Covid-19 en Belgique : "L’adhésion s’effrite" face aux mesures restrictives prises par le gouvernement

En Belgique, depuis plusieurs mois, des voix s’élévent pour réclamer un débat parlementaire et "démocratique", face aux mesures prises par le gouvernement dans le cadre de la crise sanitaire. La Ligue des droits humains et son homologue flamand ont décidé d'attaquer en justice l’État belge pour avoir "porté atteinte aux droits des citoyens". Entretien avec Arnaud Perrouty, président de la Ligue des droits humains en Belgique.
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Belgique manif
Un manifestant hurle alors qu'il est arrêté lors d'une manifestation non autorisée, organisée pour protester contre les mesures restrictives prises par le gouvernement pour faire face au Covid-19, Bruxelles, le 31 janvier 2021. Selon les médias présents sur place, 200 personnes ont été arrêtées en essayant de se joindre aux manifestants. 
AP Photo/Francisco Seco
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TV5MONDE : Vous doutez de la légalité de toute une série de mesures prises par le gouvernement depuis le début de la crise sanitaire en 2020, comme le couvre-feu, la fermeture des frontières... Pourquoi ? 

Arnaud Perrouty : Depuis un an le gouvernement prend des mesures par ce que l’on appelle des arrêtés royaux et des arrêtés ministériels. Ce sont des arrêtés pris par le gouvernement sans passer par le Parlement. Ces mesures sont justifiées, ce n'est pas la question. Mais lorsqu'elles sont aussi attentatoires aux libertés fondamentales, il est nécessaire de passer par le Parlement car c’est le lieu où l’expression populaire et la discussion démocratique doivent avoir lieu. C’est non seulement une exigence de principe éthique mais aussi une exigence légale car la Convention européenne des droits de l’homme impose que ces dérogations passent par une loi qui a été débattue.  

Le débat évidemment, c’est contester la manière dont sont prises les mesures sans remettre en cause le fait que ces mesures soient nécessaires. Quand on prend des mesures individuellement, il est difficile de dire que telle mesure est liberticide ou pas. Porter le masque à certains moments c’est tout à fait nécessaire pour pouvoir combattre l’épidémie. Mais quand on fait la somme de toutes les mesures - le port du masque, le couvre-feu, la fermeture des frontières, elles portent véritablement atteinte aux libertés fondamentales. Ce que nous disons, c’est que cette discussion doit avoir lieu dans un Parlement et pas juste entre les ministres d’un gouvernement. 


Tv5MONDE : Peut-on qualifier de "sévères" les sanctions envers la population qui ne respecterait pas ces règles ? 

Effectivement. Non seulement ces règles sont adoptées par le gouvernement, mais en plus elles donnent lieu à des sanctions pénales. Or, quand il y a des sanctions pénales, il y a une exigence supplémentaire de légalité des mesures, c’est-à-dire que le citoyen doit savoir clairement ce qui est attendu de lui et clairement ce qui ne lui est pas permis.

Les règles ont changé très souvent depuis le début de la pandémie, si bien que les gens ne savent plus bien ce qui est permis ou pas. Or, les amendes sont très importantes. En Belgique, il faut s’acquitter de 250 euros si vous ne respectez pas les mesures, le couvre-feu notamment. Face à des amendes aussi importantes, il faut véritablement qu’il y ait un débat. Parce qu'on se rend compte que cela mène à des décisions compliquées, même de la part de la police qui est chargée de verbaliser.
 

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Tv5MONDE : Les mesures prises en Belgique différent-elles d’autres pays européens ?

Les pays naviguent à vue, il y a une série de curseurs sur lesquels on peut jouer, ils ne sont pas infinis non plus. Ce sont les écoles, les déplacements, les couvre-feux… Il y a manifestement un jeu d’essais et d’erreurs, ce n’est pas cela qui est en cause. Aucun pays n’a trouvé de recette miracle.

