Fil d'Ariane
La crise sanitaire va t-elle faire place à la crise financière ? Le Fonds monétaire international (FMI), prévient que celle-ci pourrait être pire qu’en 2008. En France, 45 milliards d’euros ont été affectés pour protéger les emplois et 300 milliards d’euros sous forme de prêts sont à disposition des entreprises en difficulté. Mais pour l’économiste Edouard Tetreau, conseiller en analyse financière, sans relance immédiate de l’économie française, le pays court à la catastrophe.
Comment qualifieriez-vous l’état général de l’économie française à l’aune de la crise sanitaire ?
Le confinement a vu la mise sous cloche de l’économie, plus que dans d’autres pays, notamment ceux d’Europe du Nord. C’est une économie en apesanteur à la fois chloroformée par la crise et sous morphine avec le dispositif du chômage partiel.
La France a effectivement fait le choix des prêts garantis aux entreprises et du chômage partiel pour préserver les emplois. Que pensez-vous de cette stratégie ?
Il faut s’en réjouir pour les salariés concernés, mais nous n’avons pas fait dans la nuance. Près de 12 millions de salariés au chômage partiel (11,7 millions au 4 mai 2020, selon la ministre du Travail Murielle Pénicaud, ndlr), c’est un effort de finance publique monstrueux ! Il faut s'interroger sur l’inégalité que cela crée entre les bénéficiaires, déjà les plus protégés par le système (dont de très hauts revenus) et d’autres catégories d’acteurs stratégiques de l’économie française comme les agriculteurs, les indépendants, les commerçants, les restaurateurs, qui n’ont pas eu droit au même niveau de protection et qui vont faire face à des fermetures d’entreprises. C’est une stratégie qui ne peut être payante qu’à condition que l’argent massivement affecté soit réinjecté très vite dans l’économie sous forme d’investissement et de consommation des ménages.
Est-ce un pari risqué comme l’affirme le journal américain New York Times ?
Oui car maintenant il faut un retour sur investissement massif de tous les contribuables français. Sans cela, on aura temporairement garanti des niveaux de rémunération quasi plein (84% du salaire net, ndlr), mais ça n’empêchera pas de futures faillites et une explosion du chômage (le gouvernement annonce une récession à venir de 11%, ndlr).Justement, fin mars, le nombre de demandeurs d'emploi s'établissait à 3,732 millions de Français. Et le 28 mai, Edouard Philippe annonçait 800 000 nouveaux inscrits au Pôle Emploi…
Encore une fois, nous avons beaucoup de chance d’être en France plutôt qu’ailleurs. Aux Etats-Unis, ce sont maintenant plus de 33 millions de personnes qui se sont inscrites au chômage depuis le début de la crise (sur plus de 156 millions d’actifs, ndlr), avec des allocations microscopiques comparées aux nôtres. On ne s’en sortira pas sans une mobilisation générale contre l’inactivité. La priorité c’est de remettre les professeurs au travail parce qu’en rouvrant les classes, les parents peuvent retourner au travail. Et puis entre le décrochage scolaire et la désociabilisation, il faut penser à la génération que nous préparons. C’est terrible de passer deux mois sans voir ses amis ni ses professeurs… A ce propos, une étude parue dans la revue the Lancet estime que les conséquences financières de cette crise pourraient entraîner le décès de 1 157 000 d'enfants vulnérables dans le monde.L’Insee annonce une chute du PIB de 5,8% au premier trimestre 2020 et le ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin, a indiqué que la dette atteindra un ratio dette sur PIB de 115%. Est-elle soutenable ?
C’est une dette tout à fait soutenable à condition de créer de la richesse. Quand un ménage s’endette pour acheter un appartement, ce n’est pas un problème s’il a des revenus suffisants. Eh bien c’est la même chose pour un pays. Le problème c’est qu’en France, tous les indicateurs sont au rouge en termes de dépenses publiques par rapport aux richesses produites. Notre économie dépend beaucoup trop de la dépense publique et pas assez du secteur marchand. Avec ce type d’économies, qu’on appelle “du Sud” (Grèce, Italie, Espagne…), il est plus difficile de créer des emplois.Plan de relance pour l’automobile, plan en faveur des collectivités territoriales… D’où vient cet argent ? Et surtout, qui va payer la facture ?
C’est la vraie question. On a l’impression que cet argent vient de nulle part, qu’on va pouvoir produire du déficit et lever de l’argent public à volonté sans conséquences. Ce n’est pas vrai. Historiquement, il existe trois arbitrages : augmenter les impôts, diminuer les prestations du service public (quand on voit le délabrement de l’hôpital public, des forces de l’ordre ou de l’école, il est impossible de leur taper encore dessus sans mettre en danger les fondements même de notre société), ou faire marcher la planche à billets en injectant des liquidités avec augmentation de notre dette et risque d’inflation.Combien de temps faudra t-il à l’économie pour redémarrer ?
L’économie, ce n’est pas mécanique, c’est vraiment une question de confiance. Quand les agents reprendront confiance, ils recommenceront à consommer et à faire des projets. Tout va dépendre de la capacité de l’exécutif à inspirer cette confiance aux Français...
Une confiance mise à mal par une gestion contestée de la crise…
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Notre dépendance à la Chine (médicaments, masques...), a suscité de vives critiques envers la mondialisation, dont certains annoncent la fin. Le monde d’après sera t-il celui des relocalisations et de la déglobalisation ?
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Le 29 mai, l’Elysée a lancé une «commission d’experts sur les grands défis économiques» autour de trois grands thèmes : climat, inégalités et vieillissement. Leur rapport sera rendu en décembre prochain. Cette initiative vous paraît-elle pertinente ?
Il y a une déconnexion avec les réalités concrètes et l’urgence de la situation. Le grand plan de relance est annoncé pour septembre, ce qui est déjà trop tard pour l’économie française ! Mais alors des propositions de macro-économistes et de prix Nobel, en décembre sur le climat, les inégalités et le vieillissement, n’en parlons pas ! On aura une magnifique copie kantienne à la française, mais qui ne servira à rien parce qu'à ce moment-là nous aurons au bas mot, 2 millions de chômeurs de plus, une récession du PIB à deux chiffres et nous nous poserons des questions autrement plus sérieuses et immédiates que des concepts académiques. Ce qu’il faut, ce sont des recommandations concrètes de chefs d’entreprise, de dirigeants syndicaux et associatifs, en d’autres termes, des acteurs de terrain, pour faire repartir immédiatement le pays.