Covid-19 en France : quelles stratégies pour la grande distribution ?

En France, la crise du Covid-19 fait apparaître une demande croissante de livraisons à domicile. A l’autre bout de la chaîne, les livreurs des plateformes sont hyper flexibles. Désormais, en plus des restaurants, ces auto-entrepreneurs prennent, aussi en charge, non sans difficultés, les demandes de la grande distribution.
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Un livreur à vélo en plein service,  à Paris, le jeudi 19 mars 2020.
© AP Photo/Michel Euler
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En période de confinement les clients ne se ruent pas uniquement dans les rayons de leur magasin de proximité pour faire leurs courses, les enseignes de la grande distribution ont toutes constaté une hausse du nombre de commandes sur Internet. En France, comme dans d’autres pays industrialisés, les "drives" (service de retrait en magasin) et les livraisons à domicile ont le vent en poupe. 

Pour minimiser le nombre de contacts avec l’extérieur, des clients privilégient l’achat en ligne. Les enseignes l’ont compris et ont donc adapté leurs offres. L’enseigne Monoprix a par exemple constitué trois paniers de 30 à 40 euros.

Les deux premiers paniers dits “standards” sont à 30 euros et contiennent les aliments nécessaires pour une personne pour quatre ou cinq jours. Les paniers contiennent par exemple des pâtes, du riz, des légumes, des yaourts et des produits d’entretien. Les magasins Géant et Casino proposent des paniers “muti-vitamines” composés de fruits et légumes ou “les indispensables” avec des articles d’épicerie et d’hygiène. 

Rien ne semble avoir été laissé au hasard. Pour les personnes n’ayant pas accès à Internet, des magasins ont également mis en place des numéros pour commander ces paniers par téléphone.

Des livreurs loin d'être à l'abri

La demande de la clientèle est forte, donc les enseignes de la grande distribution ont également noué des partenariats avec les géants de la livraison de repas Deliveroo et Uber Eats. Ainsi, les livreurs sollicités peuvent être amenés à transporter des paniers “brunch” ou “spécial apéro”. Loin des courses de première nécessité, en pleine crise sanitaire.

Plusieurs organisations de livreurs et auto-entrepreneurs, dont le collectif des livreurs autonomes de Paris (CLAP) et la CGT des plateformes de livraison de repas, dénoncent les conditions dans lesquelles ils exercent leur métier.

Dans un communiqué le syndicat explique : “Les plateformes de livraisons de repas poursuivent leur activité [...] De ce fait les livreurs rencontrent chaque semaine plusieurs centaines de personnes dont les travailleurs des restaurants, les clients mais aussi leurs collègues car les temps d’attente créent des attroupements devant les restaurants. Les livreurs sont donc particulièrement exposés au virus et potentiellement vecteurs de la maladie.”

Jérôme Pimot, fondateur du CLAP et ancien livreur Deliveroo, explique sur les réseaux sociaux : “Les livreurs les plus responsables n'ont pas attendu le confinement et les consignes pour mettre en place des gestes barrières. [...] Mais le mieux c’est #Necommandezplus”. 


Des collectifs de livreurs et des organisations syndicales dénoncent une "ubérisation" du secteur. Pour Christian de Boissieu, économiste et professeur émérite à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, le problème n’est pas nouveau : “L'ubérisation a commencé bien avant le coronavirus et a pris plusieurs formes. Il y a des personnes qui ont plusieurs activités, plusieurs casquettes. Cette période de pandémie accentue l’ubérisation des emplois mais ne la crée pas. La question est de savoir si cela sera ou non durable.”

Une probable hausse du chômage

En France, durant cette période de pandémie, l’Etat a encouragé le recours au chômage partiel. En ce qui concerne les livreurs des plateformes, le fonds de solidarité pour les indépendants prévoit une aide jusqu’à 1500 euros par mois.

