Crise sociale : y aura-t-il un printemps européen ?

Les résultats de l'élection italienne résonnent comme un coup de tonnerre pour les promoteurs des politiques européennes d'austérité, alors que la pauvreté explose en Grèce, en Espagne ou au Portugal. L'Union Européenne semble pourtant sourde face à une crise sociale et politique de grande ampleur qui pourrait exploser dans les mois qui viennent.
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Crise sociale : y aura-t-il un printemps européen ?
En Espagne, une manifestation contre les mesures d'austérité du gouvernement Rajoy - AFP.
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Les chiffres d'Eurostat du mois de décembre dernier sont sans appel : un quart des européens sont menacés de pauvreté ou d'exclusion sociale et les 25 millions de chômeurs de l'Union ne sont pas là pour rassurer sur l'état économique et social du vieux continent. En Grèce, où désormais 25% de la population en âge de travailler est sans emploi (51% chez les jeunes de 15 à 24 ans), les problèmes de chauffage se cumulent aux difficultés quotidiennes pour se…nourrir. La grève générale du 20 février dernier à Athènes, appelant à stopper les réformes d'austérité budgétaire n'a pas eu l'air d'inquiéter le gouvernement conservateur qui justifie son action par les demandes émanant de Bruxelles, et plus particulièrement celles des responsables politiques Allemands. L'Espagne est logée à la même enseigne que la Grèce : 27% de chômage, des coupes drastiques dans les budgets sociaux, des manifestations de plus en plus violentes de la part d'une classe moyenne espagnole paupérisée qui ne supporte plus le joug de Bruxelles et n'arrive plus à joindre les deux bouts. Portugal, Bulgarie, Italie : les politiques d'austérité sont contestées dans la rue ou dans les urnes et la grogne sociale ne semble pas prête de diminuer, mais au contraire s'amplifie.
La troïka contestée
C'est avant tout la politique dictée par la troïka (Banque Centrale, FMI et Union européenne) aux gouvernements nationaux, contre la volonté des peuples qui est de plus en plus contestée : les effets de l'austérité sont désormais parfaitement connus, et si ils peuvent faire baisser un peu les taux d'intérêts des emprunts sur les marchés financiers, ils plongent les pays de la zone euro dans la pire des récessions. Les espoirs de nombreux peuples avec l'élection de François Hollande pour contrer la politique de la seule rigueur d'Angela Merkel ont vite été déçus : le chef d'Etat français applique la politique dictée par Berlin et Bruxelles, et malgré ses tentatives pour vendre une rigueur faite de relance économique en trompe l'œil, personne n'est dupe. La crise économique est désormais sociale et politique et l'inquiétude d'une montée des partis les plus populistes ou de mouvements sociaux violents voit le jour au sein des classes politiques européennes traditionnelles. L'Union européenne peut-elle tenir encore longtemps dans ce contexte ? L'élite dirigeante visiblement sourde aux contestations des citoyens, uniquement engagée dans une politique soumise aux marchés financiers est-t-elle en train de créer les conditions d'un "printemps européen" ?

Entretien : Bernard Cassen

Journaliste, co-fondateur et Président d'honneur de l'organisation altermondialiste Attac-France.

