Crise en Corée du Sud : qui protège Yoon Suk Yeol, le président déchu ?

Après plusieurs heures de confrontation vendredi, les enquêteurs sud-coréens ont renoncé à arrêter le président déchu Yoon Suk Yeol protégé par une garde rapprochée de militaires. Qui sont-ils et pourquoi s'opposent-ils aux forces de l'ordre ? 

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Des manifestants demandent l'arrestation du président sud-coréen

Des membres de la Confédération coréenne des syndicats scandent des slogans lors d'un rassemblement exigeant l'arrestation du président destitué Yoon Suk Yeol près de la résidence présidentielle à Séoul, en Corée du Sud, le vendredi 3 janvier 2025. 

AP Photo/Lee ​​Jin-man
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Après plusieurs heures de confrontation, les enquêteurs sud-coréens ont renoncé à arrêter le président déchu Yoon Suk Yeol, qui était sous le coup d'un mandat d'arrêt. Mais quelle est la garde rapprochée à l'origine de cet invraisemblable rebondissement et comment peut-elle défier ainsi les forces de l'ordre ? Éléments de réponse. 

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  • Que s'est-il passé ?

Les enquêteurs disposent à la fois d'un mandat de perquisition et d'un mandat d'arrêt contre Yoon Suk Yeol, le juge leur ayant expressément accordé l'autorisation de perquisitionner dans un lieu sensible, la résidence présidentielle étant classée. Ils ont également été soutenus par des centaines de policiers, qui ont à la fois retenu les partisans du président massés dans la rue et accompagné les enquêteurs à l'intérieur de l'enceinte présidentielle. 

Une fois à l'intérieur, les enquêteurs ont constaté que le Service de sécurité présidentiel (PSS) avait utilisé des minibus et des voitures pour bloquer l'accès à la résidence et, lorsqu'ils ont essayé de continuer, des centaines d'agents du PSS se sont donné la main et ont formé une chaîne humaine pour les arrêter.

  • C'est quoi le Service de sécurité présidentiel ?

Créé en 1963, le PSS est l'équivalent sud-coréen du Secret Service américain. Il est notamment chargé d'assurer la sécurité du chef de l'État. Ses membres sont recrutés au sein de la police, de l'armée et des services de renseignement du pays, et c'est le président qui en choisit les responsables. Son premier chef était Kim Yong-hyun, un ancien camarade d'école de Yoon Suk Yeol, devenu ensuite son ministre de la Défense, actuellement en prison pour son rôle d'instigateur du fiasco de la loi martiale.

Fidèle à son ami d'enfance, il a déclaré cette semaine depuis sa cellule qu'il "lutterait jusqu'au bout pour éradiquer les forces antiétatiques". Selon le journal Kyunghyang Shinmun, Kim Yong-hyun a chargé l'armée de surveiller la résidence présidentielle, et non la police, comme le voulait la tradition. Cette unité a été l'une des premières à affronter les enquêteurs et à les empêcher d'accéder au président. "C'est comme s'il s'attendait à ce que cela se produise", a observé le site coréen d'analyse politique The Blue Roof.

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  • Qui sont ces soldats ?

Le commandement de la défense de la capitale est une unité militaire d'élite qui aurait pour mission de protéger Séoul d'une incursion nord-coréenne. Vendredi, les soldats sont devenus la première ligne de défense contre les enquêteurs, ont rapporté les médias locaux. "Il s'agit d'une unité similaire à la Garde du Roi du Royaume-Uni", a précisé à l'AFP Kim Ki-ho, un ancien colonel de l'armée. "Les forces militaires qui protègent la capitale sont chargées de sécuriser le périmètre de la résidence présidentielle", a-t-il ajouté.

Il s'agit d'une unité similaire à la Garde du Roi du Royaume-UniKim Ki-ho, ancien colonel de l'armée

Et comme l'unité opère sous le commandement du PSS, "du point de vue de l'armée, il y a une chaîne de commandement stricte". Par conséquent, les militaires auraient dû obéir au service de sécurité plutôt qu'à la police qui leur demandait de respecter les enquêteurs et leur mandat. "S'ils reçoivent l'ordre de fournir une protection, ils n'ont pas d'autre choix que de s'y conformer", selon Kim Ki-ho.

  • Pourquoi font-ils cela ?

"Comme beaucoup d'autres unités de l'armée et des services de sécurité, ils ont une forte éthique ultra-conservatrice", commente Vladimir Tikhonov, spécialiste de la Corée à l'université d'Oslo. La base de Yoon est constituée d'"ultra-conservateurs purs et durs", ajoute-t-il, y compris les personnalités d'extrême droite sur YouTube et les pasteurs chrétiens évangéliques qui ont manifesté devant la résidence. Mais ses partisans comprennent également "de nombreuses personnes parmi les militaires professionnels et le personnel des services de sécurité. C'est dangereux", poursuit Vladimir Tikhonov.

Le PSS a lui-même une histoire mouvementée, liée au passé autoritaire de la Corée du Sud. Au sommet de son pouvoir sous les régimes militaires des années 1970, il a exercé un pouvoir énorme sur le président de l'époque, Park Chung Hee. Sa force a même été un facteur dans une lutte de pouvoir interne qui a culminé avec l'assassinat de Park Chung Hee par son chef des services de renseignement en 1979. Après cela, les prérogatives du PSS ont été largement amoindries, mais la loi sur la sécurité présidentielle lui accorde toujours des pouvoirs considérables, lui permettant, par exemple, de prendre toutes les mesures qu'il juge nécessaires pour sécuriser le lieu où se trouve le président.

  • Est-ce autorisé ?

Vendredi, le PSS a invoqué les pouvoirs étendus que lui confère la loi sur la sécurité présidentielle pour bloquer les enquêteurs, mais les experts s'interrogent sur la légalité de cette mesure.

Les groupes civiques et les responsables politiques de l'opposition ont immédiatement déposé des plaintes pénales contre le chef du PSS, Park Jong-jun, l'accusant d'entrave à la justice. Park Chung Hee et ses subordonnés "ont commis un acte totalement illégal et peuvent être sanctionnés pour entrave aux fonctions officielles", a déclaré à l'AFP Lim Ji-bong, professeur de droit constitutionnel à l'université de Sokang. En tant que chef du PSS, Park Chung Hee pourrait également être jugé pour "abus de pouvoir".

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