Pour pouvoir y prétendre, il faut avoir subi une perte de 70% de son chiffre d’affaires en mars 2020 par rapport à mars 2019. Mais tous ne sont pas éligibles à cette aide et continuent de rouler pour payer leurs besoins les plus rudimentaires.
 

Si les 300 milliards d’euros de crédit bancaire garantis par l'État arrivent effectivement là où ils doivent arriver, c’est-à-dire dans les entreprises, cela peut limiter les dégâts.Christian de Boissieu, économiste et professeur émérite à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

En plus des livreurs, de petits restaurateurs et entrepreneurs subissent de plein fouet la crise. Christian de Boissieu s’inquiète d’une possible flambée du chômage : “Cela va dépendre de la solidité ou de la fragilité du tissu des petites et moyennes entreprises (PME) et très petites entreprises (TPE), car les créations d’emplois ne sont pas que le fait des grandes entreprises dans un pays comme la France. Cela dépend beaucoup des PME. Si les PME arrivent à passer ce cap, du point de vue de leur trésorerie, si les 300 milliards d’euros de crédit bancaire garantis par l'Etat arrivent effectivement là où ils doivent arriver, c’est-à-dire dans les entreprises, cela peut limiter les dégâts. En revanche dans le cas contraire, il y aura malheureusement une montée du chômage.”

En pleine crise sanitaire, François Roux de Bézieux, à la tête du Mouvement des entreprises de France (Medef), a appelé de ses voeux à “travailler un peu plus” une fois l’épidémie passée.

Une demande diversement appréciée. “Je pense que la vie est plus importante qu’un taux de croissance ou des règles budgétaires. Je suis partisan d’un confinement qui aille jusqu’au bout de ce qu’il faut d’un point de vue sanitaire pour éviter une retombée dans la catastrophe, indique Christian de Boissieu. Quand le Medef dit à la sortie du confinement il faudra “rattraper, rattraper”, il y aura forcément un rattrapage. Il n’y a pas besoin d’en faire un objectif, je trouve ce discours extrêmement maladroit d’un point de vue social et économique. Cela m’afflige.”

Revoir le discours d'Emmanuel Macron du 13 avril :

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"Réduire l’écart entre valeur sociale des métiers et rémunération"

 

La France passera au moins deux mois confinée. D’après le discours tenu par Emmanuel Macron, cela durera jusqu'au 11 mai 2020. Citoyens et observateurs de la vie politique s’interrogent sur l’après. A quoi pourrait ressembler le monde économique post-crise du coronavirus ? 

Chaque soir à 20 heures le personnel médical est applaudi, tous les jours des métiers "essentiels" comme caissière ou éboueur - d’ordinaire peu reconnus, démontrent leur utilité bien plus que certains métiers du tertiaire.

“ On ne va pas détricoter la mondialisation. On va la réduire et essayer de la gérer mieux. Il va y avoir une demande de gouvernance mondiale avec un besoin de réponses qui n’ont pas été apportées jusqu’à présent, y compris avec la crise de 2007-2008. Il va y avoir une très forte demande des opinions publiques pour un monde régulé, moins instable, plus égalitaire”, assure Christian de Boissieu.

Et pour certains métiers, le monde d’après pourrait signifier plus de reconnaissance selon l’économiste Christian de Boissieu : “Il faut réduire l’écart entre la valeur sociale et collective des métiers et le système de rémunération. Personnellement, je pense que les salaires dans la santé, l’éducation ne sont pas au niveau de ce qu’ils représentent socialement. Par exemple, avec le vieillissement de la population, la valeur sociale de la santé devrait aller en s'appréciant.

Il faudra que cela se traduise par des espèces sonnantes et trébuchantes. La crise de 2007-2008 avait surtout posé la question de la rémunération des banquiers, considérée comme excessive. La crise du coronavirus, elle, remet en cause l'échelle des rémunérations bien au-delà du secteur bancaire mais pour l'ensemble de la société. Je pense que c’est une occasion plus forte encore d’essayer de faire évoluer les choses.”


Revoir : le personnel des magasins alimentaires en colère

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