L’Institut de Cardiologie de Montréal (ICM) a annoncé, le 22 janvier 2021, que son étude nommée "Colcorona" démontre que la colchicine est efficace pour traiter les patients non-hospitalisés atteints du Covid-19. Mais ce médicament à marge thérapeutique étroite est aussi un poison si la dose n'est pas bien respectée. Explications et entretien avec le docteur Jean-Claude Tardif, directeur du Centre de recherche de l’ICM.
C'est peut-être une éclaircie dans le ciel très sombre de la pandémie de coronavirus : un médicament permet de "réduire de façon statistiquement significative le risque de décès ou d’hospitalisations des personnes touchées par le Covid-19", selon l'Institut de cardiologie de Montréal (ICM). Ce traitement à base de colchicine, administré oralement à des personnes positives au coronavirus pourrait devenir "le premier médicament oral au monde de traitement des patients en phase pré-hospitalière", toujours selon l'ICM . La colchicine est un puissant anti-inflammatoire, utilisé depuis très lontemps pour le traitement de la goutte. Mais la colchocine est aussi un poison : la dose thérapeutique est proche de la dose toxique, ce qui signifie que sa concentration dans l'organisme peut être très vite dangereuse avec des effets indésirables graves pour le patient.
La colchicine est un alcaloïde extrait d’une plante, le colchique et appartient à la famille des « poisons du fuseau ».
Elle agit en diminuant l’inflammation et en freinant la production d’acide lactique en maintenant le pH local normal. En effet, l’acidité favorise la précipitation des cristaux d’urate, point de départ de la crise de goutte. La colchicine agit également en bloquant la division cellulaire ce qui explique notamment sa toxicité digestive et hématologique, les cellules gastriques et de la moelle osseuse étant à forte division cellulaire.
La colchicine est un médicament à marge thérapeutique étroite, ce qui signifie que toute variation de sa concentration dans votre organisme, même légère, peut éventuellement entraîner des effets indésirables, potentiellement graves. En d’autres termes, la dose thérapeutique est proche de la dose toxique.
En France, la colchicine est disponible :
- seule dans la spécialité Colchicine Opocalcium® (comprimés à 1 mg)
- en association à la poudre d’opium et au tiémonium dans la spécialité Colchimax®
Vaste étude "en aveugle"
L’essai clinique Colcorona — débuté au printemps 2020 — a été financé par le gouvernement du Québec, les National Institutes of Health des États-Unis (Agences publiques de recherches biomédicales américaines, ndlr) et la Fondation Bill & Melinda Gates. Il a porté sur près de 4500 patients dont le diagnostic de Covid-19 était prouvé par un test naso-pharyngé (PCR) et a montré que la colchicine réduisait de façon "statistiquement significative le risque de décès ou d’hospitalisations comparativement au placébo". "
Colcorona est une étude clinique 'sans contact' qui s'est déroulé à la maison, randomisée, à double insu et contrôlée par placébo", explique l'Institut canadien. Cette étude a été déployée au Canada, aux États-Unis, en Europe, en Amérique du Sud ainsi qu’en Afrique du Sud.
L'affaire de l'hydroxychloroquine — un médicament censé posséder les mêmes qualités que la colchicine dans le traitement précoce des personnes infectées par le Covid-19 — est encore dans toutes les têtes, avec son lot d'espoirs déçus, de contre-expertises, et d'hypothèses scientifiques controversées. Le traitement par la colchicine a donc toutes les chances d'être observé sous toutes les coutures avant d'être déclaré comme valable pour lutter contre les infections au Covid-19. D'ailleurs, les résultats de l'étude ont été soumis par l'ICM à une "grande revue scientifique" le 24 janvier et n'ont donc pas encore passé l'épreuve de la revue par les pairs qui déterminera l'efficacité réelle et la faisabilité de ce traitement.
La colchicine serait-elle malgré tout le traitement tant espéré pour lutter contre les première atteintes du Covid-19 et éviter les formes graves de la maladie ? Pourrait-elle "
avoir une incidence importante sur la santé publique et potentiellement prévenir les complications de la Covid-19 chez des millions de patients ?", alors même que son dosage doit être excessivement précis, les contre-indications avec d'autres médicaments nombreuses et peut créer — dans plusieurs cas de figure — des atteintes graves aux patients, selon les spécialistes de la pharmacovigilance française ? Pour en savoir plus, nous avons interrogé le docteur Jean-Claude Tardif, directeur du Centre de recherche de l’ICM en charge de l'étude "Colcorona".
TV5MONDE : La colchicine est un médicament qui peut s'avérer dangereux, avec une marge thérapeutique étroite selon la pharmacovigilance française. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
Jean-Claude Tardif : Utilisée par un médecin habitué, ce médicament n'est pas du tout dangereux. Je sais qu'il circule des légendes urbaines sur les médias sociaux et dans certains journaux mais la colchicine est issue d'une plante. La colchicine a été extraite il y a plus de 150 ans, elle est utilisée depuis très longtemps pour traiter différentes maladies inflammatoires dont la goutte et la péricardite virale. Aux faibles doses avec lesquelles on l'utilise, 0,5 milligrammes par jour, ce médicament est sécuritaire. J'en veux pour preuve que nous avons publié l'an dernier dans le
New England Journal of Medicine l'étude Colcot : une étude de 5000 patients suivis pendant 2 ans avec la colchicine et nous avons eu d'excellents résultats. Là, on revient avec l'étude Colcorona pour la Covid avec 4488 patients. Je peux vous dire qu'en termes de nombres d'effets secondaires sérieux, il y en avait moins avec la colchicine qu'avec le placébo, une substance inactive.
