Crise migratoire : que propose Bruxelles dans son plan d'urgence d'aide à l'Italie ?

Ursula von der Leyen a présenté dimanche sur la petite île italienne de Lampedusa un plan d'urgence pour aider Rome à gérer les flux migratoires en provenance de l'Afrique du Nord et appelé les partenaires européens de la péninsule à la solidarité.

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Des migrants attendent d'être transférés de l'île de Lampedusa, en Italie, le vendredi 15 septembre 2023. 

AP / Valeria Ferraro
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Après avoir visité le centre d'accueil pour migrants de l'île de Lampedusa avec la cheffe du gouvernement italien Giorgia Meloni, Ursula von der Leyen a détaillé un plan d'aide en 10 points. Ce plan est destiné à gérer l'urgence, à mieux répartir les demandeurs entre les pays européens, faciliter les retours, et à prévenir la répétition d'épisodes d'arrivées massives, qui mettent sous forte tension les capacités logistiques et administratives de l'Italie.

Lampedusa en première ligne

Située à moins de 150 km du littoral tunisien, Lampedusa est l'un des premiers points d'escale pour les migrants qui franchissent la Méditerranée en espérant gagner l'Europe. Chaque année pendant l'été, ils sont des dizaines de milliers à prendre la mer sur des embarcations de fortune. 

Un total de plus de 127.000 migrants ont débarqué sur les côtes italiennes depuis le début de l'année, près du double par rapport à la même période en 2022.  

Ce plan est censé conjuguer fermeté à l'encontre des passeurs et facilitation des voies légales d'entrée dans l'espace européen pour les candidats éligibles à l'asile. À court et moyen terme, les partenaires européens de l'Italie, premier pays d'entrée dans l'UE sur cette route migratoire, doivent prendre leur part, a estimé la présidente de la Commission européenne. 

Parmi les mesures annoncées on peut noter la facilitation des transferts de migrants hors de Lampedusa mais aussi une volonté affichée de renforcer la politique de retour et la prévention des départs.

(Re)lire : Immigration : après la Tunisie, l'Union européenne viserait des partenariats migratoires avec l'Egypte et le Maroc

Le plan appelle notamment à l'application du protocole d'accords UE-Tunisie destiné à faire baisser les arrivées de migrants de ce pays d'où s'embarquent l'immense majorité des personnes arrivées à Lampedusa, et qui prévoit une aide de plusieurs centaines de millions d'euros pour ce pays nord-africain confronté à de graves difficultés économiques.

C'est l'avenir que l'Europe veut se donner qui se joue ici Giorgia Meloni, cheffe du gouvernement italien

"L'immigration irrégulière est un défi européen qui a besoin d'une réponse européenne", a-t-elle martelé lors d'un point presse. "Nous exhortons les autres États membres à utiliser le mécanisme de solidarité volontaire", a-t-elle dit, sans mentionner l'Allemagne qui a récemment décidé de ne plus recevoir de migrants arrivés en Italie.

"C'est l'avenir que l'Europe veut se donner qui se joue ici", a pour sa part déclaré Giorgia Meloni, "car l'avenir de l'Europe dépend de sa capacité à affronter les grands défis", parmi lesquels l'immigration, a-t-elle estimé.

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La cheffe du gouvernement italien reproche à ses partenaires européens de manque de solidarité envers l'Italie, qui a accueilli sur son territoire près de 130 000 migrants depuis le début de l'année.

Habitants excédés 

Les deux dirigeantes se sont retrouvées dimanche matin sur cette petite île méditerranéenne sous tension, où des milliers de migrants sont arrivés cette semaine. Des habitants mécontents de ces arrivées massives ont accueilli les officiels à l'aéroport, menaçant de bloquer leur cortège.

Nous en avons assez que l'île serve de tribune Un habitant de Lampedusa à Georgia Meloni

"Nous en avons assez que l'île serve de tribune" aux responsables politiques sans que leurs visites soient suivies d'effet, a lancé un pêcheur à Giorgia Meloni. "Nous faisons tout notre possible", leur a répondu Mme Meloni, ajoutant : "Comme d'habitude, je prends personnellement la responsabilité".

(Re)lire → Migrants : le marché juteux des passeurs en Méditerranée

La Croix-Rouge italienne (CRI) qui gère le "hot spot" (centre d'accueil, NDLR) de Lampedusa a indiqué dimanche que 1 500 migrants s'y trouvaient encore, pour une capacité de 400 personnes. Les transferts vers la Sicile et le continent, mis en place ces derniers jours, ne compensent en effet pas complètement les nouvelles arrivées.

Les grands navires des ONG, comme le Geo Barrents de Médecins sans frontières (MSF), qui a secouru près de 500 migrants dans le cadre de 11 opérations, sont dirigés vers de grands port italiens.

Mais des dizaines de petites embarcations poursuivent leur traversée de la Méditerranée et arrivent directement à Lampedusa où le système de gestion des migrants s'est retrouvé au bord de l'asphyxie cette semaine.

