Fil d'Ariane
Dépression, tendance suicidaire, troubles psychiatriques, … Les informations sont nombreuses à circuler sur l’état de santé du copilote de la Germanwings : Andreas Lubitz. Pour comprendre les raisons de son geste ayant précipité 149 personnes dans un crash, faut-il, pour autant, violer le secret médical de ce patient ? Retour sur les informations découvertes et explications.
Plus d’une semaine après le crash de la Germanwings qui a fait 150 morts, les informations sur le copilote Andreas Lubitz se bousculent. Progressivement, les médias (certains sensationnalistes) et la justice allemande brossent le portrait d’un jeune homme de 27 ans souffrant de troubles psychologiques voire psychiatriques.
Deux jours après le crash, le procureur de Marseille (France) Brice Robin nous apprend, au cours d’une conférence de presse, que le copilote du vol de la Germanwings Barcelone-Düsseldorf avait la « volonté de détruire l’appareil ». Alors que l’hypothèse terroriste est rapidement mise de côté par le procureur lui-même, celle du suicide émerge immédiatement. La chasse aux révélations sur son état de santé commence.
Vendredi 27 mars, le Parquet allemand annonce avoir retrouvé chez Andreas Lubitz des attestations d'arrêt maladie déchirées appuyant la thèse selon laquelle le jeune homme aurait « caché sa maladie à son employeur et à son environnement professionnel », selon le Parquet. Mais quelle maladie ? Le secret médical reste entier. Rien ne fuite sur ce dont souffrait le copilote et qui a nécessité un arrêt de travail... à la date du crash.
La révélation vient le même jour du quotidien allemand Bild Zeitung. Andreas Lubitz aurait souffert d’une grave dépression, pendant sa formation de pilote, il y a 6 ans. Du côté de son employeur, rien n’est confirmé mais le patron de la Lufthansa, Carsten Spohr, indique qu’Andreas Lubitz a, en effet, interrompu « un certain temps » son apprentissage, sans en révéler le motif, pour des raisons de secret médical.
C’est finalement dans un communiqué du 31 mars que la Lufthansa annoncera avoir transmis au Parquet de Düsseldorf des « documents supplémentaires ». Ils confirment qu’Andreas Lubitz avait informé son école de pilotage en 2009 qu’il avait bien connu un « épisode dépressif sévère ». Mais il a ensuite obtenu un certificat médical d’aptitude au vol et le futur copilote a fini normalement sa formation en 2013.
Dans la semaine suivant le crash, les rumeurs, les hypothèses sur l’état de santé du jeune homme de 27 ans enflent dans la presse. Samedi 28 mars, c’est le journal allemand Die Welt an Sonntag qui dévoile dans ses colonnes qu’« un grand nombre de médicaments pour le traitement de maladies psychiques » auraient été trouvés lors de la perquisition dans l’appartement du jeune homme à Düsseldorf.
Le Parquet de Düsseldorf révèle ensuite le lundi 30 mars que le copilote « a été en traitement psychothérapeutique pour des tendances suicidaires il y a de nombreuses années, avant l’obtention de sons permis de pilotage. » Ensuite, et « jusqu’à récemment, d’autres consultations chez le médecin ont eu lieu, donnant lieu à des arrêts maladie mais sans que ne soit attestées des tendances suicidaires ou de l’agressivité à l’égard d’autrui », rend compte le procureur allemand Ralf Herrenbrück.
Mais toujours aucune information officielle sur la nature de la « maladie » du copilote ayant nécessité l’arrêt de travail.
Finalement, on apprend que ce même lundi 30 mars, la clinique universitaire dans laquelle Andreas Lubitz a consulté trois fois entre février et mars dernier, a transmis son dossier médical aux autorités judiciaires.
La santé psychique du copilote est donc devenue au cours de ces derniers jours un sujet de préoccupation international soulevant un large débat sur le suivi médical des pilotes (lire notre encadré sur l'arrêt de travail) et sur le respect du secret médical.
