Le ton du film « Food Coop » est direct. La coopérative installée sur la Côte Est des Etats-Unis qui est racontée par le menu, ici, constitue «
une très mauvaise nouvelle pour le capitalisme, la grande distribution et l’agriculture productiviste ». Son fonctionnement a de quoi très vite convaincre le spectateur, surtout s’il est sensible au commerce équitable, aux enjeux environnementaux et au prix du « panier de la ménagère ».
C’est en 1973 que la Park Slope Food Coop a vu le jour. Elle compte aujourd’hui 17 000 membres qui acceptent, pour pouvoir venir y faire leurs achats, de donner 3 heures de leur temps chaque mois. Des coopérateurs qu’on retrouve, tout au long des 97 minutes de cette tranche de vie, dans les rôles de caissier, d’assortisseur, de conditionneur des produits à la découpe, de manutentionnaire, de gestionnaire des stocks, de nettoyeur de jour ou de nuit. Un des enseignements de cette coopérative, vraie pépite égalitaire : la mixité. Ils et elles représentent toutes les catégories sociales et racontent leur autre métier - graphiste, instituteur, psychologue… ou sans abri ! Ils disent les raisons pour lesquelles ils et elles ont adhéré au projet lancé par une poignée d’utopistes.
Le maillon d’un « monde meilleur »
Au final, 75% des travaux nécessités par tous les volets du fonctionnement de ce supermarché sont assurés par les clients, encadrés par des employés permanents. Certains coopérateurs n’hésitent pas à faire bénéficier la collectivité de leur capacité à faire fonctionner des équipes, à gérer du personnel. On évoquera aussi l’entraide puisqu’un des jobs inhabituels en pareil lieu consiste à accompagner les clients qui le souhaitent à rejoindre leur métro et à porter les volumineux paquets de leurs courses.
Les témoignages portent bien sûr aussi sur le coût du caddie : une mère de famille fait part d’une économie annuelle de l'ordre de 3 000 dollars. Ce qui n’empêche pas les employés de gagner trois fois le SMIC local. Au succès de la démarche correspond en outre la capacité à négocier des prix de gros de plus en plus intéressants.
Des Américains au palais bien formé
Au centre de la philosophie des lieux : la qualité des produits. Beaucoup sont bio. Le commerce équitable est à l’origine de l’approvisionnement de nombreuses denrées. Des petites fermes familiales servent de points d’appui. Les rayons des fruits, des légumes et des fromages sont particulièrement engageants. De quoi battre en brèche les sacrosaints clichés sur la malbouffe alimentaire Outre Atlantique.
La fraîcheur des aliments est d’autant plus suivie que ce sont les consommateurs eux mêmes qui surveillent le renouvellement des étals. Le recours aux sacs réutilisables procède lui aussi d’une prise de conscience partagée. Le film entre dans les moindres détails, jusqu’au choix des sols du supermarché, qui permet de détacher sans difficulté les chewing-gums. Eh oui, certains coopérateurs ont gardé leurs mauvais réflexes.
Il est aussi à plusieurs reprises question de l’importance que chaque coopérateur respecte bien ses engagements de travail mensuel. A Brooklyn, les procédures de rappel à l’ordre et d’exclusion sont bien rodées.
Quant aux « règles » de marketing qui sont de plus en plus raffinées, ailleurs, dans l’organisation des grandes surfaces « classiques » afin de pousser à la consommation non programmée, elles sont, ici, définitivement remisées au placard.
Par contre le fonctionnement des lieux fourmille d’initiatives innovantes : on citera la mise sur pied d’ un « comité environnement », les séances de sensibilisation, par exemple sur la production agricole en général ou sur la composition d’un bon chocolat. La coopérative a même créé pour ses membres un Fonds de bourses d’études.
"La Louve" va entrer dans Paris
Le réalisateur,Tom Boothe, un fringant Américain débarqué pour vivre à Paris en 2002, s’est mis rapidement en tête de créer une coopérative de même nature que la New Yorkaise. On vous épargnera les détails qui ont émaillé les quelques années qui ont été nécessaires à sa mise en route. Puisque, ça y est ! La coopérative parisienne va voir le jour fin octobre dans le 18e arrondissement de Paris. Plus précisément au 116 rue des Poissonniers.
Il aura fallu passer par toutes les étapes : convaincre, via le financement participatif, des contributeurs financiers à hauteur de 100 euros chacun. 200 personnes ont répondu à l’appel, qui n’est pas clos. Ceux-là mêmes deviendront les clients et, à raison de 3 heures par mois, les employés bénévoles du supermarché « coopératif et participatif ». Déposer les statuts de la structure. Trouver un espace ad hoc (on nous annonce 1 450m² sur deux niveaux, soit 30% de plus qu’à Brooklyn), signer le bail et obtenir les autorisations de travaux. Les mener à bien. Pour paraphraser Serge Reggiani et ses «
loups qui sont entrés dans Paris », une des chansons mythiques qu’il interpréta à partir de 1967, les habitants de la capitale seront probablement nombreux à aller fureter dans le quartier de la Goutte d’Or durant ces prochaines semaines.
Paris fera date, mais la France, où la tradition coopérative remonte au 19ème siècle, bruisse d’autres projets. Dans un esprit proche des Associations pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne (AMAP) proposant des commandes regroupées chez le fermier, des structures de coopérative se sont créées ou sont en cours de création à Lille, Toulouse, Bordeaux, Biarritz, Montpellier, Marseille, Grenoble, Nantes ainsi qu’à Bruxelles et dans une ville suisse, les Français optant souvent pour des sigles animaliers : la meute, la chouette ou l’éléfàn.
Le documentaire « Food Coop », qui a reçu le soutien du CNC et de la Région Ile de France notamment, dénote assurément d’une volonté de remporter l’adhésion par l’exemplarité d’un modèle participatif. Au-delà de sa sortie en salle, il peut donner lieu, à la demande, à l’organisation d’une projection près de chez soi.
C’est assez minuscule ce qu’on fait : si on n’attaque pas ensemble l’écart de distribution des richesses dans le monde, notre Coop restera un petit phénomène, indique avec lucidité Tom Boothe. D’où son désir de passer par la caméra. L’équipe n’hésite pas à parler de « propagande » pour la bonne cause, à estimer que son film donne des solutions, procède de la création sociale. Il y est question d’ « engagement » au quotidien, dans la vie réelle et concrète. D’un choix de vie en somme.