Crise économique : la guerre des monnaies a-t-elle débuté ?
C'est à grands coups de dévaluations que les plus grandes puissances redressent leurs économies pendant que l'Europe s'écroule sous un euro surévalué, coincée par sa banque centrale et ses politiques d'austérité.
Si les ministres des finances réunis à Moscou le 20 février dernier ont tenté de faire croire qu'ils coopéraient au niveau monétaire, la réalité est bien différente : la guerre des monnaies a débuté, et n'en déplaise à la directrice du FMI, Christine Lagarde qui estime l'expression "exagérée", celle-ci est en train de modifier sensiblement la compétition économique mondiale. Mais si cette guerre des monnaies est véritablement en cours, comment fonctionne-t-elle, avec quelles conséquences et comment la zone euro peut-elle se défendre, elle qui en est la première victime ?
Créer de la monnaie
Quand une économie va mal, que son marché du travail est moribond, que la relance par l'investissement n'est plus possible à cause de déficits trop importants ou de politiques budgétaires l'interdisant, il y a une solution : la création monétaire pour activer une dévaluation compétitive. Les Etats-Unis font donc tourner la planche à billets via la Réserve fédérale (la FED, la banque centrale américaine , NDLR) depuis trois bonnes années. Ce qui est appelé techniquement "Quantitative easing" en jargon économique est une opération pratiquée depuis que les banques centrales existent. Quelles en sont les tenants et les aboutissants ? L'économie américaine est inondée de liquidités qui bénéficient aux investisseurs et aux consommateurs. Cette relance par la création monétaire a des conséquences sur la première économie du monde émettrice de la monnaie de référence, le dollar. Celui-ci s'affaiblit de façon artificielle et permet d'augmenter les exportations : plus une monnaie s'affaiblit vis à vis des autres (par la création monétaire), plus les exportations sont facilitées puisque les bien exportés sont moins chers.
Relance économique
Reste l'inflation, c'est-à-dire pour simplifier, l'augmentation des prix, puisque c'est l'une des conséquences mécanique de l'émission de monnaie. Particulièrement, l'augmentation des prix des biens d'importation. Mais cette inflation est compensée par la création monétaire qui permet une relance de l'économie par la dévaluation : les ménages consomment plus de biens nationaux puisque les importations sont plus chères, l’industrie domestique croît, l'emploi s'améliore, les recettes publiques augmentent. Le Japon s'est empressé de suivre la politique de création monétaire américaine en rachetant des actifs pour créer des liquidités et permettre la dévaluation du yen, amenant ainsi de meilleures exportations, avec une inflation qui va doubler (à 2% au lieu de 1%, ce qui n'est pas excessif) mais une consommation intérieure qui s'améliorera mécaniquement. Le nouveau gouverneur de la banque centrale nippone, Haruhiko Kuroda, partisan d'une politique monétaire très accommodante, ne va certainement pas changer cette orientation. La compétition économique par la dévaluation bat donc son plein, avec un G20... qui condamnait ces pratiques il y a un mois et un G7 qui s'en inquiète mais ne fait rien contre !
En Euroland, pas de dévaluation compétitive
Plus une monnaie est appréciée, donc forte par rapport aux autres, plus s'applique le phénomène de modération salariale : exporter reste cher, les salaires sont alors maintenus au plus bas. Ce que fait l'Allemagne. Comparativement, la Chine (dont la monnaie est sous-évaluée de 40%, et qui est la nation la plus exportatrice au monde), est obligée d'augmenter les salaires en permanence. Dévaluer l'euro en tant que tel, qui est une monnaie unique, est donc possible mais uniquement par l'augmentation des salaires, puisque la création monétaire n'est pas autorisée par la BCE, cantonnée à surveiller les déficits et dettes publiques et… contenir l'inflation. Augmenter les salaires déprécierait pourtant l'euro, fortement surévalué, mais l'Allemagne s'y oppose : Angela Merkel se félicite de l'euro fort qui lui permet… de contenir les salaires. La zone euro a décidé de se consacrer à la réduction des déficits de ses pays membres, entraînant une impossibilité de relancer la croissance, un déficit de compétitivité généralisée à l'exception de l'Allemagne dont la spécialisation industrielle et le dumping social entamé il y a 10 ans (les salaires allemands sont gelés, 6 millions d'employés sont payés à moins de 5 euros de l'heure) lui permettent de se maintenir jusqu'alors dans la compétition mondiale. Situation enviable qui ne durera pas obligatoirement très longtemps au vu des problèmes sociaux générés par cette politique économique qui paupérise une partie non négligeable de la population allemande.
Plus dure sera la chute ?
Ce que certains refusent d'appeler la guerre des monnaies est pourtant bien en train de se jouer : Etats-Unis, Russie, Japon, Chine, Honk-Kong, Singapour dévaluent leur monnaie au grand dam des pays européens qui voient leur commerce extérieur chuter sans fin, la croissance stagner, le chômage augmenter.
Avec un problème majeur qui ne tardera pas à survenir dans cette course à la dévaluation et qui peut légitimement inquiéter : les afflux de liquidités dans les économies des pays émergents pourrait créer une trop forte appréciation de leur devise qui influerait alors directement sur leur compétitivité à l'exportation. Au final, l'économie mondiale pourrait subir un contrecoup très inquiétant de la guerre des monnaies en cours : si les dévaluations se généralisent, leurs effets peuvent s'inverser et créer une hyper inflation mondiale. L'explosion des prix qui s'en suivrait sur la planète pourrait mener à des tensions entre pays concurrents, mais aussi des conflits sociaux très importants : la recette à la sortie de crise ne semble pas encore trouvée…