Crash Malaysia Airlines : comment indemniser les victimes ?
Un cabinet d’avocats américains a déposé plainte mardi 26 mars aux Etats-Unis contre le constructeur Boeing qui semble avoir sombré le 8 mars dans l’Océan Indien. 239 passagers ont disparus, probablement décédés, même si les autorités affirment chercher encore de « possibles survivants ». Déjà des familles de victimes demandent réparation. Comment peuvent-elles être indemnisées ?
Détournement ? Problème technique ? Défaillance du matériel ? Que s’est-il réellement passé à bord du vol MH370 de la Malaysia Airlines ? Aucune explication précise n’a, pour l’instant, vu le jour, trois semaines après la perte du signal du Boeing 777 reliant Kuala Lumpur à Pékin. Les pièces qui viennent d’être retrouvées dans l’Océan Indien ne laissent guère d’espoir. La question de l’indemnisation des familles de victimes est donc soulevée. Après l’annonce du crash Rapidement après avoir annoncé la disparition de son avion, le transporteur aérien doit verser des « allocations de premier secours » afin de palier les besoins économiques immédiats des familles. Frais d’hébergements, de transports,… tout est pris en charge par Malaysia Airlines. « Dans le cas d’accidents collectifs, les pouvoirs publics sont en première ligne », souligne Maître Jean-François Carlot, avocat et enseignant en droit des assurances aux Universités Lyon II et III. « Il est normal d’héberger, de nourrir et de loger les familles. Cela est pris en charge par la compagnie aérienne qui subit un préjudice d’image. Elle va donc financer une série d’avantages matériels. Cela relève aussi de l’esprit commercial d’une compagnie. » Cette avance ne doit pas être inférieure à la somme de référence de 16 000 DTS (droits de tirage spéciaux définis par le Fonds Monétaire International) par passager, soit près de 18 000 euros. La Malaysia Airlines a déjà versé 5000 dollars à chaque famille.
Indemnisation automatique La responsabilité du transporteur est engagée selon deux textes qui s’appliquent dans le cas de dommage corporel : la Convention de Varsovie de 1929 et, désormais, la Convention de Montréal entrée en vigueur dans l’Union européenne en 2004. L’article 17 stipule que « Le transporteur est responsable du préjudice survenu en cas de mort ou de lésion corporelle subie par un passager, par cela seul que l’accident qui a causé la mort ou la lésion s’est produit à bord de l’aéronef ou au cours de toutes opérations d’embarquement ou de débarquement». Dans ce cadre s’applique le principe de responsabilité civile illimitée du transporteur aérien sauf s’il prouve une faute de la victime. On peut parler d’une indemnisation automatique, mais plafonnée. « A priori toutes les familles et les ayants droits des victimes vont être indemnisées par la compagnie aérienne », explique Maître Carlot. « Mais à concurrence d’un plafond fixé par cette Convention de Montréal à hauteur de 100 000 DTS soit plus de 112 000 Euros selon les derniers cours. Cette indemnisation est partagée entre les différents ayants-droits de la victime". Au-delà de ce plafond, pour que le transporteur s’exonère de sa responsabilité, il doit prouver qu’il n’a commis aucune faute. Le calcul des indemnisations Le coût des indemnités versées aux familles des victimes varie selon le préjudice subi. « Deux sortes de dommages existent pour les ayants droits », explique Maître Carlot. « Tout d’abord, des préjudices moraux pour la perte d’un être cher. Je ne peux pas l’évaluer en Malaisie ou en Chine mais en France c’est de l’ordre de 30 000 euros pour la perte d’un conjoint. Et le second chef de réparation important, c’est le préjudice économique subi par les enfants et le conjoint privé de revenus, quand ils étaient, par exemple, à la charge de la victime disparue. Cette indemnisation est évaluée en fonction des revenus de la personne décédée. En France, on estime qu’un enfant récupère 15% du revenu de la victime et le conjoint davantage. Parmi les autres personnes à charges, il peut y avoir aussi des ascendants. »
