Alors que le variant Omicron, plus contagieux mais moins sévère, se propage à grande vitesse, de nouvelles données interrogent certains chercheurs sur la possibilité d’une immunité collective au Covid-19. Peut-on vraiment envisager une telle option ? Eléments de réponse avec l'épidémiologiste Eric d'Ortenzio de l'INSERM.
C’était l’espoir du monde entier : sortir de la crise de Covid-19 à travers une immunité collective. Les scientifiques avaient pourtant rapidement calmé les ardeurs de certains politiques. Fin décembre, David Heymann, président du groupe consultatif stratégique et technique de l’Organisation mondiale de la Santé, affirmait : "Le monde a espéré que se crée une immunité collective, que la transmission du virus serait en quelque sorte réduite si suffisamment de personnes étaient immunisées, (…) mais ce concept d'immunité collective a été mal compris."
Pourtant, une étude américaine sur une potentielle "super-immunité" et l'arrivée d'un variant contagieux et moins dangereux, Omicron, relancent le débat.
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Si on opte pour cette solution, de toute façon, on aura des cas formes graves. parmi eux, des enfants qui ne sont pas encore vaccinés seront hospitalisés. Éric d’Ortenzio, médecin épidémiologiste à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM)
La "super-immunité" avancée par une étude américaine
L’immunité de chaque individu peut s’atteindre soit avec une immunité naturelle, suite à une infection, soit avec une immunité vaccinale, soit les deux.
Selon une étude américaine, les individus disposant d’un schéma vaccinal complet et ayant ensuite été infectés par le Covid-19 bénéficieraient d’une immunité exceptionnelle, selon le rapport paru le 16 décembre 2021 dans le Journal of the American Medical Association. Deux groupes de personnes ont été étudiés : des patients entièrement vaccinés et ayant contracté le Covid-19, et des patients vaccinés mais n’ayant jamais été malades. Les résultats témoignent d'un taux d'anticorps exceptionnellement plus élevé dans le premier groupe, de 1000% à 2000% plus important, selon l'un des co-auteurs.
Éric d’Ortenzio, médecin épidémiologiste à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), nuance ces affirmations. "Ce sont des données expérimentales, non observées à l’échelle de la population. C’est encore de la théorie." Toutefois, il confirme que la combinaison de deux doses de vaccins avec une infection permet d’atteindre une meilleure immunité qu’avec trois doses de vaccins. Ainsi, chaque individu peut se constituer une immunité personnelle assez puissante à travers cette double protection.
Ce que l’on sait d’Omicron, c’est que sa contagiosité est largement supérieure à la souche originelle de Wuhan et même à la source de Delta.Éric d’Ortenzio, médecin épidémiologiste à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM)
Un variant contagieux et peu dangereux pour immuniser la population ?
Une autre donnée relance le débat sur l’immunité collective : la forte contagiosité du variant Omicron combinée à sa faible dangerosité.
« Ce que l’on sait d’Omicron, c’est que sa contagiosité est largement supérieure à la souche originelle de Wuhan et même à celle de Delta (…). On ne peut pas encore l’affirmer avec précision mais un professeur de médecine au Royaume-Uni affirme que, sans mesures barrières, le R0, le taux de reproduction, (c'est à dire le nombre de personnes qu’un nouveau cas aurait infecté, ndlr), serait proche de 10 », rappelle Éric d’Ortenzio. En d’autres termes, si ces affirmations venaient à être vérifiées, une personne infectée avec Omicron contaminerait en moyenne 10 autres personnes au cours de sa période d’infection, sans mesures barrières.
À (re)lire : Covid-19 : ce que l'on sait et ce que l'on ignore sur le nouveau variant OmicronC’est beaucoup plus que ses cousins Delta ou Alpha, dont on connaît les taux de reproduction avec certitude. Selon
Santé Publique France, sans mesures barrières (gestes, vaccins), le niveau du R0 du virus Sars-CoV-2 historique est estimé à 3, celui du variant Alpha à environ 4,5 et celui du variant Delta à environ 6,6.
Or, plus un virus est contagieux, plus la probabilité d’arriver à une immunité collective lorsque ce virus circule augmente. "
Si on reprend le cas d'Omicron, avec un taux de reproduction R0 de 10, il faudrait une immunité de 90% de la population pour que le virus diminue en circulation et que l'épidémie s'éteigne", nous explique Éric d’Ortenzio. Cela revient à dire qu'il faudrait que "
90% de la population soit vaccinée ou déjà infectée par le virus ou les deux."
Faut-il laisser le virus circuler pour autant, dans l'espoir d'atteindre l'immunité collective ? Pour Éric d’Ortenzio, c'est une aberration. "
Si un État opte pour cette solution, de toute façon, on aura des cas de formes graves. Cela va saturer des systèmes de soins (…).
Et parmi eux, des enfants qui ne sont pas encore vaccinés seront hospitalisés. Il y a une question éthique derrière une telle décision." D’autres part, le médecin épidémiologiste rappelle qu’une telle décision pourrait favoriser l’émergence de nouveaux variants. Or, l’immunité induite par un virus n’est pas forcément efficace pour le variant qui suit. Même si Omicron est moins dangereux, les conséquences d’une telle décision pourraient être dévastatrices. D'autant plus que le variant Delta circule encore et est beaucoup plus dangereux.
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