Débat d'idées : quand l'intégrité devient courage

Deux ans après le savoureux "les intellectuels faussaires" dans lequel il épinglait un certain nombre d'"experts en mensonges", Pascal Boniface propose "les intellectuels intègres". Il y rend hommage à quinze (vrais) intellectuels qu'il respecte particulièrement. Qu'est ce que l'intégrité en la matière ? Pourquoi est-elle si souvent à contre-courant ? Entretien.
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Débat d'idées : quand l'intégrité devient courage
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Deux ans après les « faussaires » pourquoi les s'intéresser aux "intègres" aujourd’hui ?
 
Mon éditeur me forçait un peu à faire un 2è tome des intellectuels faussaires car même si la presse ne s ‘était pas précipité pour en rendre compte (et c’est un euphémisme), le livre avait bien fonctionné auprès du public et des lecteurs. Mais je ne voulais pas me cantonner à la dénonciation des faussaires et je me suis dit qu’il était utile  de rendre hommage à ceux qui font preuve d’intégrité dans leurs fonctions. Et je dois dire que j’ai pris un plaisir immense à faire ce livre car il est quand-même nettement plus stimulant intellectuellement et réconfortant humainement de fréquenter les intellectuels intègres que de se pencher sur les « œuvres » des faussaires.
 
Pour démasquer des faussaires, il y a des faits, en l’occurrence des mensonges.. mais définir l’intégrité ce n’est pas difficile car plus subjectif  ?
 
Démasquer un faussaire c’est à la fois facile sur le fond, car en effet on peut voir les mensonges,  mais sur la forme c’est difficile parcequ’il y a un système dans lequel les gens se tiennent bien. Par exemple, depuis la publication de ce livre sur les faussaires, je suis interdit d’antenne sur France Inter, station publique dont le directeur Philippe Val figurait parmi les faussaires. Les journalistes de la radio auraient pu faire preuve d’indépendance mais ils ne l’ont pas fait. Il y a donc un coût à dénoncer les faussaires.
Sur les « intègres », on peut dire qu’il y a un caractère subjectif, mais ceux que j’ai choisis démontrent dans leur parcours personnel, dans leurs  travaux, qu’ils n’ont pas recouru au mensonge, que la défense de leurs idées ne se fait pas au service de leur intérêt mais qu’ils mettent leur célébrité au service de causes et qu’ils ne se servent pas de causes pour accroître leur notoriété. Alors, je ne suis pas d’accord avec l’ensemble des positions des quinze intellectuels que j’ai interviewés et dont j’ai dressés le portrait, mais j’estime que l’on ne peut pas remettre en cause l’honnêteté qui est la leur.
Etre intègre ne signifie donc pas nécessairement être d’accord avec Pascal Boniface...
De même que dans “les faussaires”, je ne mettais pas en cause des gens avec lesquels j’étais en désaccord mais des gens coupables de mensonges, des gens déloyaux dans le débat intellectuel, j’évoque ici des gens qui ont des positions parce qu’ils y croient sincèrement et non pas parce qu’ils pensent avoir intérêt à faire semblant d’y croire.
Débat d'idées : quand l'intégrité devient courage
Point commun entre ces personnes : elles luttent contre des idées reçues, des stéréotypes...
Oui, elles luttent contre la facilité. Autant les faussaires reproduisent les idées reçues en les développant et, à ce titre, trahissent encore plus le rôle d’intellectuel. Ceux que je cite vont, chacun dans son domaine, démographie, géopolitique ou par exemple sociologie, dynamiter les idées reçues pour essayer d’éclairer le public et ne pas aller à la facilité.
Cela aussi c’est une preuve d’intégrité.
Et aller contre les idées reçues, cela peut parfois coûter cher.. Nous avons l’exemple de l’historienne Esther Benbassa qui a carrément dû s’exiler en Hongrie pour pouvoir continuer de travailler...
Oui alors il faut dire qu’en tant qu’intellectuelle juive elle s’était heurtée de plein fouet au conflit israélo-palestinien. Cela lui vaut d’être admirée par de nombreuses personnes pour non seulement son intégrité mais aussi son courage de dire publiquement ce qu’elle pense, mais elle subit dans le même temps des attaques parfois odieuses auxquelles elle résiste avec courage.
Dans votre livre, pour chacun des intellectuels, vous proposez un entretien. Et je note que bien souvent vous tutoyez votre intelocuteur. Cela peut surprendre...
On ne peut pas faire un bouquin sur l’intégrité et tricher. Au départ, l’éditeur souhaitait que, pour des raisons classiques d’édition, le vouvoiement s’impose en entretien, mais je me suis dit que j’allais respecter la forme des entretiens : pour ceux que je vouvoie ou vouvoyais dans la vie -c’est le cas de Stéphane Hessel- j’ai conservé le “vous” et pour les autres j’ai conservé le “tu”.
Malgré cet ouvrage dédié aux intellectuels intègres, faut-il tout de même attendre un tome 2 des intellectuels faussaires ?
Malheureusement en effet le sujet n’est pas épuisé. D’une part parce que ceux que j’ai signalés continuent de sévir en propageant les mensonges les plus extravagants et puis parce que d’autres se sont signalés entre temps. C’est un combat dans la durée.

Les “quinze“ de Pascal Boniface

Un intellectuel prolifique

Né en 1956, Pascal Boniface dirige l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS). Géopolitologue, il se passionne également pour le football et le sport en général. 

    A Stéphane Hessel, modèle d'intégrité.

    16.05.2013Par Pascal Boniface
    A Stéphane Hessel, modèle d'intégrité.
    Le livre est dédié au diplomate récemment disparu.
    "Il a une place particulière de par l’impact qu’il a eu dans le débat d’idée au cours des années récentes. De par son parcours personnel également et du  fait qu’il m’ait réservé l’un de ses derniers entretiens. Toujours chaleureux, sympathique et malicieux, tel qu’il était.
    Tout au long de sa vie, il a prouvé que le courage, le respect des convictions était un guide, ce que toute la génération des étdudiants actuels reconnaît.
    Le fait qu’un Monsieur de cet âge soit aussi populaire dans la jeunesse est quand-même très réconfortant.
    Lors de l’hommage qui lui été rendu, j’ai trouvé que François Hollande aurait pu se dispenser d’une phrase dans son discours. L’hommage était mérité mais il y avait une phrase de trop dans le discours du Président de la République".