Crise russo-ukrainienne : assiste-t-on vraiment à la fin des manœuvres russes ?

Image
Images aérienne des forces militaires russes
Près de 120 000 militaires russes sont toujours massés à la frontière ukrainienne ce mercredi 16 février.
​Images satellites des troupes russes à frontière ukrainienne par une entreprise privée américaine.
Partager5 minutes de lecture
Moscou ordonne le retour des soldats mobilisés près de la frontière ukrainienne mardi 15 février. Un signe de détente mais pas encore de preuve concrète d'un départ de ces dizaines de milliers de militaires. Selon l'Otan, l'armée russe continue d’acheminer du matériel lourd à la frontière ukrainienne. Comment interpréter l’annonce du retrait des troupes russes ? 

Que se passe-t-il dans la tête de Vladimir Poutine ? La question obsède les Occidentaux. Et pour cause, près de 120 000 soldats russes sont massés à la frontière ukrainienne, faisant craindre une invasion imminente dans le pays. Officiellement, pour la Russie, il n’a jamais été question d’envahir l’Ukraine et les soldats sont mobilisés dans le cadre d'exercices militaires “planifiées.” Les Occidentaux se feraient des frayeurs pour rien.  Y compris au sujet des grandes manoeuvres russo-biélorusses en Biélorussie près de la frontière nord de l'Ukraine.

D’ailleurs, le ministère de la Défense russe annonçait ce lundi 14 février des signes de détente affirmant que la voie diplomatique était toujours privilégiée. Le lendemain, le porte-parole de la présidence russe, Dmitri Peskov, déclarait la fin des exercices de manœuvres et le retrait des troupes massées à la frontière. "Nous avons toujours dit qu'après l'achèvement des exercices, (...) les troupes retourneraient dans leurs garnisons d'origine. C'est ce qui se passe là, c'est le processus habituel", s'est-il exprimé.

Un signe de désescalade ? 

Peut-on y voir un signe de désescalade ? Il est trop tôt pour le dire, selon Isabelle Facon, chercheuse à la Fondation pour la recherche stratégique et spécialiste des politiques de sécurité et de défense russes. "Pour l’instant on ne peut pas dire qu’il y a un vrai dégonflement de la présence militaire russe à la frontière avec l’Ukraine", rappelle-t-elle. 

(Re)voir : Ukraine-Russie : vers la désescalade ?

TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...

C’est même pire, selon les déclarations du 16 février de Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’Otan. "Nous n’avons constaté aucun signe de désescalade sur le terrain", déclare-t-il. "Au contraire, il apparaît que la Russie continue de renforcer sa présence militaire et peut encore envahir l'Ukraine sans préavis, les capacités sont en place."  

À (re)lire : En direct : selon l'OTAN la Russie continue de renforcer sa présence militaire malgré des annonces de retrait

Quoi qu’il en soit, "les quelques 120 000 hommes à la frontière ne sont pas là pour rien", rappelle Isabelle Facon. Les objectifs stratégiques militaire de la Russie sont connus. "C’est surtout une façon de rappeler que la question des accords de Minsk (2014-2015), (ndlr. qui visent à mettre fin à la guerre en Ukraine orientale), est toujours au menu", détaille-t-elle. Le Kremlin exige aussi que l’Ukraine ne soit pas intégrée à l’Otan et formule des demandes concernant l’”ordre de sécurité européen”. Si désescalade il y a, la Russie n’est pas prête à abandonner ces objectifs pour autant. 

Une stratégie russe qui porte ses fruits ? 

Une fin de manœuvres aujourd’hui ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de coup de pression militaire sur ces questions stratégiques demain. Peut-être aussi que les enjeux de la Russie dans la région sont autres. "La Russie promet des réponses militaires ou militaro-techniques si ses demandes ne sont pas satisfaites, il peut y avoir d’autres options qu’une attaque contre l’Ukraine – l’installation d’une présence militaire en Biélorussie, le déploiement de missiles supplémentaires à Kaliningrad ou sur la péninsule de Crimée ", explique Isabelle Facon. 

Jusqu’ici, la Biélorussie a plutôt résisté à toute présence militaire russe sur son sol. "Aujourd’hui, pour des raisons politiques, elle a peut-être moins de marge de manœuvre.

CARTE UKRAINE

La stratégie des Russes semble tourner à leur avantage. Ces démonstrations de force permettent à Vladimir Poutine d’ouvrir un terrain de discussions jusqu’alors fermé côté occidental. Aujourd’hui, les États-Unis et l’Otan sont prêts à parler, sans pour autant céder à toutes les revendications russes. "La Russie va certainement faire valoir que les Occidentaux acceptent enfin de parler de l’architecture de sécurité européenne", mentionne la chercheuse Isabelle Facon. 

Mais personne côté occidental n’a dit à l'Ukraine : "on va venir vous soutenir militairement"

Isabelle Facon, chercheuse à la Fondation pour la recherche stratégique

La crise en cours montre aussi à l’Ukraine les limites du soutien occidental. "Il y a eu du matériel militaire envoyé et un soutien politique affiché sur l’intégrité territoriale. Il a été dit qu’en cas d’attaque, l’Otan renforcerait la protection des alliés de l’Est", explique Isabelle Facon. "Mais personne côté occidental n’a dit à l'Ukraine : "on va venir vous soutenir militairement", nuance-t-elle. 

À (re)voir : Ukraine : Joe Biden annonce l'envoi de troupes, Macron et Poutine visent la désescalade

TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...

Pourtant, beaucoup d’efforts ont été faits pour afficher un front uni. Mais la Russie considère que "l’Otan est une alliance forte militairement mais assez faible sur le plan politique car divisée", explique la chercheuse. C’est moins vrai côté russe qui a beaucoup investi ces dernières années pour rénover ses outils militaires. 

Au cours des dix dernières années, la Russie a beaucoup appuyé sa politique étrangère sur la mise en valeur de son outil militaire.

Isabelle Facon, chercheuse à la Fondation pour la recherche stratégique

Une méthode appliquée depuis une dizaine d'années

Les méthodes militaires du Kremlin ne sont pas nouvelles. "Au cours des dix dernières années, la Russie a beaucoup appuyé sa politique étrangère sur la mise en valeur de son outil militaire", rappelle Isabelle Facon. Intervention en Syrie, annexion de la Crimée ou démonstrations de force dans les zones de contact avec l’Otan, etc. Vladimir Poutine n’hésite pas à mettre ses forces armées et ses innovations militaires sur le devant la scène. "On ne peut pas comparer toutes les situations mais on observe une tendance de fond. Cependant la Russie mise aussi sur d’autres outils, comme des actions dans le cyberespace et les sociétés militaires dites "privées" mais qui ne le sont pas tellement", rappelle Isabelle Facon. 

russie manoeuvre frontière
La Russie a massé près de 100.000 soldats à proximité de la frontière avec l'Ukraine et multiplie les exercices militaires impliquant des véhicules blindés, comme le 26 janvier dans la région de Rostov. 
Russian Defense Ministry Press Service via AP

Historiquement, la Russie a d’ailleurs toujours misé sur les instruments militaires. C’est une de ses pièces maîtresses. "Peut-être que sur d’autres domaines, économique, technologique ou démographique, elle fait moins figure de puissance", explique la chercheuse Isabelle Facon. 

Impossible donc de savoir à l’heure actuelle si l'annonce du retrait des troupes à la frontière est signe de désescalade. La vraie échéance sera le 20 février, date prévue de la fin des très importantes manœuvres conjointes de la Russie et la Biélorussie à la frontière ukrainienne.