Intense activité diplomatique 

Entre lundi et mercredi, environ 8 500 personnes, soit plus que l'ensemble de la population de Lampedusa, sont arrivées à bord de 199 bateaux, selon les chiffres de l'agence des Nations unies pour les migrations.

(Re)voir → Italie : Lampedusa fait face à un afflux record de migrants

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Cette crise migratoire fait depuis trois jours l'objet d'une intense activité diplomatique. Les ministres de l'Intérieur français, italien et allemand se sont entretenus à au moins deux reprises cette semaine.

Le ministre français Gérald Darmanin va se rendre en Italie "dans les prochains jours", sont convenus samedi Georgia Meloni et le président français Emmanuel Macron, promettant de "renforcer la coopération au niveau européen", selon Paris.

Le président du Conseil européen Charles Michel a fait savoir dimanche que la question de l'immigration serait au menu de deux sommets prévus en octobre, et le chef de la diplomatie italienne, Antonio Tajani, a dit son intention de l'imposer à l'ordre du jour de l'Assemblée générale des Nations unies la semaine prochaine à New York.

En visite dimanche dans le fief de son allié italien Matteo Salvini à Pontida (nord), Marine Le Pen, cheffe de file de l'extrême droite française, a appelé à la "défense de nos peuples face à la submersion migratoire".

(Re)lire → Migrations : en Méditerranée centrale, les "catastrophes" prospèrent sur la paralysie politique

Le plan présenté par Ursula von der Leyen en 10 points : 
 
1. Renforcer le soutien apporté à l'Italie par l'Agence de l'Union européenne pour l'asile (AUEA) et l'Agence européenne des garde-frontières et garde-côtes (Frontex) pour gérer le nombre élevé de migrants et assurer l'enregistrement des arrivées, la prise des empreintes digitales, les entretiens et l'orientation vers les autorités compétentes.
 
2. Soutenir le transfert de personnes hors de Lampedusa, y compris vers d'autres États membres, en utilisant le mécanisme de solidarité volontaire et en accordant une attention particulière aux mineurs non accompagnés et aux femmes.
 
3. Augmenter le nombre de retours en menant une action de sensibilisation renouvelée et concertée auprès des principaux pays d'origine des nouveaux arrivants, à savoir la Guinée, la Côte d'Ivoire, le Sénégal et le Burkina Faso, afin d'améliorer la coopération et de faciliter la réadmission; et accroître le soutien de Frontex, notamment en ce qui concerne la formation et le renforcement des capacités, afin d'assurer la mise en œuvre rapide des retours.
 
4. Soutenir la prévention des départs en établissant des partenariats opérationnels en matière de lutte contre les filières [de l'immigration illégale] avec les pays d'origine et de transit. Cela inclut la possibilité d'un accord de travail entre la Tunisie et Frontex, et une task force de coordination au sein d'Europol pour se concentrer sur la lutte contre les filières le long de la route vers la Tunisie et en direction de Lampedusa.
 
5. Renforcer la surveillance des frontières en mer et la surveillance aérienne, notamment par l'intermédiaire de Frontex, et étudier les possibilités d'étendre les missions navales en Méditerranée. En outre, nous accélérerons la fourniture d'équipements et renforcerons la formation des garde-côtes tunisiens et des autres autorités.
 
6.  Prendre des mesures pour limiter l'utilisation de navires qui ne sont pas en état de naviguer et agir contre les chaînes d'approvisionnement et la logistique des passeurs; et veiller à la mise hors service des bateaux et canots pneumatiques récupérés.
 
7. Accroître le soutien apporté par l'Agence de l'Union européenne pour l'asile (AUEA) à l'application de procédures rapides aux frontières et de procédures accélérées, y compris l'utilisation du concept de pays d'origine sûr, le rejet des demandes manifestement infondées, la délivrance d'interdictions d'entrée et leur enregistrement dans le système d'information Schengen (SIS).
 
8. Intensifier les campagnes de sensibilisation et de communication pour décourager les traversées de la Méditerranée, tout en continuant à proposer des alternatives telles que l'admission humanitaire et les voies légales [d'entrée dans l'espace européen].
 
9. Intensifier la coopération avec le HCR et l'OIM afin d'adopter une approche globale fondée sur les itinéraires pour assurer la protection le long de l'itinéraire et accroître les retours volontaires assistés depuis les pays de transit.
 
10. Mettre en œuvre le protocole d'accords UE-Tunisie (destiné à faire baisser les arrivées de migrants de ce pays d'où s'embarquent l'immense majorité des personnes arrivées à Lampedusa, et qui prévoit une aide de plusieurs centaines de millions d'euros pour ce pays nord-africain confronté à de graves difficultés économiques, NDLR). Et donner la priorité aux actions ayant un impact immédiat pour remédier à la situation actuelle et accélérer la passation de contrats pour de nouveaux projets dans ce cadre.