Le pape vient de créer 20 nouveaux cardinaux. Âgé de 85 ans, le souverain pontife se prête à un exercice récurrent à sa fonction. Mais après avoir annoncé qu’il pourrait se retirer en raison de la dégradation de son état de santé, les choix faits par François sont scrutés. Prépare-t-il sa succession ? Quelle est la ligne théologique qu’il souhaite imprimer au sein de l’Église catholique à la fin de son pontificat ? Réponse avec François Mabille, universitaire et secrétaire général de la fédération Internationale des Universités Catholiques.
Ce samedi 27 août, le pape François tient le huitième consistoire de son pontificat débuté en 2013. Le souverain pontife de 85 ans a reconnu lui-même, lors de sa visite au Canada, que son état de santé pourrait le contraindre à se retirer s'il n'était plus en mesure d'assurer ses fonctions.
Dans ce contexte, la création de 20 nouveaux hauts prélats chargés d'assister le pape est scrutée par les observateurs internationaux. Certains y voient une indication sur la possible ligne du futur chef spirituel des 1,3 milliard de catholiques recencés dans le monde. La réalité est plus complexe, comme l'explique l'universitaire et spécialiste du catholicisme François Mabille.
TV5MONDE : En quoi consiste le consistoire du 27 août 2022 ?
François Mabille : Comme le pape l’a annoncé il y a déjà quelque temps, il va créer de nouveaux cardinaux. Ce qui veut dire qu’il va y avoir de nouvelles nominations. Et comme après chaque nouvelle nomination d’un cardinal, le pape va réunir dans la foulée un consistoire. C’est à ce moment-là que les nominations vont devenir effectives. Il s'agit d’un moment de réunion entre tous les cardinaux qui permet d’intégrer les nouveaux qui viennent d’être nommés.
Le pape a évoqué l’éventualité de sa démission.
François Mabille, Secrétaire général de la fédération Internationale des Universités Catholiques.
TV5MONDE : Quel est le contexte de ce consistoire ? Pourquoi le pape François a-t-il décidé de créer 20 cardinaux supplémentaires à ce moment précis ? François Mabille : Ce n’est pas la première fois que le pape François crée de nouveaux cardinaux. On peut dire que c'est presque un geste routinier de la fonction pontificale. Là, ce qui fait précisément l'intérêt de ces nouvelles nominations, c'est le contexte actuel. Il est important. D’une part parce que le pape a évoqué l’éventualité de sa démission.
D’ici la fin de l’année ou d’ici un an le pape peut se retirer.François Mabille, Secrétaire général de la fédération Internationale des Universités Catholiques.
On a en tête que d’ici la fin de l’année ou d’ici un an le pape peut se retirer. C’est sans doute l’une des dernières fois que le pape nomme des cardinaux. Ce geste a donc peut-être un peu plus de signification que d'habitude, cette fois. Auquel cas les nouveaux cardinaux feront partie de ceux qui éliront son successeur. D’autre part, le pape a introduit une nouvelle Constitution apostolique. Ce document important produit par le pape permet une réorganisation de la Curie.
Un consistoire, un conclave : quelle différence ?
Le consistoire désigne la réunion des cardinaux autour du pape. Au cours de cette réunion qui se tient une fois par an, le pape et les cardinaux discutent des grandes affaires qui concernent l’Église catholique et les fidèles. Les cardinaux, qui forment le consistoire, sont membres de la Curie.
Le conclave est le moment de l'élection d'un nouveau pape. Elle a lieu lors d’une assemblée des cardinaux, réunis après la mort ou la démission du souverain pontife.
TV5MONDE : Que peut-on dire du profil de ces nouveaux cardinaux ?
François Mabille : Il est très intéressant à observer même s’il y a quand même des critères à respecter. Il y a celui de l’internationalisation de la Curie romaine, qui existe depuis presque 60 ans. Autrefois, les cardinaux étaient des Européens à 95%. Aujourd’hui ce taux se réduit.
L’Église catholqiue étant présente pratiquement partout dans le monde, il faut qu’il y ait une répartition géographique du collège des cardinaux. Donc aujourd’hui, vous avez 49 cardinaux qui viennent d’Europe, 16 viennent d’Amérique du Nord, environ 17 sont africains, et il y a une dizaine d’asiatiques. La provenance géographique des cardinaux reflète la diversité géographique de l’Église catholique. Elle montre aussi qu’elle est de moins en moins européenne. La grande majorité des cardinaux ont été nommés par le pape François lui-même.
