Quelques heures avant l'ouverture de l'Assemblée générale de l'ONU, la dirigeante birmane Aung San Suu Kyi a adressé mardi 19 septembre un message d'apaisement à la communauté internationale, se disant "prête" à organiser le retour des plus de 400.000 Rohingyas musulmans enfuis au Bangladesh. Après son discours, les enquêteurs de l'ONU demandent un accès "illimité" à la Birmanie.
"Nous sommes prêts à débuter la vérification" des identités des réfugiés, en vue de leur retour, a-t-elle déclaré dans un discours télévisé en anglais (et sans sous-titre en birman), sans préciser si les critères de retour, très restrictifs normalement, seraient assouplis.
L'opinion publique birmane est chauffée à blanc par les critiques internationales sur le sort des plus de 410.000 Rohingyas, réfugiés au Bangladesh, qui ont fui l'Etat Rakhine (ouest de la Birmanie) où l'armée mène une vaste opération de représailles depuis des attaques, le 25 août, de rebelles rohingyas. L'ONU parle d'"épuration ethnique".
Mais devant les ambassadeurs réunis à Naypyidaw pour cette adresse à la Nation rebaptisée au dernier moment "briefing diplomatique", la Prix Nobel de la paix, critiquée pour son silence et sa froideur durant plus de trois semaines de crise, a appelé à la fin des divisions religieuses entre majorité bouddhiste et minorité musulmane.
"Nous sommes profondément désolés pour les souffrances de tous ceux qui se sont retrouvés pris au piège de ce conflit", évoquant les civils ayant fui en masse au Bangladesh mais aussi les bouddhistes ayant fui leurs villages, a-t-elle encore dit. "Nous ne voulons pas que la Birmanie soit divisée par les croyances religieuses", a-t-elle insisté, alors qu'elle est très critiquée pour ses atermoiements face au puissant courant de nationalisme bouddhiste, qui considère les musulmans comme une menace contre l'identité nationale.
La prix Nobel de la paix a aussi eu des mots durs envers l'armée, à laquelle elle avait apporté jusqu'ici son soutien sans faille, malgré les accusations d'exactions sous couvert d'opération antiterroriste.
"Les forces de sécurité ont reçu des instructions" afin de "prendre toutes les mesures pour éviter les dommages collatéraux et que des civils soient blessés" lors de l'opération antiterroriste, a-t-elle dit, affirmant "condamner toutes les violations des droits de l'homme".
Mais son discours n’a pas convaincu tout le monde. Pour Amnesty International, Aung San Suu Kyi pratique la politique de l’autruche. Une déclaration cinglante alors que Aung San Suu Kyi bénéficie encore d’une grande popularité en Birmanie.
L'an dernier à la tribune de l'assemblée générale de l'ONU, Aung San Suu Kyi avait promis de défendre les droits de cette minorité considérée comme l'une des plus persécutées au monde, promettant de "s'opposer fermement aux préjugés et à l'intolérance".
Une distance prise avec l'armée
"Cet engagement au retour des réfugiés selon les termes de l'accord de 1992 est quelque chose de nouveau et d'important", estime Richard Horsey, analyste indépendant basé en Birmanie: une simple preuve de résidence en Birmanie devrait être demandée, pas une preuve de citoyenneté - que les Rohingyas n'ont pas, étant apatrides.
Mais, loin de ce discours destiné avant tout à la communauté internationale, les Birmans considèrent largement que les Rohingyas ne sont pas partie prenante de la nation birmane. Aung San Suu Kyi a suggéré le contraire ce mardi, s'affirmant dans la droite ligne de son père, Aung San, père de l'Indépendance birmane : la Constitution de 1947 avait permis à une grande partie des Rohingyas d'obtenir un statut légal et le droit de vote.
Mais la dictature militaire instaurée en 1962 avait joué la carte de la haine antimusulmane et la loi birmane sur la nationalité de 1982 avait laissé les Rohingyas apatrides. Diplomatiquement, Aung San Suu Kyi marque ses distances avec le chef de l'armée, le général Min Aung Hlaing, qui est, dans l'ombre, un homme clé dans ce dossier.
La question des Rohingyas "est une cause nationale et nous devons être unis dans l'établissement de la vérité", à savoir que cette communauté apatride n'a rien de birman, avait averti le chef de l'armée sur Facebook.