Cybercensure : qui sont les pays ennemis d'Internet ?

À l'occasion de la journée mondiale contre la cyber-censure, Reporters sans frontières publie sa nouvelle liste des pays ennemis d'Internet. Etat des lieux de la liberté d'information en ligne avec Lucie Morillon, responsable du bureau Nouveaux Médias à RSF.
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Cybercensure : qui sont les pays ennemis d'Internet ?
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« La solidarité entre les net-citoyens me rend optimiste »

« La solidarité entre les net-citoyens me rend optimiste »
La Tunisie et l'Egypte ont quitté le camp des ennemis du web mais restent sous surveillance.. En Tunisie, avant la révolution, le système de censure était très strict : c'était l'un des pays les plus répressifs du monde envers le web. Avec la chute du régime de Ben Ali, cette censure a cessé progressivement. Depuis quelques semaines le web n'est plus du tout censuré en Tunisie, et puis il n'y a plus cette chasse au net-citoyen qui existait sous Ben Ali. Mais les infrastructures qui permettait la censure du net sont toujours en place, d'où l'importance d'assurer ce démantèlement en toute transparence. J'ai discuté notamment avec Slim Amamou, le blogueur devenu secrétaire d'Etat, qui m'a assuré que cela semblait aller dans le bon sens. L'Egypte, elle, n'a filtré le web que très récemment, pendant les manifestations. En revanche, il y avait un harcèlement continu et des arrestations régulières de blogueurs et de net-citoyens. Ca a l'air d'être terminé, mais on ne sait pas encore ce qui va se passer. Certains blogueurs égyptiens sont encore inquiets, car ils ne savent pas s'ils sont encore sous surveillance. Là encore, il faut que cet appareil de surveillance mis en place sous Moubarak soit démantelé en toute transparence. Nouveau pays arabe à entrer dans votre liste, la Libye. Nous avons hésité pour la Libye entre la catégorie « ennemi » et la catégorie « sous surveillance ». J'ai bouclé le rapport il y a une semaine et nous ne savions pas du tout ce qui allait se passer avec le régime Kadhafi. Nous ne sommes pas à l'abri d'un changement de régime dans les semaines ou mois à venir. Si Kadhafi reste en place, le pays passera sûrement dans la catégorie supérieure. On a voulu tirer la sonnette d'alarme sans faire de catastrophisme non plus. Le Venezuela entre également dans la liste. Pourquoi ? Le pays a adopté une loi « bâillon » pour Internet en décembre 2010. Son but est de renforcer le contrôle et la surveillance du web en mettant en place un filtrage selon certains critères. La plupart sont louables mais d'autres sont tellement larges que nous estimons qu'ils constituent une menace pour la liberté d'expression, surtout quand on voit comment Chavez réagit à ceux qui le critiquent publiquement. De plus, l'autocensure s'accentue et les forums de discussions sont dans le collimateur des autorités. Se doter de cet outil législatif dans ce contexte de tension nous semblait suffisament inquiétant pour faire entrer le Vénézuela dans notre liste.
Cybercensure : qui sont les pays ennemis d'Internet ?