TV5MONDE : Tout patient atteint du Covid-19 et non hospitalisé pourra donc prendre de la colchicine ? Jean-Claude Tardif : Si on a une maladie des reins sévère, ce qu'on appelle de l'insuffisance rénale sévère, là c'est vrai qu'il faut être prudent. Je sais qu'il y a des sources qui disaient "on ne peut pas administrer la colchicine avec l'azithromycine" [
l'Agence du médicament français inclut l'azithromycine dans la liste des médicaments contre-indiqués avec la colchicine, NDLR)], et c'est faux, on peut le faire. Il y a deux antibiotiques qu'on ne devrait pas donner avec la colchicine, peu utilisés en Amérique du Nord : la vieille érythromycine et la clarithromycine, ce que nous appelons le biaxin. Mais pour ce qui est de l'azithromycine, il n'y a pas de problème, elle peut être combinée avec la colchicine. Alors la colchicine est un médicament sécuritaire aux doses qu'on utilise.
L'étude qu'on a faite porte sur des patients à risques d'avoir des complications. A un bout du spectre, si j'avais devant moi une patiente de 19 ans qui est en pleine santé avec aucune maladie concomittante, je ne lui donnerais probablement pas de la colchicine, parce que son risque d'avoir une complication, de se retrouver à l'hopîtal et de décéder est extrêmement faible. Dans le milieu du spectre, un patient de plus de 40 ans qui fait de l'asthme significatif, une augmentation du tour de taille, ou de l'obésité, ce patient là est beaucoup plus à risque de complications et lui je le traiterais. Donc, on personnalise la prescription. Je laisse l'Agence française du médicament faire son travail, mais nous en Amérique du Nord on utilise beaucoup la colchicine. C'est l'agent de choix, de première indication dans la péricardite (inflammation du péricarde, la membrane recouvrant le coeur, NDLR), de première indication dans la goutte. C'est un médicament qu'on utilise énormément et avec la dose qu'on utilise, de 0,5 miligrammes, il n'y a pas de problème quand c'est prescrit par un médecin.
TV5MONDE : Comment gérer les nombreuses contre-indications signalées par l'Agence du médicament en France, par exemple, pour ce médicament ?Jean-Claude Tardif : Dans l'étude Colcot que nous avons faite avec la France aussi d'ailleurs, avec le professeur Roubille à Montpellier, nos collègues frrançais ont recruté plus de 1000 patients et cela va éventuellement changer la pratique médicale. Il y a un an, on disait "il ne faut pas administrer la colchicine avec des médicaments contre le cholestérol". Je peux vous dire que ça aussi c'est faux. Dans l'étude Colcot qui suivait 5000 patients, 99% des patients prenaient de la statine, un médicament pour le cholestérol et il n'y avait aucun problème de combiner les deux médicaments. Il y a de vieilles anecdoctes qui continuent de circuler, mais éventuellement les connaissances vont finir par se recouper un peu partout et les gens vont comprendre.
TV5MONDE : Que préconisez-vous pour le traitement des patients avec ce médicament ? Les personnes pourront-elles le prendre par elles-mêmes, via leur médecin traitant, ou seulement de façon encadrée au sein de dispositifs sanitaires ?Jean-Claude Tardif : Cela va dépendre de l'oganisation de chaque pays et de leur gouvernement. La Grèce, le 25 janvier, a approuvé l'utilisation de la colchicine pour le Covid. Chaque pays va s'organiser différemment. Pour l'instant, une prescription habituelle de colchicine comme il s'en fait des milliers pour la goutte, typiquement, c'est le médecin qui remet une prescription à son patient et qui la fait remlir par son pharmacien d'officine. Maintenant, certains pays, en fonction de l'importance à traiter rapidement des patients avec la colchicine, vont probablement avoir des organisations un peu différentes et je ne présume pas de ce que la France va faire, mais il est possible que dans certaines régions du globe il y ait des ordonnances collectives avec des permissions spéciales qui permettraient éventuellement aux pharmaciens — dès que le diagnostic de Covid a été prouvé — de remettre rapidement de la colchicine à leurs patients.
TV5MONDE : Qu'en est-il de ce traitement pour les patients à risques, les patients avec des comorbidités ?Jean-Claude Tardif : Le concept derrière l'étude Colcorona c'était justement de tenter de démontrer que la colchicine réduisait le risque de complications, ce que nous avons fait. Pour pouvoir le démontrer nous avons pris des gens à risques d'avoir des complications, c'est à dire des patients qui étaient âgés de 40 ans et plus et qui avaient ce qu'on appelle un facteur de risque d'avoir des complications. C'était défini par la présence d'une obésité, de diabète, d'hypertension artérielle, ou d'asthme, de maladie pulmonaire chronique ou de maladie cardiaque chronique ou si la personne était âgée de plus de 70 ans, si elle faisait de la fièvre au delà de 38.4 C° au moment de leur présentation, des gens qui étaient essoufflés… Si l'un des patients avait l'un de ces critères-là, il avait le droit d'entrer dans l'étude. Donc, ce que nous proposons avec la colchicine c'est de traiter les patients à la maison qui présentent l'un de ces critères avec risque de complications. Il y a moins d'effets secondaires quand on prend la colchicine que quand on prend le placébo qui est une substance inactive, c'est donc pour cette raison que nous sommes très confortables de dire que c'est tout à fait sécuritaire.
- Les résultats de l'étude Colcorona ont été publiés ce 27 janvier 2020 : PDF en anglais