A Grabove, la récupération des corps a commencé
Le reportage de Marion Thibaut de l'Agence France-Presse
19.07.2014Leurs uniformes bleus contrastent avec la blondeur des blés, leurs gestes sont lents pour enfiler leurs gants comme pour se saisir des corps. A Grabove, les secouristes ont commencé la récupération des restes humains des 298 passagers du vol MH17, qui gisent depuis bientôt deux jours dans la campagne ukrainienne. A pied d'oeuvre samedi en fin de matinée, sur la zone de l'accident, à cinquante kilomètres à l'est de Donetsk, les secouristes économisent leurs mots alors qu'en fond sonore des détonations rapprochées se font entendre. La ligne de front entre séparatistes prorusses et forces loyalistes ukrainiennes est à quelques kilomètres et, malgré la catastrophe, il n'y a jamais eu de trêve. Le point de mire des secouristes : des bâtons surmontés de petits chiffons blancs, plantés la veille et seul repère marquant de loin la présence de restes humains éparpillées au milieu des blés. Les corps, certains déjà très noircis et gonflés après plus de 36 heures passées à l'air libre, sont ensuite placés dans de grands sacs mortuaires noirs, puis transportés sur des civières avant d'être regroupés sur le bord de la route. Leur destination prévue par les rebelles : la morgue de Donetsk. Selon les insurgés prorusses, 27 corps trouvés à quelques kilomètres de là, près d'un autre village, ont déjà été transportés à la morgue de la principale ville de la région, aux mains des rebelles séparatistes. Deux jours après l'accident du vol de la Malaysia Airlines, très probablement causé par le tir d'un missile sol-air, la zone est fortement gardée et totalement interdite à la presse, qui ne peut accéder qu'aux premiers mètres du site qui s'étend sur des kilomètres. - Tension avec la presse - Des dizaines de rebelles prorusses en armes barrent la petite route qui traverse la zone où sont tombés les débris de l'avion et la tension est forte avec les dizaines de journalistes présents. "Nous sécurisons la zone car les experts sont en train de travailler. C'est normal de ne pas pouvoir accéder à de tels lieux", affirme celui qui se présente comme le commandant rebelle du bataillon chargé de la sécurité du site, sans donner son nom de famille. Quelques minutes plus tard, excédé par les caméras, qui veulent filmer les recherches dans les champs, il tire en l'air et sa douille retombe au milieu d'un groupe de journalistes. Vers 13H00, lorsque la colonne de véhicules de l'OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe)arrive sur les lieux, la tension monte d'un cran : les rebelles placent un car en travers de la route et une trentaine d'hommes armés arrivent sur les lieux et se déploient dans les champs. Après des négociations, les observateurs peuvent entrer sur la zone. "Avez-vous des tentes réfrigérées?", demande un observateur à l'un des secouristes au milieu des hommes en armes, de plus en plus nombreux. L'homme secoue la tête en signe de négation. A quelques mètres d'eux, des valises éparses, des livres, des jeux d'enfants, des passeports et une odeur presque insoutenable. Une heure et demie plus tard, les observateurs ont achevé leur tour, ils n'ont pas eu accès à l'intégralité du site et notamment pas à la zone de la chute, entièrement brûlée. "Nous avons eu la possibilité de parler aux responsables, aux habitants de la zone et aux personnes qui s'occupent de récupérer les corps", se félicite tout de même Alexander Hug, superviseur de la mission en Ukraine. Peu de temps après leur départ, deux autocars déchargent une cinquantaine de passagers : des infirmières de l'hôpital de Chakhtarsk et des mineurs, en tenue de travail, casques rouges sur la tête et le visage encore couvert de charbon. Genia, 21 ans, traîne des pieds au milieu de ses camarades : "C'est la deuxième fois que je viens ici, mais je déteste ça. Déjà, hier on est venu nous chercher à la mine pour ratisser les champs, mais quel horreur tous ces corps en morceaux qui pourrissent".