Carte des ennemis d'Internet (©RSF)
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On trouve pour la première fois un pays européen ennemi d'Internet, dans la catégorie sous surveillance, la France. Pourquoi ? Plusieurs choses nous ont alertés : les pressions sur les journalistes en ligne et leurs sources lors de l'affaire Bettencourt, et puis deux lois : Hadopi d'abord et le principe de la riposte graduée - lutter contre le téléchargement ilégal est tout à fait honorable mais couper l'accès à Internet, même temporairement, est inacceptable. Pour nous, l'accès au net est un droit fondamental et devrait être reconnu comme tel, en France et à l'international. Ensuite, c'est la LOPPSI 2 qui nous pose problème. L'article 4 pose un filtrage du net décidé par une administration et non un juge, là aussi pour une cause louable - la lutte contre la pédopornographie sur Internet. Mais y aura-t-il d'autres causes à laquelle sera étendu ce filtrage plus tard ? C'est inquiétant pour la liberté d'expression en ligne. Sans compter que le filtrage du net n'est pas forcément la bonne manière de lutter contre la pédopornographie, puisqu'il est facilement contournable. Il y aussi un climat général en France qui nous a inquiétés : une proposition de loi sur la neutralité du net qui vidait à encadrer la LOPPSI 2 a été rejetée par les députés ; lors de la divulgation des câbles diplomatiques par WikiLeaks, les autorités françaises ont voulu empêcher l'hébergement en France du site ; le ministre Eric Besson a fait des déclarations allant à l'encontre de ce principe, pour nous absolu, de la neutralité du net. Adopter des structures législatives potentiellement liberticides pour Internet est aussi un mauvais exemple pour d'autres pays. L'Espagne et le Royaume-Uni préparent des lois similaires mais assorties de garanties judiciaires bien plus satisfaisantes. Les Etats-Unis sont absents de votre liste, alors qu'ils envisagent de lancer des poursuites judiciaires contre Julian Assange... C'est vrai que les belles déclarations d'Hillary Clinton en janvier 2010 tombent un peu à l'eau. Dès qu'il s'agit de sécurité nationale, ces grands principes de liberté d'expression deviennent gênants. Nous avons écrit à Eric Holder et à Barack Obama pour leur dire de ne pas lancer de poursuites car nous considérons que les activités de WikiLeaks sont couvertes par le Premier amendement. Diriez-vous que la Chine est l'ennemi numéro un de l'Internet ? C'est vrai que la Chine a le système de censure le plus sophistiqué au monde, et la plus grande prison pour net-citoyens (77 personnes, NDLR). On serait donc tenté de la sacrer « championne ». Mais il ne faut pas oublier l'Iran, qui a des pratiques liberticides plus subtiles et vicieuses. Les autorités jouent notamment sur la bande passante, en ralentissant la vitesse de connexion dès qu'il y a une manifestation ou un événement contestataire prévu, afin que les gens ne puissent pas poster ou télécharger de vidéos et de photos. Ils sont aussi passés maîtres dans l'art de rediriger des sites d'opposition vers des sites pro-gouvernementaux qui leur ressemblent de manière étrange. En troisième position, je pense au Vietnam, où il y a depuis 2009 des vagues d'arrestation de cybermilitants ainsi que beaucoup de harcèlement au quotidien envers leurs proches et leurs familles. Après le blocage pur et simple du réseau, les gouvernements tentent aujourd'hui de manipuler l'info sur le web... Il existe par exemple des blogueurs « sponsorisés », donc payés par les autorités, soit pour poster des commentaires pro-gouvernementaux, soit pour injecter des fausses informations et discréditer ainsi des cyberdissidents. Ils sont là pour occuper le terrain puisqu'Internet était jusque là plutôt le champ réservé des dissidents et de la société civile. Aujourd'hui les régimes autoritaires ont compris qu'il fallait faire passer leur message et leur propagande, ou bien en payant des gens ou bien en le faisant eux-même : beaucoup de dirigeants et d'officiels ont maintenant leurs propres blogs ou comptes Twitter. Autres outils nouvellement utilisés, les cyberattaques par déni de service ou DDOS, pour faire tomber des sites d'opposition, ou de simples redirections de sites d'opposition vers des sites pro-gouvernementaux. En dernier recours bien sûr, les autorités coupent totalement l'accès au web. En 2010, avec les révélations de WikiLeaks, puis les révolutions en Tunisie et Egypte, on a vu le rôle crucial du web. 2010 est-elle l'apogée d'Internet ? Avec les révolutions tunisiennes et égyptiennes, c'est clairement la consécration du potentiel d'Internet et des réseaux sociaux en tant qu'outils de diffusion de l'information et de mobilisation. Après il ne faut pas oublier que ce sont des révolutions humaines, des gens y ont laissé la vie. Ce qui est sûr c'est que tous les gouvernements, et pas seulement les régimes autoritaires, ont pris conscience en 2010 de l'importance de ce nouveau canal d'information qu'est Internet. Comment voyez-vous l'avenir du web ? Quand on voit les systèmes de filtrages mis en place par certains gouvernements, on craint évidemment une ségrégation digitale : en fonction du pays où on est, on n'a pas accès à la même version d'Internet, ce qui n'est pas du tout l'idée de départ. Mais la formidable solidarité entre les net-citoyens à travers le monde me rassure et me rend optimiste.