Fil d'Ariane
Ce fut d’abord la stupeur. Officiellement, 290 corps de civils ont été découverts dans la ville de Boutcha, dans la banlieue de Kiev, en Ukraine. Le monde entier était en émoi. Désormais, il est temps de mettre en lumière ce qu’il s’est passé. « Il y a des indices très clairs de crimes de guerre », avait affirmé le président français Emmanuel Macron, en découvrant les images des cadavres de civils jonchant les rues de Boutcha. « La justice internationale doit passer, a-t-il poursuivi. Celles et ceux qui ont été à l’origine de ces crimes de guerre devront en répondre. »
La Cour a compétence à l’égard des crimes de guerre, en particulier lorsque ces crimes s’inscrivent dans le cadre d’un plan ou d’une politique ou lorsqu’ils font partie d’une série de crimes analogues commis sur une grande échelle.
Article 8 du Statut de Rome de la CPI
La France propose donc de mettre à disposition de la Cour pénale internationale (CPI) deux magistrats et dix gendarmes, pour enquêter sur les massacres qui ont été commis. L'Union européenne a également proposé son aide pour l'enquête. D’autres pays ont fait le choix d’enquêter eux-mêmes sur ces faits. Comment se monte une enquête internationale et comment s’assurer de son bon déroulement ? Comment s'assurer de son impartialité ?
I spoke with President @ZelenskyyUa about the atrocious murder of civilians in Bucha and elsewhere in Ukraine.
— Ursula von der Leyen (@vonderleyen) April 4, 2022
The EU is ready to send Joint Investigation Teams to document war crimes in coordination with the Ukrainian Prosecutor General.@Europol and @Eurojust will support.
La procureure générale d’Ukraine Iryna Venediktova affirme que « plus de 4 000 crimes de guerre ont déjà été enregistrés. » Trois juridictions sont aptes à enquêter : la CPI, la justice ukrainienne et celle de tous les pays. Pour ce dernier cas de figure, c’est la notion de « compétence universelle » qui s’applique. En Europe, la Suède, l’Allemagne et l’Espagne ont ouvert des enquêtes. Le 2 mars, la CPI ouvre une enquête sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre commis en Ukraine depuis novembre 2013. Les massacres commis à Boutcha s’ajoutent à la liste.
Cependant, la Russie, tout comme l’Ukraine, n’ont jamais ratifié le traité de Nuremberg et ne reconnaissent pas la compétence générale de la CPI. Si Vladimir Poutine doit être jugé pour crimes de guerres, il ne pourra pas être arrêté sur le sol russe. Or, sa présence est obligatoire en cas de procès. L’Ukraine a toutefois reconnu les capacités de la CPI à investiguer les actes commis par les russes sur le territoire ukrainien.
En travaillant avec les victimes, les réfugiés et les personnes déplacées, ainsi qu’avec plusieurs organisations humanitaires et d’autres institutions, ils ont été en mesure de rassembler les premiers témoignages concernant les événements.Tribunal pénal international sur l'ex-Yougoslavie
Concernant l’enquête ouverte par la CPI, « l’agence européenne pour la coopération judiciaire Eurojust a pour charge de coordonner [le] recueil » des preuves, précise Catherine Le Bris, chercheuse au CNRS et spécialiste du droit international dans l'hebdomadaire français Le Journal du Dimanche. Ces derniers doivent déterminer si les actes commis par les militaires russes étaient nécessaires ou non. Autrement dit : si les meurtres commis à Boutcha répondaient d’un impératif militaire ou non. Le 11 mars, 41 États ont confié leur enquête sur la situation en Ukraine à la CPI.
L’Organisation des nations unies (ONU) a également ouvert une enquête sur « les violations des droits de l’Homme et du droit international humanitaire » commises en Ukraine. L’ancien président du Tribunal pénal international pour le Rwanda Erik Mose a été désigné pour conduire cette enquête.
Par exemple avec les mains liées, avec des impacts de balles dans la tête. Ce sont des traces majeures qui pourraient constituer des éléments de preuves de crimes de guerre et permettre à la CPI de focaliser son enquête sur ce cas en particulier.Pascal Paradis, directeur général d’Avocats sans frontières pour le Canada
« Les enquêtes jouent un rôle crucial (…), car elles constituent la base de toute les poursuites et de tous les procès », peut-on lire sur le site du tribunal pénal international de l’ex-Yougoslavie. Ce tribunal avait jugé Slobodan Milosevic, qui fut président de la république fédérale de Yougoslavie. Dans le cadre de cette enquête, quatre catégories de crimes ont été ciblées : les infractions graves aux conventions de Genève de 1949, les violations des lois ou coutumes de la guerre, le génocide et les crimes contre l’humanité. Compte tenu des difficultés à se rendre sur les scènes de crimes pendant le conflit, les enquêtes ont débuté dans des centres de réfugiés, pour recueillir des témoignages. « En travaillant avec les victimes, les réfugiés et les personnes déplacées, ainsi qu’avec plusieurs organisations humanitaires et d’autres institutions, ils ont été en mesure de rassembler les premiers témoignages concernant les événements », indique le site du tribunal pénal.
Une autre enquête internationale de grande ampleur a été menée par le tribunal pénal international pour le Rwanda. Il était chargé de « juger les personnes présumées responsables d’actes de génocides ou d’autres violations du Droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda et sur les territoires d’États voisins entre le 1er janvier 1994 et le 31 décembre 1994. » L’enquête a démarré par l’investigation de documents rassemblés par les Nations unies, mais aussi par l’interrogation de témoins et de sources gouvernementales, détaille le Comité international de La Croix Rouge. Mais les moyens limités de ce tribunal ont compliqué le bon déroulement de l’enquête. La coopération avec les différents États concernés était donc primordiale dans l’arrestation des suspects.
« Le Bureau du Procureur recueille des éléments de preuve nécessaires auprès de diverses sources fiables, de façon indépendante, impartiale et objective », explique une brochure de la CPI expliquant son fonctionnement. Toutefois, la brochure ne précise pas quelles peuvent être ces « diverses sources fiables. » Elle précise que « les États parties au Statut de Rome ont l’obligation juridique de coopérer pleinement avec la CPI. » Donc les pays reconaissant la CPI peuvent enquêter sur ces faits, sous l'égide de la CPI.
Par ailleurs, la CPI a ouvert un portail permettant de faciliter la mise en relation entre les enquêteurs et les personnes détentrices d’informations susceptibles de les aider. Le travail des journalistes, des ONG, mais aussi les informations recueillies par les États ou par l’ONU. Les deux magistrats et dix gendarmes envoyés par la France feront partie du travail d’enquête venant des États.