TV5MONDE : Est-ce qu’il existe une obligation de “quota” lors de la création des cardinaux pour que le pape puisse respecter ce principe d'internationalisation ? François Mabille : Officiellement, non. Mais lorsque vous regardez les répartitions géographiques aujourd’hui, en dehors de la petite cinquantaine de cardinaux européens, vous voyez bien que grosso modo, l’équilibre des forces entre l’Amérique du Nord, l’Asie, l'Afrique et l’Amérique du sud est respecté. En moyenne, il y a entre 15 et 20 cardinaux pour chacun de ces continents.
Il souhaite des hommes de terrain. Ça n’est pas un homme qui veut des cardinaux dogmatiques ou des théoriciens.
François Mabille, secrétaire général de la fédération Internationale des Universités Catholiques.
TV5MONDE : En plus de la nationalité, quels sont les critères retenus aujourd'hui par le pape François pour la création de nouveaux cardinaux ? François Mabille : Je dirais qu’il y a encore deux autres critères qui jouent sur les choix de Bergolio ( Jorge Mario Bergoglio, aujourd'hui le Pape François). Le premier, c’est que visiblement il souhaite des hommes de terrain qui sont très proches de son approche : une approche très pragmatique et très engagée socialement. Ça n’est pas un homme qui veut des cardinaux dogmatiques ou qui veut des théoriciens. Quand vous regardez le détail des nominations, ce profil est très net depuis plusieurs créations de cardinaux.
L’autre critère est presqu’un double critère : il est dans le symbole. Il peut s’agir de symboles qui relèvent et de l’Église et des États. C'est précisément le cas pour les deux prêtres africains qui deviennent cardinaux. Le Ghanéen Richard Baawobr, qui a été nommé, est le premier africain à la tête de la société des missions d’Afrique. C’est hautement symbolique : ça veut dire qu’un ordre missionnaire, créé en l'occurrence par un Français, en France et en Algérie à la fin du XIXe siècle, pour étendre le christiannisme et le catholicisme en Afrique a, à sa tête aujourd'hui, un Africain.
TV5MONDE : Qu’est-ce que ce parti pris par le pape François à travers ces nominations peut dire de sa ligne théologique ? François Mabille : Ça veut dire que ça fait partie des contradictions ou des surprises en quelque sorte, de l’Eglise. On a un évêque américain, Robert McElroy, qui est totalement dans la ligne du pape. Il s'est prononcé pour l'accueil de réfugiés, pour les migrants, il a critiqué Trump au sujet de murs anti-migrant qu’il voulait créer. Il a aussi critiqué les évêques conservateurs américains qui voulaient refuser la communion aux hommes et aux femmes politiques qui étaient en faveur de l’avortement. Ce choix est très significatif d’une ligne pastorale et d’un courant théologique propre à François.
Les papes ont toujours l’ambition de nommer les cardinaux qui assureront une continuité avec leur propre pontificat.
François Mabille, secrétaire général de la fédération internationale des Universités Catholiques.
TV5MONDE : Au vu de ces nominations, peut-on déjà avoir une idée de la succession du pape François ? François Mabille : Tous mes collègues, tous les observateurs ne seront certainement pas tous d’accord avec moi. Mais je pense qu’il s’agit avant tout de jeux de dupe. Les papes ont toujours l’ambition de nommer les cardinaux qui assureront une continuité avec leur propre pontificat. Mais que le pape démissionne ou qu’il meurt, une fois que les cardinaux sont nommés, ils sont libres de faire ce qu’ils veulent. Ils s’émancipent des papes qui les ont nommés.
Dans les faits, les derniers papes étaient tous très différents de leurs prédécesseurs. Jean XXIII (1958) avait un profil très différent de son prédécesseur Pie XII. Jean-Paul II était très différent de son prédécesseur Paul VI. Idem pour Benoît XVI très critique à l’égard de Jean-Paul II. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ces deux papes sont loin d’avoir le même profil.
Le renouvellement des cardinaux est donc régulier pour des raisons démographiques.
François Mabille, Secrétaire général de la fédération internationale des Universités Catholiques.
TV5MONDE : Depuis le début de son pontificat, le pape François a créé 83 cardinaux sur les 132 qui composent le consistoire. Ses prédécesseurs ont-ils fait de même ?
François Mabille : les nouveaux cardinaux sont relativement âgés. Ils ont au minimum la soixantaine et ils approchent généralement des 70 ans. Ils ne peuvent participer à la Curie romaine que jusqu’à l’âge de 80 ans. Le renouvellement des cardinaux est donc régulier pour des raisons démographiques. Par exemple, Jean-Paul II en avait créé beaucoup parce que son pontificat avait duré 28 ans. Benoît XVI est resté moins longtemps mais a procédé également à des changements. François, lui, a beaucoup changé aussi depuis qu'il a été élu. À la fois pour des raisons démographiques que pour des raisons politiques.