De Montargis à Pékin : le grand bond en avant

A l'heure où l'on célèbre le 50ème anniversaire du début des relations entre la Chine de Mao Zedong et la France du général De Gaulle, avec un premier échange d'ambassadeurs le 27 janvier 1964, une petite ville française pavoise plus que d'autres. C'est à Montargis que fut fondée la première cellule du futur Parti communiste chinois, en juillet 1921, avec de jeunes hommes et femmes dont les noms allaient résonner dans le monde entier : Zhou Enlai,  Deng Xiaoping, Xian Jingyu, Cai Hesen, Li Fuchun, Chen Yi.
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De Montargis à Pékin : le grand bond en avant
Montargis, Loiret, janvier 2013
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Dong Chun est une femme exceptionnelle : journaliste pendant plusieurs décennies aux Nouvelles d'Europe, le quotidien de Chine populaire à destination des diasporas chinoises d'Europe, mais aussi traductrice de Baudelaire et auteure de plusieurs études de poésie comparée. Lorsqu'elle participe à des débats sur la Chine contemporaine, cette petite femme qui a vécu durement la révolution culturelle, trouve des réparties souvent définitives qui laissent sans voix de très éminents confrères du vieux continent. En juillet 2011, sa visite à Montargis fut à la hauteur de ses postures : à peine descendue du train, elle a redressé son petit sac à dos et, en compagnie d'une amie de Hong Kong, elle aussi équipée de chaussures de marche, elle est partie d'un pas décidé vers le coeur de la ville, sur les traces de ceux qui avaient fait basculer l'Empire du milieu vers des horizons heureux. Les voyant s'éloigner, on ne pouvait que penser qu'il serait bien difficile d'arrêter la Chine dans sa conquête du monde...
En cette année du lapin de métal blanc, la Chine fêtait le 1er juillet 2011 le 90ème anniversaire de son Parti communiste, l’un des derniers à regarder vaillamment le monde de demain, tandis que l’horloge de tous les autres pays s’était arrêtée au fur et à mesure, depuis un certain mois de novembre 1989, qui vit un mur chuter et un vieux monde disparaître. L’un des derniers régimes marxistes est encore tombé voilà peu, démocratiquement et en silence celui-là, aux confins de la Chine, dans le Bengale occidental indien. Les célébrations de cet événement furent bien sûr magnifiques, l’occasion de prouver au monde que l’on peut mener de front un régime collectiviste et  une industrie rentable, être la deuxième puissance du monde face à l’ancien ennemi et social traitre américain à l’aide d’un projet socialiste. Tout le monde sait cela aujourd’hui, cette incroyable combinaison entre communisme pur et capitalisme dur,  qui porte le quart de l’humanité vers un avenir rayonnant.
De Montargis à Pékin : le grand bond en avant
De Montargis à Pékin : le grand bond en avant
Les étudiants chinois, plutôt de bonne famille, envoyés par la première république de Chine après la Première Guerre mondiale, à Montargis dans le cadre du programme “travail/études“, dans le jardin Durzy
Mais qui connaît les vraies origines du parti communiste et de la révolution chinoise, en dehors des Chinois eux-mêmes qui se précipitent par centaines chaque année vers une petite ville du sud de Paris, surnommée la Venise du Gâtinais, sur les traces des héros de la Chine nouvelle ? Depuis plus de 60 ans en Chine même, et depuis 90 dans les cercles clandestins des insurgés en devenir, on célèbre pourtant Montargis (c’est le nom de la ville) et on en prononce le nom comme un talisman. Il fallut pourtant attendre 1982, et l’avènement de Deng Xiaoping à la tête de l’Empire du milieu pour que l’anecdote prenne son élan planétaire : le parti communiste chinois avait été fondé en France par une poignée d’étudiants et de travailleurs du caoutchouc qui étaient arrivés à Montargis au hasard des lubies d’un philanthrope chinois.
De Montargis à Pékin : le grand bond en avant
Un groupe de Montargois, devant les statues comme´moratives des jeune Chinois si ce´le`bres de Montargis au Hunan en 2013 - Ce n'est pas le Mount Rushmore National Memorial américain, mais presque...
Li Shizeng était né à la fin du XIXème siècle dans une famille de mandarins pourvoyeuse de grands commis de l’État au service des Empereurs. Il fut envoyé étudier l’agronomie au lycée agricole du Chesnoy, à Montargis, l’un des plus anciens de France. Il s’éprit de la ville aux trois canaux et aux deux rivières, et confia son emballement à son ami Sun Yat-Sen, devenu président de la toute nouvelle première République chinoise (1912). Le groupe Travail-Études fut aussitôt mis sur pieds et des centaines de jeunes hommes et femmes furent envoyés à Montargis étudier et travailler (en une sorte de préfiguration du slogan "les intellectuels à la campagne et dans les usines"). Parmi les élus, des noms résonneront plus tard, au long de la longue marche, compagnons et compagnes de Mao Zedong, promis à un avenir rayonnant : Cai Hesen, Li Fuchun, Chen Yi pour les hommes, Xian Jingyu pour les femmes. Et surtout Zhou Enlai et Deng Xiaoping, les plus connus au-delà de la grande muraille. Les jeunes gens tenaient des réunions enfiévrées avec des syndicalistes français marxistes, ou se battaient pour des amours non partagées. Ils fondèrent à quelques-uns dans l'enthousiasme la première cellule du parti communiste chinois clandestin.