Le problème, c’est qu’on a l’impression d’être infantilisé, que les gouvernements viennent nous informer toutes les trois semaines/un mois à quelle sauce on va être mangé sans avoir l’impression d’être partie prenante dans la discussion. C’est nécessaire d’un point de vue juridique, mais aussi politique, pour pouvoir garantir l’adhésion de la population car c’est en entendant les différents arguments et en se faisant leur propre opinion que les gens vont adhérer aux mesures. Actuellement, on sent qu’on arrive à un point de bascule où l’adhésion s’effrite.
 

Tv5MONDE : Selon vous, la prise de mesures, telle qu’elle se fait actuellement par le gouvernement, pourrait-elle perdurer dans le temps ?

Il y a clairement un problème à ce niveau. Déjà, avant la crise sanitaire, on sentait un poids de l’exécutif assez important par rapport au Parlement. On l’avait constaté au moment des crises sécuritaires et des attentats, que ce soit en France ou en Belgique. Pour des raisons analogues, en l'occurrence la sécurité sanitaire, on constate qu’il y a des tentations de ne plus passer par le Parlement et de ne plus demander l’avis du conseil d’Etat sur des textes, sur des questions de protection des données, comme pour les infections au Covid-19 et la vaccination. Une série de garde-fous démocratiques existe, et elle est moins consultée par le gouvernement. Dans un premier temps, face à l’urgence, on peut comprendre cette façon de fonctionner. Mais cette urgence dure depuis onze mois, elle n’est plus audible et il faut vraiment passer à autre chose. 

Tv5MONDE : Qu'attendez-vous de votre action en justice contre l’Etat belge ? 

C’est un juge civil, le juge des référés, qui a été saisi. Il n’a pas le pouvoir d’annuler ces arrêtés royaux et ministériels, ce n’est pas son rôle. Ce que nous lui demandons, c’est de faire injonction au gouvernement de retirer ces mesures et de les adopter "proprement", de jouer le jeu de l’Etat de droit.

On pourrait très bien reprendre les mêmes mesures si au terme d’un débat démocratique et parlementaire, on estimait qu’elles étaient bonnes. Mais prises comme elles le sont actuellement, nous sommes face à une dérive vraiment importante et vues les atteintes aux droits fondamentaux, nous ne pouvons pas laisser passer cela. Il y a un risque que cela se prolonge dans le temps, comme certaines mesures risquent encore de se prolonger. 

Tv5MONDE : Craignez-vous des débordements ? Il y a eu plusieurs manifestations. Le bourgmestre ixellois Christos Doulkeridis en appelle au déconfinement et parle d’un « risque  d’explosion » qui serait là, « un peu partout ».

Les gens en ont clairement marre. Dans le même temps, la liberté de manifester est très restreinte. Dans certains cas, des manifestations n’étaient ni clairement tolérées ni clairement interdites. On a constaté des arrestations massives, arbitraires de notre point de vue dans certains cas, en particulier durant des manifestations qui contestaient les violences policières récentes. Donc oui, il y un problème d’expression du mécontentement de la population : on voit fleurir en Belgique ces derniers week-ends des rassemblements assez ponctuels et courts, pacifiques, qui respectent les règles et expriment un mal-être. Des artistes ont lancé des mouvements pour faire en sorte qu’on ne les oublie pas. Quelque chose est en train de bouillir. On ne peut pas mettre indéfiniment la liberté de s’exprimer et de manifester sous cloche. 

 
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Les consignes et mesures à respecter en Belgique : 

 
  • Couvre-feu entre 22 heures et 6 heures du matin à Bruxelles et en Wallonie
  • Rassemblements  limités à un maximum de 4 personnes
  • Déplacement à l’étranger interdit sauf raison essentielle et sur déclaration sur l’honneur 
  • Télétravail obligatoire sauf exception
  • Faire ses courses seul sauf mineur ou personne en besoin d'assistance 
  • Activité sportive en présence de quatre personnes maximum 
  • Cinémas, salles de concerts et clubs, parc d'attractions fermés
  • Musées, bibliothèques, piscines et plaines de jeux extérieures ouvertes  
  • Manifestations sur autorisation de l’autorité communale et en présence de maximum 100 participants sur la voie publique