Dans l’est de l’Ukraine, l’impossible cessez-le-feu

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Dans l’est de l’Ukraine, l’impossible cessez-le-feu
Une colonne de tanks roule en direction de Donetsk. Les convois transportent des hommes en uniforme sans insignes. © AFP
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Les séparatistes veulent conquérir de nouveaux territoires par les armes. Les habitants exaspérés vivent au rythme des violences et des bombardements.
La ville de Donetsk, dans l’est de l’Ukraine, est l’épicentre de la confrontation qui s’enlise entre les forces ukrainiennes et les séparatistes soutenus par Moscou. Les vitres sont mises à rude épreuve. A chaque départ de missiles ou de mortier, elles vibrent, certaines explosent, les alarmes de voiture se déclenchent et les chiens se mettent à aboyer. Le tout dans un brouillard tenace qui peine à quitter la ville, toujours soumise à un couvre-feu de 22h à 6h. Pour les séparatistes pro-russes qui occupent la région, l’objectif principal est toujours le même: reprendre l’aéroport de Donetsk. Un lance-missiles multiples (Grad) est dirigé vers la ville de Pisky, située au bout des pistes de l’aéroport et vidée de ses habitants. Il s’agit de la porte d’entrée qui permet à l’armée ukrainienne de garder le contrôle de la partie ouest de l’aéroport. Depuis plusieurs mois, les séparatistes bombardent en vain cette zone truffée de tunnels souterrains.
Les tirs d’artillerie sont une loterie éreintante pour ceux qui habitent dans un rayon de quatre kilomètres autour de l’aéroport. Car la plupart des bataillons séparatistes qui défendent Donetsk se sont installés au cœur des quartiers d’habitation. A l’image du bataillon Oplot Sevorogskiy, tout juste établi dans un quartier du district Mariinsky. Les civils, remparts involontaires, continuent de traverser le camp improvisé alors que des hommes armés se sont installés dans des appartements délaissés. Le réseau est tissé dans tout le quartier. De nombreux bâtiments, magasins et supermarchés abandonnés, servent désormais de QG, de cuisine et même d’atelier de couture pour les séparatistes.
La semaine dernière, la mort de deux enfants, Daniel, 14 ans et Artëm, 18 ans, touchés par un obus alors qu’ils jouaient au foot, a ravivé la colère des habitants, contre le gouvernement ukrainien, et non pas contre les rebelles à qui ils servent de boucliers. «Les Ukrainiens assis dans leurs canapés à boire des bières devraient envoyer leurs enfants vivre ici une semaine, peut-être qu’alors ils accepteront de voir d’où viennent les bombes», s’est exclamé le père de Daniel lors de l’enterrement de son fils. Un témoignage repris par le service de presse des séparatistes et par les médias russes.
Nicolaï, lui, a échappé de peu à la mort. Il a souhaité rester dans sa maison, pourtant située à quelques centaines de mètres de l’aéroport. La semaine dernière, un mortier est tombé devant son portail?: «Mon chien était paniqué par les grondements, je l’ai rentré dans la maison. Au même moment, un obus a heurté le toit et a fini par exploser dans le jardin. Sans mon chien, les Ukrainiens tuaient un civil de plus», raconte-t-il. Autour de lui, tout a été perforé par les débris du mortier.
Dans l’est de l’Ukraine, l’impossible cessez-le-feu
Des bâtiments endommagés à Donetsk @ AFP
La tension ne cesse de monter à Donetsk, tout comme dans la région de Marioupol, où des incidents sont observés quotidiennement. Approche de convois militaires, tirs de mortiers, fusillades, la Novorossia (la «Nouvelle Russie») souhaitée par les séparatistes ne peut exister sans cette ville portuaire située à quelques dizaines de kilomètres de la Russie. Ce week-end, à Makiivka, (situé à 25 km à l’est de Donetsk), des observateurs de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ont constaté le passage d’un convoi de 40 camions et tanks dont 19 sans plaques d’immatriculation, contenant des canons de 122 mm et transportant des hommes en uniforme vert foncé sans insignes. Ils roulaient en direction de Donetsk. Plusieurs mouvements de tanks ont également été signalés dans des banlieues de la ville. Du côté des instances diplomatiques, il est hors de question de changer de terminologie. Le cessez-le-feu, fragile, existe et doit perdurer.
Mais depuis l’organisation d’élections séparatistes et l’investiture d’Aleksandre Zakhartchenko, les 2 et 4 novembre derniers, les séparatistes ont changé de ton. «Nous avons bien l’intention de reprendre rapidement l’aéroport et de monter jusqu’à Kiev», s’exclame Oleg Orchikov, commandant du bataillon Oplot Sevorogskiy, qui rêve d’une «grande Russie». Ce lundi matin, il a enterré quatre de ses hommes. Il lui a fallu deux jours pour récupérer les corps tombés sous le feu d’un sniper ukrainien. Alors que l’armée ukrainienne conserve un pied dans certains quartiers de l’ouest de la ville, l’objectif des rebelles pro-russes est de les repousser définitivement afin de sécuriser Donetsk. A l’aéroport, Paganini et Flint, combattants d’un bataillon au nom plus que douteux –? «Somali»?–, préviennent: «Ukrainiens, vous ne viendrez jamais ici. Regardez-nous, nous n’avons plus un sou, nous avons travaillé toute notre vie dans les mines pour rien et vous venez détruire nos maisons! On prendra Kiev, si ce n’est pas moi, ça sera quelqu’un d’autre, mais on y viendra. N’espérez pas un instant reprendre l’aéroport, on a laissé tellement de cadeaux [des mines, ndlr] autour de l’aéroport qu’on en trouvera encore dans vingt ans!».