27.02.2013Propos recueillis par P.H.
Entretien : Bernard Cassen
Bernard Cassen, Président d'honneur d'ATTAC, journaliste et ancien directeur du Monde DIplomatique
La détresse des populations grecques, espagnoles, portugaises, et même italiennes, face à ces politiques d'austérité est avérée et prend des proportions inquiétantes : cela peut-il encore durer, selon vous ? Les dirigeants politiques peuvent-ils encore continuer à aller contre leurs peuples ? Je crois que le grand sujet d'inquiétude des dirigeants politiques est justement "jusqu'où ne pas aller trop loin" : ils testent en quelque sorte la capacité de résistance des peuples. Mais le problème est qu'ils [les dirigeants politiques] ne savent pas où aller ailleurs. Ils voient bien que le logiciel qu'ils utilisent ne fonctionne pas, mais ils sont incapables d'en changer, parce que cela signifie tout changer et cela représente une autre politique monétaire, une autre Europe, et pour eux c'est un saut dans l'inconnu. Il faudrait des femmes ou des hommes d'une trempe qui n'existe pas dans le personnel politique, du moins jusqu'à ce jour. Il y a une tétanisation des dirigeants, parce que la colère gronde, et ils voient que ce qu'ils font ne marche pas mais ils ne savent pas quoi faire d'autre. L'Allemagne a-t-elle une responsabilité particulière dans l'imposition de cette politique uniquement centrée sur la réduction des déficits ? Oui, bien sûr qu'elle a une responsabilité importante. Les différents gouvernements allemands développent des politiques qui bénéficient à l'Allemagne et seulement à l'Allemagne. Ils imposent aux autres, notamment grâce à la BCE, des politiques qui ne  conviennent pas ces autres pays. Un expert de la Deutsche Bank disait récemment que l'Allemagne peut très bien s'en tirer avec un Euro à 1,71 $, c'est son seuil de douleur, mais pour la France c'est 1,34 $ et 1,14 $ pour l'Italie. Par définition une politique monétaire ne peut pas convenir à tout le monde à la fois. On ne peut pas dévaluer une monnaie unique, alors on dévalue par d'autres biais, c'est ce qu'a fait Schröder en forçant à la stagnation des salaires, ce qui équivaut à une dévaluation ! Les partis dits populistes, souverainistes et anti-européens se frottent les mains en ce moment, comme en Italie : sont-ils à craindre ? Je ne suis pas d'accord avec cette terminologie de populiste qui stigmatise en réalité la démocratie, puisque le populisme c'est le peuple. Les Italiens ont exprimé leur colère avec les outils qui étaient à leur disposition : le "Peuple de la Liberté" (parti de Berlusconi, NDLR) et le "Mouvement Cinq étoiles" (Parti de l'ex-comique Beppe Grillo, NDLR). Ce qui compte c'est moins le vecteur de cette contestation que les causes de cette contestation. Et là je crains que les dirigeants de l'Union européenne ne se rendent compte que c'est une contestation contre l'Europe et qui aboutisse à l'inverse des buts recherchés puisque les traités parlent de lien entre les peuples et là, c'est un rejet, avec une Allemagne qui fait l'unanimité contre elle. Donc c'est une catastrophe générale. Si ces politiques d'austérité ne sont pas une bonne solution, quelles sont les alternatives ? Au plan théorique on pourrait imaginer que se fasse au niveau de l'Union européenne ce qu'a fait l'Allemagne avec la RDA, mais avec un coût astronomique : un budget fédéral européen qui représenterait 10 ou 15% du PIB de l'Allemagne, avec des transferts massifs vers les autres pays pour les mettre à peu près au même niveau. Mais ce modèle n'est pas applicable en réalité à l'Europe, le budget européen est de 1% du PIB de l'Union. Il faudrait alors faire tourner la planche à billets, comme le font les USA avec la FED, ou au Royaume-Uni avec la banque d'Angleterre… au Japon aussi. La sortie de l'Euro de certains pays en trop grande difficulté est-elle envisageable ? J'ai la conviction que la construction de l'Euro n'est pas tenable. Il y a un vis de forme inaugural. C'est le type même de la fausse bonne idée. On avait un marché unique, alors on a dit "on fait une monnaie unique". Mais par définition, une politique monétaire ne peut pas convenir à tout le monde comme je le disais auparavant. Ce qu'il aurait fallu faire, et certains politiques soutenaient cette approche, c'était de créer non pas une monnaie unique mais une monnaie commune, convertible, mais en gardant alors les monnaies nationales avec des dévaluations, etc… La Grèce ne pourra jamais rembourser ses dettes. C'est 2% du PIB de la zone Euro, mais avec l'Espagne ou l'Italie c'est autre chose. Certains pourraient être forcés à sortir de l'Euro, c'est certain. Pour finir, un "printemps européen" est évoqué, face à une Union européenne aveugle et sourde, qui refuserait d'entendre la souffrance que ses politiques infligent aux populations : qu'en pensez-vous ? Je me garde de tout pronostic, mais les conditions sont réunies pour une explosion, et ce qu'il s'est passé en Italie va faire réfléchir pas seulement les dirigeants mais aussi les mouvements sociaux et les peuples. Donc ces élections italiennes sont un signal d'alarme que les dirigeants auraient tort de négliger.