De Montargis à Pékin : le grand bond en avant
Deng Xiaoping lorsqu'il était à Montargis, travailleur et étudiant quelque peu indiscipliné, prompt à se mettre en grève aux côtés de ses camarades français... (cliquer sur l'image pour l'agrandir)
Alors qu’il avait pris le contrôle du Parti communiste chinois  et la direction de la République de Chine populaire, Deng Xiaoping révéla au monde que tout était parti de Montargis, à l'occasion du premier voyage officiel de François Mitterrand à Pékin, tout juste un an après son élection, en août 1982. L'Elysée, prévoyant l'ascension fulgurante du dragon chinois, fondait de grands espoirs dans cette visite et avait demandé aux autorités chinoises qu'un aréopage de maires des plus grandes villes françaises, telles Marseille, Lille ou Lyon, et de grands industriels français soient de la délégation. Les Chinois agréèrent aussitôt mais à une condition : que Max Nublat, maire de Montargis (la ville était alors dirigée par les communistes) soit de la délégation. Max Nublat, de retour dans sa cité lacustre, a raconté cet épisode avec beaucoup d'humour. Il fit sa petite valise, grimpa dans l'avion réservé à l'imposante suite française, fut placé un peu derrière les autres. Après l'atterrissage et alors que tous s'apprêtaient à descendre, des officiels chinois pénétrèrent dans la carlingue, très affairés, et demandèrent à tout le monde de se rassoir, à l'exception de "Monsieur le maire de Montargis". Très étonné, et même légèrement inquiet, il passa donc devant tout le monde : au bas de la passerelle, sous une banderole de bienvenue déployée à son nom, une somptueuse limousine attendait. Il fut embarqué toutes sirènes hurlantes vers le Palais impérial. Là, les portes s'ouvrirent les unes après les autres. Dans la dernière pièce, un homme attendait tout sourire et les bras ouverts. Deng Xiaoping dit "dans mes bras Monsieur le maire de Montargis" et il serra bien fort contre lui un Max Nublat au bord d'une double apoplexie, physique et psychique.
De Montargis à Pékin : le grand bond en avant
L'une des bornes du “parcours chinois“ de Montargis, dans le jardin Durzy - (cliquer sur l'image pour l'agrandir)
Depuis, grâce à l'association Chine/Montargis, les touristes peuvent découvrir les paysages aqueux de Montargis à travers un parcours chinois bilingue, et frissonner sous cette impression d’être traversés par l’histoire. A moins que ce ne soit à cause de l'humidité fort prégnante... En 2011, des dizaines d'équipe de cinéma, de télévisions, d'envoyés spéciaux des plus grands médias chinois, et de diplomates firent le pèlerinage vers la ville d'où le grand bond en avant s'élança, s'arrêtant à toutes les bornes explicatives comme autant de stations saintes : la gare de Montargis, qui a accueilli les premiers étudiants-ouvriers chinois en France ; l'usine de caoutchouc Hutchinson, où Deng Xiaoping a travaillé (avant de se faire renvoyer) ; l'école Gambetta, où Chen Yi et Cai Hesen ont étudié ; le jardin Durzy, où du 6 au 10 juillet 1920, Cai Hesen et son ami Xiang Jingyu ont exposé à leurs compatriotes leurs thèses pour « sauver la Chine et le monde » ; et enfin, les résidences de Li Weihan et de Li Fuchun.
Cet héritage là est aujourd'hui très couvé par la municipalité, pourtant de droite - en ces temps de crise, rien ne vaut la proximité avec la deuxième économie du monde… En janvier 2012, à la veille de l'élection présidentielle française (celle de François Hollande), informés et attirés par cette histoire franco-chinoise, les correspondants du prestigieux Washington Post et du Yomiuri Shimbun japonais (10 millions d'exemplaires chaque jour, ça laisse rêveur...) étaient venus arpenter la rue principale de la ville, la rue Dorée, Golden Street en anglais. Deng Xiaoping aimait à répéter : « Peu importe qu'un chat soit blanc ou noir, s'il attrape la souris, c'est un bon chat. »
De Montargis à Pékin : le grand bond en avant
Montargis et (toute) la Chine ont mis en place un échange serré entre lycéens. Le Chinois est une des langues prioritaires des élèves montargois. Le moment de gymnastique chinoise auxquels s'adonnent les invités chinois sur le campus du Lycée en forêt, attire à chaque fois beaucoup de spectateurs, mais peu d'adeptes français. Malheureusement...
De Montargis à Pékin : le grand bond en avant
Montargis en France, carte réalisée par Martine Bruneau