- Arrêt de travail
Dans le cas du crash de la Germanwings, Andreas Lubitz a reçu un arrêt de travail qu'il n'a pas respecté et caché à son employeur. Le Conseil national de l'ordre des médecins français s'est interrogé sur le sujet : "Quand il y a un arrêt de travail, on le remet directement au patient mais ce n’est pas à nous de prévenir l’employeur. Est-ce qu’il faut prévoir une procédure qui permette de prévenir l’employeur directement ? " raconte le docteur Xavier Deau, délégué général aux affaires européennes et internationales au Conseil national de l'ordre des médecins..
- Médecin du travail
Andreas Lubitz aurait aussi pu être déclaré "apte" ou "inapte" par son médecin du travail. Dans ce cas, "la personne est reclassée dans l’entreprise à un poste différent", explique le docteur Xavier Deau. " Quand on sent qu’un patient représente un danger imminent soit pour lui-même, soit pour autrui, il est indispensable de faire un signalement au médecin du travail s’il y a un temps raisonnable pour une procédure d’inaptitude (épilepsie, alcool au volant, ...). Si on a le sentiment que le niveau psychiatrique d’une personne est catastrophique et qu’elle est capable de passer à l’acte sur lui-même ou sur les autres, comme dans le cas du crash, là je pense que la procédure « médecin du travail » peut être trop longue. Il faut utiliser, en France, les moyens que nous dévolue la loi, c’est-à-dire l’article 122-7 du code pénal qui nous permet de signaler cette personne aux instances judiciaires, au procureur qui, lui, peut diligenter une vérification."
En Allemagne, des responsables politiques du parti d’Angela Merkel (CDU) se sont exprimés. Dirk Fischer, expert des questions de transport au sein du parti conservateur réclame que les « pilotes consultent des médecins qui leur sont désignés par leurs employeurs » et que ces praticiens « devraient être libérés de leur obligation au secret dans le cadre des communications avec l’employeur et les autorités de l’aviation civile. »
Au niveau européen, les règles déontologiques restent relativement homogènes concernant le respect du secret médical. "En France et en Allemagne, on est sans doute les plus absolutistes", explique le docteur Xavier Deau, délégué général aux affaires européennes et internationales au Conseil national de l'ordre des médecins français. "En Allemagne, c’est même encore plus restrictif qu’en France. En principe, il n’y a aucune possibilité de transiger avec le secret médical."
Mais de grandes inégalités perdurent dans le monde quant à l'indépendance des médecins face au pouvoir. "En Turquie, les médecins n’ont que peu d’indépendance vis à vis des autorités judiciaires et administratives, raconte le docteur Deau. Dès qu’un patient est inquiété par des instances judiciaires ou administratives, il y a des transgressions quasi obligatoires du secret médical. En Chine aussi. Dans tous les pays africains, le secret médical n’est malheureusement pas absolu."
Ailleurs comme aux Etats-Unis, le secret médical peut être violé pour des raisons éthiques.
Dans certains cas très précis, le médecin peut, en son âme et conscience, briser le secret médical également en France. C’est ce que nous explique le docteur Jean-Marie Faroudja, président de la section éthique et déontologie au Conseil national de l’ordre des médecins en France.
Le médecin ne doit jamais communiquer à l’employeur quoi que ce soit comme information concernant la santé d’un salarié. Que resterait-il de la confiance du patient en son médecin s’il savait que ce qu’il disait à son médecin peut être rapporté à l’employeur quelles que soient les circonstances ?
Il ne faut pas modifier les textes de loi parce que sinon on va créer de nouvelles brèches dans le secret médical, de nouvelles dérogations. Alors, après, vous imaginez ce que l’on peut en déduire. A ce moment-là, si un chauffeur de bus prend un Lexomil de temps en temps, il va falloir aller prévenir son employeur ? Dans le cas du patient qui vient voir son médecin avec une maladie transmissible et qui peut contaminer son(sa) conjoint(e)... Faut-il aussi que le médecin téléphone au conjoint(e) pour le(la) prévenir ?