Business Mais les familles de victimes peuvent aussi espérer une indemnisation « hors plafond » et pour cela des cabinets d’avocats se proposent de les assister. Un marché « juteux ». Ainsi, ce mardi 25 mars, un cabinet d’avocats américain Ribbeck Law a déposé plainte devant un tribunal de l’Illinois contre le constructeur Boeing et la compagnie Malaysia Airlines. La firme internationale intente une action au nom de l’avocat indonésien, Januari Siregar, dont le fils de 25 ans, Firman Siregar, fait partie des 239 passagers et membres d’équipage du vol MH370. L’objectif de Ribbeck Law ? Trouver une éventuelle avarie matérielle ou une défaillance de la compagnie. «Nous allons lancer des procédures afin d’obtenir des millions de dollars (de réparations) pour chaque passager comme ce fut le cas dans les dossiers de crashs (aériens) que nous avons traités», a précisé Monica Kelly, la responsable des procédures aéronautiques de Ribbeck Law, lors d’une conférence de presse à Kuala Lumpur, en Malaisie, mercredi 26 mars. La compagnie et le constructeur ont 30 jours pour répondre à cette plainte « en recherche de causes ». Le crash d’un avion peut s’avérer très rémunérateur pour un cabinet d’avocats. Des intérêts financiers énormes se cachent derrière une telle catastrophe. « Des cabinets anglo-saxons, et notamment américains, sont spécialisés dans l’indemnisation des victimes de crashs aériens», note Maître Carlot. « Ce sont de grosses structures internationales qui ne sont pas soumises à la déontologie du droit français. Ils ont le droit de faire de la publicité et du démarchage. Alors quand il y a un tel accident, vous pouvez être sûr que dans les 8 heures, des avocats américains sont présents pour proposer leurs services. Ils fonctionnent selon le principe du « no cure, no pay » (pas de remède, pas de paiement, ndlr)». En clair, quand un avocat obtient une indemnité pour son client, il se rémunère par un pourcentage de l’ordre de 30 à 40 % ; s’il perd, cela ne coûte rien au client.
Dans ces conditions, tous les moyens sont mis en œuvre par ces firmes d’avocats pour trouver la faille chez la compagnie ou le constructeur. « Ils vont mener une enquête de leur côté, avec des gros moyens, pour trouver des éléments qui leur permettront d’exercer des recours, si possible devant une juridiction américaine». La procédure peut être très onéreuse pour le constructeur et avantageux pour les victimes et leurs avocats. Aux États-Unis, il existe une notion de droit appelée « dommages punitifs » (punitive damages) », destinée à « punir » le responsable pour le dissuader de recommencer. Ainsi les indemnités peuvent largement excéder le strict préjudice subi par la victime. On parvient alors à des montants record. Un pactole qui se chiffre en millions de dollars comme le laisse augurer les déclarations de la représentante du cabinet Ribbeck Law citée plus haut. « C’est pour ça que vous voyez un tel tapage médiatique et tant de remue-ménage pour retrouver l’avion, » considère Maître Carlot. « Ce n’est pas seulement pour les familles des victimes, c’est aussi pour faire pression afin que les Etats concernés par cette catastrophe mettent en œuvre tous les moyens pour en trouver les causes… C’est autant d’argent économisé par les avocats qui devraient sinon financer l’enquête». Qui paye ? « Normalement c’est l’assureur de la compagnie, l’Etat ou un autre intermédiaire. Tout dépend de la partie attaquée. Dans ces cas là, les assureurs essayent de négocier à l’amiable avec les victimes pour éviter des sommes énormes. » Si les plaintes se multiplient, la facture risque de s’alourdir pour la compagnie. Le crash du vol MH370 n’arrange pas les finances en mauvaise santé de Malaysia Airlines. La compagnie a enregistré une perte d’environ 257 millions d’euros en 2013. Des pertes dues selon des analystes à une mauvaise gestion et un sureffectif. A tout cela s’ajoute aujourd’hui l’hésitation des clients inquiétés par ce crash mystérieux.