Covid-19 en Belgique : une mortalité record mais "un système de comptage particulier"

Depuis le début de la pandémie de coronavirus, la Belgique connaît la mortalité la plus élevée au monde, rapportée au nombre d'habitants. Un chiffre qui s'explique par une méthode de comptage très large, comme l'explique l'épidémiologiste Yves Coppieters. Le médecin s'alarme, par ailleurs, d'une surmortalité très importante dans les maisons de retraite belges. Il pointe aussi une différence entre Bruxelles et les autres régions.
Image
20118506537531
Bruxelles, le 27 avril 2020
AP/Francisco Seco
Partager 5 minutes de lecture
La Belgique a été citée comme un exemple à ne pas suivre par Donald Trump. Le 18 avril dernier, le président américain diffusait, au cours de l'une de ses conférences de presse quotidiennes, un graphique montrant que le pays comptait le plus grand nombre de morts liées au Covid-19 dans le monde, si on le rapporte au nombre d'habitants.
 
L'information est confirmée par le décompte de l'Agence France-Presse : la Belgique dénombre 622 morts par million d'habitants en Belgique contre 503 en Espagne, 441 en Italie, 350 en France et 166 aux Etats-Unis (même si ce pays reste le plus touché au monde par le coronavirus avec un nombre total de décès supérieur à 57 500 morts).
 
Ce classement peu enviable de la Belgique s'explique, au moins en partie, par une méthode de calcul différente des autres nations. Le professeur Yves Coppieters, épidémiologiste à l'Université Libre de Bruxelles revient pour TV5MONDE sur la situation sanitaire dans son pays. Il explique aussi pourquoi la région Bruxelles-Capitale compte plus de décès liés à ce coronavirus que les autres régions belges, proportionnellement à leur population.
 
TV5MONDE : La Belgique, hors micro-Etats, est le pays au monde qui présente la mortalité la plus élevée rapportée au nombre d'habitants. Faut-il s'en inquiéter ? Comment cela s'explique ?
 
Yves Coppieters : C'est le cas parce que la Belgique a adopté un système de comptage particulier. Il inclut, dans la mortalité, tous les décès intervenus dans les hôpitaux, tous les décès testés positifs dans les maisons de repos, mais aussi tous les cas "possibles". En Belgique, on a eu beaucoup de mal à faire pratiquer les tests dans les maisons de repos. Plus de trois quarts de ces décès n'ont pas été testés. Les autorités ont pris la décision de prendre en compte dans la mortalité tous ces décès non confirmés "Covid-19".
 
La Belgique a donc choisi un système de notification très large. Il n'est pas d'office comparable aux autres pays, qui parfois n'introduisent pas dans la mortalité les décès en maison de repos ou les cas "possibles" qui n'auraient pas été testés. Si l'on devait uniformiser nos critères de décès, on arriverait à des indicateurs plus comparables, et le bilan de la Belgique rejoindrait ceux d'autres pays comme la France, l'Italie, l'Espagne parce qu'il n'y a pas beaucoup de raisons, compte tenu de la prise en charge des malades en Belgique, que les décès aient été plus importants.

Voir aussi : Coronavirus en Belgique : immersion dans une maison de retraite
TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...
 
Ces chiffres montrent en tout cas que la mortalité dans les maisons de retraite est très importante. Dans quelles proportions ?
 
Il y a un vrai problème de mortalité dans nos maisons de repos qu'il faut absolument gérer, que cette mortalité soit liée au "Covid-19" ou pas. Il y a une surmortalité par rapport aux mêmes mois des années précédentes : elle était de +50% il y a 15 jours et la semaine passée, de +80%.
 
On a constaté, au début de l'épidémie, un nombre plus importants de cas de Covid-19 dans la région flamande. Est-ce toujours le cas ?
 
Oui, en début de suivi d'épidémie, on avait une petite différence avec plus de cas en Flandre que dans les autres régions. C'était dû essentiellement à une capacité de testing qui était plus importante dans cette région, par rapport aux deux autres. Les directives n'étaient pas uniformisées sur l'ensemble de la Belgique. Il n'y avait qu'un seul laboratoire capable de réaliser des tests, il était situé en Flandre. Les pouvoirs publics ont ensuite agréé d'autres laboratoires publics et privés. Tout a été assez vite régularisé par l'autorité fédérale qui a redistribué les tests sur l'ensemble du territoire pour les maisons de repos.
 
Aujourd'hui, la différence qui s'observe sur le nombre de cas est vraiment proportionnelle à la répartition de population dans les différentes régions. 55% des cas détectés sont en Flandre, 33% en Wallonie et 10% à Bruxelles.
 
La répartition est-elle uniforme également concernant la mortalité ?
 
Non, concernant la mortalité, sur l'ensemble de l'épidémie à ce jour, 49% des décès sont en Flandre, 35% en Wallonie et 16% à Bruxelles. Proportionnellement à la population, c'est vrai qu'il y a un peu plus de décès en Wallonie et surtout à Bruxelles, qui ne constitue que 10-12% de la population belge. C'est vraiment dû aux effets de densité de population. On sait bien que dans les grands centres urbains, la mortalité est plus forte. C'est lié aussi à des divergences sociales et économiques fortes dans la capitale. Certaines catégories de la population hésitent à aller consulter un médecin quand elles rencontrent des problèmes de santé. Cela peut jouer dans le cas du Covid-19.
 
On se rend compte aussi, même si ça n'a pas encore été bien étudié scientifiquement, que certains groupes de population se retrouvent plus à l'hôpital ou en soins intensifs que d'autres. Cela semble lié à des facteurs de risques particuliers (par exemple le diabète, l'hyper-tension, l'obésité, ndlr) ou à des origines ethniques. Ce sont des hypothèses sur la table actuellement, des origines africaines ou d'autres origines pourraient entraîner un risque accru pour ces populations.