Il n’y aura plus de confiance et donc plus de confidences. Et les patients ne seront plus correctement soignés parce qu’ils ne diront plus à leurs médecins ce dont ils souffrent.
L’ordre va en rediscuter bien évidemment à la faveur de ces événements. On ne veut pas rester insensible à des questions que se posent, et la population, et les confrères.
Mais je pense que l’on ne changera pas le caractère impératif du secret médical. On en tirera des conclusions et l’on ajoutera peut-être des commentaires au code de déontologie médicale.
Je crois qu’il faut mieux garder ce qui est reconnu au niveau déontologie médicale et reconnaître que, dans certaines circonstances exceptionnelles, le médecin peut transgresser ces obligations à condition qu’il puisse en répondre à une juridiction qu’elle soit pénale et disciplinaire.
C’est une des bases fondamentales de la relation médecin/patient. Le secret médical est général et absolu sauf dérogation prévue par la loi comme signaler au procureur de la République des mineurs ou des personnes vulnérables qui seraient victimes de sévices. C’est un devoir du médecin. Il y a aussi des déclarations obligatoires comme les naissances, les décès, les accidents de travail, les maladies professionnelles, etc…
Et si un patient se présente devant un médecin avec une balle engagée dans le canon et qu’il dit « je vais aller tuer mon employeur ». Dans ce cas, oui, le médecin a le droit de transgresser (le secret médical, ndlr) et de prévenir le procureur de la République ou les autorités de police pour essayer d’éviter un crime (article 122-7 du code pénal).
C’est là où se situe la limite. Le médecin ne peut pas s’affranchir de ses obligations déontologiques mais, parfois, il se trouve contraint entre ses obligations déontologiques, d’une part, et d’autre part, sa qualité de citoyen pouvant être poursuivi pour omission de porter secours, non-assistance à personne en danger, etc.
Le code de déontologie ne lui permet pas de franchir ces limites. Néanmoins, en son âme et conscience, s’il estimait que, par son intervention, il est capable d’interrompre ou d’éviter un crime ou un drame, on peut considérer qu’il pourrait transgresser ses obligations déontologiques quitte à en répondre devant un juge qu’il soit pénal ou disciplinaire.
Le code pénal prévoit 15 000 euros d’amende et d’un an d’emprisonnement.
En ce qui concerne l’ordre des médecins, lorsqu’il y a une violation du secret médical, c’est toujours une sanction relativement lourde mais ça dépend aussi dans quelle circonstance cela s’est passé. Et de savoir aussi le contenu de cette violation. Mais en général, c’est 3 mois d’interdiction d’exercer. C’est une sanction qui tombe quand il y a une violation caractérisée du secret médical.
Tous les médecins sont un jour ou l'autre confrontés à des cas compliqués de patients. Au médecin de savoir s'il doit alerter le médecin du travail ou les autorités. C'est ce que nous confie le docteur Deau :
"J’ai eu des cas de conscience importants comme celui du conducteur de poids-lourd qui fait des crises d’épilepsie. J’en ai eu plusieurs dans ma patientèle, dont un qui a eu un accident-catastrophe avec des décès. Il a dit vouloir continuer à conduire. Le médecin du travail n’était pas averti. A un moment ou à un autre, je me suis dit en mon âme et conscience : qu’est-ce que je fais ? J’ai quand même averti le médecin du travail. J’ai aussi eu le cas d'un chauffeur de bus d’enfants qui continuait à boire deux litres de rouge tous les jours et qui avait la bouteille sous son siège d’autobus. A un moment, j’ai attiré l’attention du médecin du travail. Le patient a compris et a obtempéré." Xavier Deau ajoute : "In fine le médecin a une très délicate marche de manœuvre qui lui est très personnelle et qui fait partie de l’universalité de l’éthique."