 mars le premier ministre Legault, mais ce n’est pas fini : notre obsession, c’est que toutes les personnes vulnérables, les 65 ans et plus, soient vaccinées et on parle de semaines, ça s’en vient ». François Legault répète que 95% des victimes de la COVID-19 avaient plus de 65 ans et que ce groupe d’âge forme 80% des hospitalisations. « Est-ce qu’on aurait pu faire mieux ? Oui, on aurait pu faire mieux », a répondu le premier ministre québécois quand on lui a demandé quel bilan il fait de la gestion de cette crise par son gouvernement. Mais il estime qu’en comparaison avec d’autres pays, le Québec a quand même mieux tiré son épingle du jeu. 

L’épidémie a atteint le moral des Canadiens

Pessimisme, résignation, morosité : cette année de pandémie a eu un impact sur la santé mentale des Canadiens, selon un sondage Ipsos mené du 12 au 17 février auprès de 3000 personnes pour le compte de Radio-Canada et dont les résultats sont précis à plus ou moins 2% 19 fois sur 20.

75% des personnes interrogées sont d’avis que d’autres confinements sont à prévoir au cours de l’année et les trois-quarts des sondés se disent prêts à s’y plier pour combattre l’épidémie.

34% de disent plus pessimistes que l’automne dernier. Il faut dire que ce début d’année 2021 a été difficile, avec la virulence de la deuxième vague au lendemain des fêtes et l’arrivée inquiétante des variants sur le sol canadien, sans oublier les retards de livraisons des vaccins qui ont ralenti la campagne de vaccination pendant plusieurs semaines.

71% des répondants disent que leur vie sociale s’est détériorée, tout comme la santé mentale pour 46% et les finances personnelles pour 35% des sondés.

Un Canadien sur deux se dit insatisfait du processus de distribution des doses de vaccins piloté par le gouvernement Trudeau, contre 39% qui s’en satisfont. A noter toutefois que ce sondage a été mené alors qu’on vivait justement une pénurie de vaccins.

67% des sondés approuvent l’imposition de trois jours d’hôtels dans l’attente du résultat du test Covid à toute personne qui entre au Canada par voie aérienne, mais ils estiment que ces mesures ont été prises trop tardivement.

Enfin plus de la moitié des personnes interrogées évaluent qu’il va falloir attendre la fin de l’année, voire le début de 2022, pour espérer un retour à une vie, disons, normale.